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en parallèle avec nos grands hommes de cette première époque Fontenelle, La Motte, Marivaux et d'Aguesseau luimême, qui furent de très-beaux esprits, mais qui ne parvinrent jamais à se montrer véritablement éloquents. On ne peut refuser sans doute un tribut particulier d'admiration à la couleur et à la chaleur du style de J. J. Rousseau, qui, malgré ses contradictions et ses paradoxes, s'est élevé de nos jours à la plus haute éloquence; on ne le contestera pas non plus aux magnifiques pages de Buffon, dont l'imagination pittoresque, mais trop éprise de l'amour des systèmes, signale beaucoup plus en lui un poëte qu'un orateur, excepté néanmoins dans la neuve et très-belle conception qui montre partout l'homme, au milieu de l'univers, comme le roi de la nature. Mais en me renfermant dans le genre sacré, je ne puis me dissimuler que depuis nos étonnants et éternels modèles du dix-septième siècle, l'éloquence est tristement déchue parmi nous dans la chaire, qui était son plus beau et presque son unique domaine. Il n'est pas difficile d'en indiquer les diverses causes, dont l'action réunie devait être et a été si funeste.

Outre l'affaiblissement toujours croissant des principes religieux, affaiblissement qui n'a cessé de refroidir depuis la régence, avec l'intérêt du public, l'émulation des prédicateurs et l'enthousiasme que leur inspiraient à la fois leur art et leur ministère; outre les fatales contestations du jansénisme, qui ont éloigné de cette carrière des talents supérieurs, en favorisant par nos débats les progrès si déplorables de l'irréligion; outre la privation presque absolue des grands et nombreux encouragements qui avaient appelé et exalté les orateurs du premier ordre dans cette route, sous un gouvernement créateur, qui faisait naître de grands hommes dans chaque genre, en les mettant tous à leur place; outre ces différences de temps et ces causes de décadence que je suis forcé de reconnaître, j'avoue encore que la nature, qui est une autre puissance avec laquelle il faut compter, puisqu'en dernière analyse elle règle tout ; j'avoue, dis-je, avec regret,

qu'en accordant des talents très-distingues aux principaux successeurs des oracles de la chaire, cette même nature ne s'est pourtant pas montrée aussi prodigue de ses faveurs envers la nouvelle génération qui les a remplacés, et qu'elle ne me paraît pas les avoir dotés à un si haut degré des plus heureux dons du génie '.

Si cette infériorité des moyens est incontestable, comme je le crois, elle ne suffit que trop pour expliquer la décadence de la chaire, qu'elle rendait inévitable. Il faut pourtant y ajouter que les prédicateurs célèbres du dix-huitième siècle, qu'on ne doit jamais comparer à leurs prédécesseurs, mais dont la plupart étaient nés avec assez de sagacité et de justesse d'esprit pour pouvoir se distinguer dans une autre carrière littéraire, se mirent encore par leur propre faute dans

Dans son Siècle de Louis XIV, chap. 32, intitulé des Beaux-Arts, Voltaire reconnaît formellement cette décadence de nos orateurs sacrés, ainsi que de tous nos autres écrivains, à la même époque. Il l'attribue uniquement à l'épuisement de chaque genre traité avec succès par des hommes de génie, et il fait de cette dégénération une espèce de loi de la nature. « L'éloquence de la chaire, dit-il, et surtout celle des oraisons funèbres sont dans le même cas (d'épuisement). Les vérités morales une fois annoncées avec éloquence, les tableaux des inisères et des faiblesses humaines, des vanités de la grandeur, des ravages de la mort, étant faits par des mains habiles, tout cela devient lieu commun. On est réduit à imiter ou à s'égarer... Ainsi donc le génie n'a qu'un siècle, après quoi IL FAUT QU'IL DÉGÉNÈRE. » Il ajoute que vers le temps de la mort de Louis XIV la nature sembla se reposer. C'est parler de la nature en poëte, et non pas en métaphysicien. Je ne crois nullement que les dons du génie épuisent la nature, qu'ils lui coûtent même le moindre effort, et qu'elle ait besoin de repos pour les reproduire. Je crois encore moins que le génie soit ainsi condamné par la nature à dégénérer après un siècle de gloire. Je ne crois pas non plus que les vérités morales, qu'un orateur peut traiter sous tant d'innombrables rapports, partagent l'épuisement très-réel des combinaisons dramatiques, quand les tableaux ont été faits par des mains habiles. Enfin, il me semble que la composition des oraisons funèbres surtout, bien loin d'être la partie de l'éloquence sacrée la plus prompte à s'épuiser, comme Voltaire le prétend, est au contraire, par la diversité des caractères, des talents, des intérêts, des états, des relations, des événements et des circonstances, le plus inépuisable des genres oratoires, celui de tous qu'il est le plus facile de varier, et par conséquent de rajeunir en chaire.

