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mais qui ne présente plus, quand on veut les approfondir, qu'une pointe sans base, un angle étroit, des détails trop fins et trop déliés pour les grands tableaux qu'aime l'éloquence, des bienséances plutôt que des devoirs, ou la matière d'une lettre et d'un fragment, mais non pas le fonds d'un sermon; de ces sujets bizarres, qui ne sont pour la multitude, comme pour l'orateur lui-même, que les jeux d'un esprit à facettes, et font de la morale une pompeuse déclamation, à laquelle le cœur est trop étranger pour y trouver sa part; de ces sujets philosophiques, également étrangers à la religion et à l'éloquence, plus dignes du Portique ou du Lycée que de la chaire évangélique, étonnée de faire entendre au peuple chrétien des discours auxquels un orateur cosmopolite n'aurait besoin de faire aucun changement pour les débiter avec la même convenance dans les mosquées de Mahomet ou dans les pagodes des Indes; enfin, de ces sujets que l'on croit neufs et piquants, et qui ne sont que recherchés et stériles, et où l'on ne tâche de montrer tant d'esprit que parce qu'on est dépourvu de talent.

Dilatez donc, vous dit Bossuet1, dilatez vos talents du côté du ciel. Il reste encore aux orateurs chrétiens plusieurs beaux sujets à créer, et on peut tous les rajeunir; mais il ne faut pas avoir la prétention de les traiter quand ils ne viennent point se présenter naturellement à l'esprit et solliciter, pour ainsi dire, sa préférence par l'attrait et l'inspiration du goût. Étudiez d'abord le caractère dominant de votre génie ; et après en avoir essayé les facultés sur divers sujets de raisonnement, d'imagination, de sentiment, suivez avec constance le genre auquel vous êtes le plus propre, et vers lequel la nature elle-même vous attire; mais ne craignez point de vous rendre indigent et trivial en suivant les routes battues. Un orateur fécond découvre toujours de nouveaux trésors dans une morale confrontée avec l'ensemble de la religion et développée par la connaissance du monde et des hommes.

Eh! pourquoi hésiteriez-vous de travailler sous de nouveaux

Dans la cent cinquante et unième de ses Lettres de Piété.

rapports des matières qui ont été déjà traitées avec succès? Serait-ce parce que nos grands maîtres s'étant emparés de leurs beautés les plus frappantes, et ayant moissonné ce terrain vierge dans la première abondance du défrichement, ils en auraient assez épuisé la fécondité pour vous réduire à ne pouvoir plus que glaner humblement à leur suite ? Cultivez avec la même ardeur les champs qui les ont enrichis, et vous leur rendrez cette fertilité primitive. Autant vaut l'orateur, autant vaudra le sujet. Soyez de bonne foi: si vous ne connaissiez point ces plans lumineux, ces idées originales, ces tableaux touchants, ces rapprochements sublimes, que vous admirez dans leurs écrits avec tant de justice, les auriez-vous conçus de vous-mêmes ? La supériorité des modèles doit enflammer le génie, au lieu de décourager l'émulation. Si Bossuet, Bourdaloue, Massillon revenaient sur la terre, pensezvous que leur talent créateur, embarrassé par leurs premiers chefs-d'œuvre, ne sût pas en enfanter de nouveaux, et que ces immortels orateurs ne parvinssent point encore aujourd'hui à égaler leurs plus imposants titres de gloire? Du génie, du travail et du zèle! et les sujets qui paraissent épuisés recevront de vos méditations une nouvelle vie; et l'orateur qui saura être original en imitant ces écrivains inventeurs renouvellera leurs prodiges en partageant leurs triomphes.

L'apologie de la religion ouvre un champ vaste et fertile à l'éloquence sacrée. C'est un genre en quelque sorte nouveau, dont Massillon a su enrichir son grand Carême, par ses deux chefs-d'œuvre sur la vérité de la religion et sur la certitude d'un avenir. Mais les jeunes orateurs ne doivent point débuter par de pareils sujets, réservés à la plénitude de l'instruction et à la maturité du talent. Si les sermons ne portaient pas la lumière et la conviction dans tous les esprits, ils pourraient y affaiblir les fondements de la foi. On ne doit jamais se permettre aucun raisonnement faible, aucune solution vacillante des difficultés qu'on se propose à soi-même, de peur que l'auditeur ne retînt beaucoup mieux l'objection que la réponse. Bannissez aussi de ces discussions publiques la sécheresse de l'ar

gumentation, pour y substituer l'éloquence du raisonnement. Ne mésalliez jamais votre ministère apostolique avec l'étalage d'une érudition aussi ambitieuse que facile à compiler, et avec ces abstractions métaphysiques inaccessibles à l'intelligence commune, et même à la perspicacité des auditeurs les plus instruits, durant le cours rapide du débit oratoire. C'est surtout avec les armes de la charité que vous devez défendre la vérité dans nos temples, en vous interdisant sévèrement les diatribes et les injures contre des adversaires qu'on n'a jamais besoin d'outrager quand on sait les combattre.

La manière la plus triomphante de défendre la religion en chaire consiste surtout à bien attaquer l'incrédulité, en l'environnant sans cesse des contradictions, des inconséquences, des absurdités, de l'immoralité, des désastres publics et personnels, inséparables de ses vains systèmes. Cependant, quand les réfutations sont courtes et frappantes, elles donnent beaucoup de relief aux victoires accumulées du discours. Je vais en présenter un bel exemple, qui produirait un trèsgrand effet dans la bouche d'un orateur sacré; je le tire de l'admirable explication du troisième chapitre d'Isaïe par le pieux et savant père Berthier, qui, en commentant ce prophète et les Psaumes de David, s'est montré le premier écrivain ascétique du dernier siècle.