MAURY.

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l'impossibilité la plus manifeste de les égaler. En effet, ils n'eurent malheureusement plus en partage ce goût du beau, ce goût simple, naturel, mâle et sain, ce bon goût de l'antiquité, pour laquelle la vraie beauté était la force, et qui n'accordait que du dédain ou du mépris, soit au style guindé, tendu, épigrammatique, où chaque phrase ( car on ne peut pas dire chaque période ) montre l'ambitieuse recherche d'un trait fin et brillant, soit au tourment que se donne un rhéteur pour exprimer avec emphase et prétention des idées subtiles, fausses, vagues ou communes. Journellement répandus dans la société, où l'on peut devoir sa fortune à cette sagacité laborieuse qui rend un homme utile, mais où le talent ne gagne rien pour sa gloire, ils ne firent plus une étude aussi approfondie de la religion, de l'ancienne et savante littérature; distraits par d'autres travaux ou par d'autres fonctions, ils ne se consacrèrent plus si exclusivement à un genre et à un ministère qui exigent, au moins pendant les dix premières années, l'entière application de l'orateur qui veut s'y dévouer. Des différences si déplorables durent donc les rejeter à une distance encore plus grande de leurs modèles.

Mais quand on a levé l'appareil d'une plaie, il faut la sonder dans toute sa profondeur. Disons donc ici la vérité tout entière. Non-seulement ce beau ministère est ainsi déchu dans notre siècle de sa première splendeur; mais encore il me semble évident, pour tout juge impartial qui a bien étudié cette période littéraire, que nos nouveaux orateurs sont aussi restés au-dessous d'eux-mêmes je veux dire au-dessous des talents que leur avait départis la nature, et qui leur eussent assuré une tout autre renommée si, connaissant mieux les dons du ciel, ils avaient su ou voulu en faire usage. C'est une vérité d'autant plus importante à développer, qu'aucun critique ne l'ayant aperçue jusqu'à présent, on sera peut-être surpris de la singulière époque et de l'étrange cause que je vais assigner à la décadence de la chaire.

1 Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, catalogue des écrivains, art. de Valincourt.

XXIII. Du Petit Carême de Massillon.

Je crois donc en découvrir la véritable origine dans la dernière station prêchée à la cour, avec un applaudissement universel, par l'admirable Massillon, qui devint à son insu le premier moteur de cette funeste révolution, contre la double autorité de sa doctrine et de son exemple.

En effet, après avoir mis en sûreté son genre d'éloquence et sa gloire personnelle par son Grand Carême, son Avent, et surtout par ses Conférences ecclésiastiques 1, riches collections de chefs-d'œuvre qui dureront autant que notre langue, et contribueront à la perpétuer, Massillon, à peine nommé, sous la régence, à l'évêché de Clermont, fut invité à prêcher, en 1718, dans la chapelle du palais des Tuileries, en présence de Louis XV, âgé de huit ans, les premiers sermons que ce prince ait entendus. L'âge du roi fit réduire cette station à une simple dominicale, que le régent suivit très-exactement, et qui devint un spectacle nouveau que la religion et l'éloquence semblèrent donner alors aux derniers courtisans de Louis XIV, comme la clôture de ce beau règne.

Massillon, chargé d'une mission si délicate et si glorieuse,

'En composant ces magnifiques conférences sur les Devoirs ecclésiastiques, l'immortel évêque de Clermont a ouvert parmi nous une nouvelle et superbe route à l'éloquence sacrée. Ses discours sont incomparablement plus originaux et plus riches en idées neuves et lumineuses que ses sermons. Ceux qu'il prononçait tous les ans devant son clergé augmentaient sensiblement de force et d'éclat, d'année en année, durant tout le cours de son épiscopat. Aucun de nos orateurs dont les ouvrages ont été livrés à l'impression ne l'a encore suivi dans cette belle carrière. Son zèle épiscopal semble y avoir entièrement changé sa méthode, sa manière et même la nature de son talent. Ce n'est plus l'indulgence et l'onction, c'est l'austérité, c'est la vigueur, c'est l'énergie qui dominent dans ces conférences. Massillon prédicateur est doux et pathétique; mais Massillon évêque, beaucoup plus frappé des abus que son ministère lui découvre parmi ses coopérateurs, ne parle presque plus que le langage de l'autorité, de la douleur, de l'indignation, de la menace et du courroux. Ces discours, qui ne contiennent rien d'approprié au diocèse de Clermont, ne sont pas aussi travaillés que ceux qu'il avait composés pour le séminaire de Saint-Magloire à Paris. Néanmoins ils doivent être lus de préférence, et le seront avec beaucoup de fruit dans les retraites ecclésiastiques.

craignit que ses anciens sermons, tant admirés par l'ancienne cour, ne parussent trop longs, et même déjà trop ascétiques peut-être à un auditoire si étrangement changé depuis 1704, époque du dernier carême qu'il avait prêché à Versailles '. Il eut donc la condescendance, le talent et le courage de composer, avec la plus étonnante facilité, dans le court intervalle de trois ou quatre mois, ce Petit Carême, absolument neuf, dans toute l'étendue du mot. L'effet extraordinaire qu'il produisit surpassa toutes ses espérances. L'abbé Fleury, confesseur du jeune roi, se vit appelé par le sort à porter aussitôt un jugement public sur ces mêmes discours dont tout le monde parlait alors, comme du plus beau triomphe qu'eût jamais obtenu l'éloquence. Toujours judicieux et vrai, jusque dans ses éloges, l'abbé Fleury sut louer ce grand orateur avec autant d'esprit et de grâce que de justesse et de mesure2, 2, de s'être mis si heureusement à la portée du jeune monarque, auquel on avait déjà fait apprendre par cœur plusieurs des plus beaux morceaux de ces sermons. Il semble, lui dit-il, que vous ayez voulu imiter le prophète Élisée, qui, pour ressusciter le fils de la Sunamite, se rapetissa, pour ainsi dire, en mettant sa bouche sur la bouche, ses yeux sur les yeux, ses mains sur les mains de l'enfant, et qui, après l'avoir ainsi réchauffé, le rendit à sa mère plein de vie.

Cette séduisante innovation du Petit Carême eut en chaire et a même conservé à la lecture un succès prodigieux. L'éloquent évêque de Clermont devait exciter un si vif enthousiasme par la nouveauté de cette création oratoire; par le

Ce fut à la fin de ce carême que Louis XIV dit publiquement au père Massillon : J'ai entendu dans ma chapelle plusieurs prédicateurs dont j'ai été très-satisfait; mais en vous écoutant j'ai été mécontent de moimême. Je veux vous entendre désormais tous les deux ans. La jalousie et l'intrigne s'opposèrent avec succès à une si juste préférence; et Massillon ne reparut plus dans la chaire de Versailles durant les onze dernières années du règne de Louis le Grand.

2 Dans la réponse qu'il fit, la même année, an discours de réception le Massillon à l'Académie française en qualité de directeur.

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