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« L'histoire nous apprend que des nations entières ont péri par ces abus, et peut-être n'y a-t-il aucun des anciens empires qui n'ait dû sa chute à tous ces principes destruc« teurs. On faisait illusion au peuple juif; on lui disait que << des nations idolâtres étaient florissantes, et qu'il pouvait jouir des mêmes avantages en abandonnant le culte du « vrai Dieu. N'est-ce pas encore là le langage qu'on tient « tous les jours, et qu'on ose appuyer de sophismes dans des «< livres insidieux ? On n'entreprend point de rappeler les ab« surdités de l'idolâtrie; mais on tâche de persuader aux peuples que la religion a causé des maux sans nombre; que les ministres des autels ont toujours abusé de leur ministère ;

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qu'il n'y a point de moyen plus sûr pour conserver la paix

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« des États, que de ramener les hommes à l'étude de la philosophie; qu'il n'est jamais arrivé que les athées ou les déistes aient troublé l'ordre public; que le culte de la Divinité, et surtout la doctrine de l'Évangile, énerve les esprits et détruit le ressort des passions, sans lesquelles les << hommes n'entreprennent et n'exécutent rien de grand. En « un mot, on prétend ouvrir aux peuples la route du bon<< heur en leur enlevant la foi d'une vie future, la crainte d'un Dieu vengeur, le respect pour la religion que nous ont transmis nos pères.

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« O hommes puis-je m'écrier avec le prophète, on vous trompe, on vous séduit par ces discours aussi artificieux «que frivoles. Il ne s'agit pas ici de montrer le vice de ces raisonnements, on les a réfutés cent fois je me contente de dire qu'il n'y a jamais eu de république d'athées, parce « que la raison a toujours démontré aux hommes la nécessité <«< de reconnaître un Être suprême; que s'il pouvait exister «< une pareille république, elle serait bientôt corrompue par « les principes qu'on y admettrait et par l'insuffisance des «<lois qu'on prétendrait y établir; qu'il y a eu peut-être quel<«<ques hommes sans religion, que le tempérament, la vanité, « la crainte, la nécessité, ont retenus dans les bornes d'une << sorte de sagesse purement humaine; encore aurait-il fallu examiner de près les détails de leur vie, pour bien juger de « cette prétendue sagesse : mais en portant même de ce petit « nombre le jugement le plus avantageux, on ne pourrait espérer la même modération de tout le genre humain qu'on supposerait tombé dans l'athéisme, puisque les passions livrées à elles-mêmes, le cri de l'amour-propre non réprimé « par la conscience, la soif de l'intérêt toujours renaissante a et dégagée de toute crainte intérieure, l'emporteraient en <«< mille occasions sur les principes spéculatifs de la philosophie. Il serait aisé d'ailleurs de faire voir que les crimes qu'on impute à la religion ne sont nullement son ouvrage ; je n'aurais qu'à consulter ses livres, ses enseignements, ses Jecisions authentiques. Tous ces monuments portent à la

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paix, à la charité, à la patience, à l'obéissance, au pardon des injures, à tous les devoirs envers la patrie, et au zèle le plus ardent pour la servir. Je dirais que la foi d'une vie future rend les hommes humbles dans la prospérité, tran quilles dans les revers, toujours prêts à sacrifier leurs in« térêts pour maintenir l'ordre public. J'opposerais aux cen<< sures calomnieuses des incrédules la multitude innombra« ble de bienfaits que l'esprit de piété a répandus sur le « genre humain, l'histoire des actions héroïques d'une infinité « de chrétiens dans tous les siècles, la sagesse admirable qui règne dans toute la législation évangélique. J'observerais qu'une loi qui commande au cœur doit l'emporter, au jugement de tous les sages, sur toutes les institutions humai« nes, qui ne peuvent régler que la conduite extérieure des hommes; que l'Évangile seul, avec ses promesses, peut «< consoler les malheureux, dont le nombre est toujours le plus grand parmi les habitants de la terre; et qu'enfin il « est absurde et pernicieux d'ôter aux hommes un moyen de « devenir foncièrement et radicalement meilleurs qu'ils ne << sont; moyen d'ailleurs qui appuie les lois extérieures et en « recommande l'observation. Quand même ces lois pourraient absolument, et dans tous les cas, suffire pour maintenir la probité et la sûreté dans le monde, ce qui est faux dans la généralité, il faudrait encore recevoir la loi évangélique,

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<< parce que, dans un si grand intérêt, il vaut mieux avoir deux principes réprimants, deux freins qui concourent ensemble «< au même but, que de n'en établir qu'un seul. La vérité de <«< cette assertion se présente d'elle-même.

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XXII. Des causes de la décadence de la chaire.

On ne saurait rappeler les immortels monuments et l'excellent genre de nos orateurs classiques de la chaire, sans avouer et sans déplorer les erreurs de goût qui, à la suite du grand siècle, ont sensiblement diminué parmi nous l'éclat de l'éloquence. J'aurais trop d'avantages si, généralisant ici la question sous tous les rapports de l'art oratoire, je mettais

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