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ESSAI

SUR

L'ÉLOQUENCE

DE LA CHAIRE.

1. Objet de cet ouvrage.

C'est sans doute une grande et belle institution que d'avoir réuni les hommes dans un temple pour les instruire de leurs devoirs; d'avoir établi des cours publics d'entretiens approfondis entre la religion et la conscience; d'avoir contre-balancé l'impunité du présent par la justice de l'avenir; d'avoir armé les orateurs sacrés de toute la puissance de la parole pour combattre les vices, éveiller la foi, remuer le cœur, ébranler l'imagination, subjuguer la volonté, et enchaîner toutes les passions sous le joug de la loi par les liens les plus intimes des intérêts éternels; d'avoir appelé chaque héraut de l'Évangile à une si haute mission, en lui disant : Viens occuper dans le sanctuaire la place de Dieu lui-même; toutes les vérités morales t'appartiennent; tous les hommes ne sont plus devant toi que des pécheurs et des mortels; et les dépositaires du pouvoir ne se distinguent à ta vue que par de plus grandes obligations, de plus redoutables dangers, et la perspective d'un plus sévère jugement. Découvre à tes auditeurs le tribunal suprême de la justice, les asiles de l'humanité souffrante, les chaumières, les tombeaux, les abimes

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de l'éternité; et fais-en sortir des leçons utiles à la terre, en forçant l'homme de devenir lui-même son accusateur et son juge dans le secret de ses pensées et dans la solitude de ses remords.

Tel est le tableau que présente le ministère évangélique, de sorte que si cette méthode d'instruction n'existait pas dans le christianisme, il faudrait l'y introduire pour l'avantage du genre humain.

Mais ce que la chaire offre de divin dans l'économie de la religion ne saurait être l'objet d'un traité didactique : on ne doit s'y occuper que des moyens humains dont l'art oratoire peut renforcer un si auguste ministère. Dès que les hommes sont assemblés pour entendre un orateur, le seul instinct de la sensibilité devient pour eux l'oracle du goût. Ils se communiquent tous les mouvements qu'ils éprouvent. Ils apprécient l'éloquence par le sentiment, qui en est le meilleur juge; et le jugement qu'ils prononcent aussitôt sur l'effet d'un discours, en se livrant aux émotions continues et aux explosions soudaines qu'un prédicateur excite dans les âmes, devient le plus sûr et le plus glorieux suffrage qu'il puisse jamais obtenir.

Voici, d'après cette esquisse, l'idée générale qu'on peut se former de l'éloquence de la chaire.

II. Image de l'éloquence de la chaire.

Un homme sensible voit son ami engagé dans quelques desseins contraires à son intérêt ou à ses devoirs : il veut l'en détourner; mais il craint d'éloigner de lui sa confiance par une opposition trop brusque : il s'insinue donc avec douceur; il ne combat pas d'abord, il discute. On ne l'écoute point; il ne demande qu'à être entendu il prend l'accent de la pitié; et peu à peu il expose ses raisons, en présentant les arguments de l'évidence avec la réserve du doute. On ne lui répond rien, on feint de ne pas le comprendre. Alors il se plaint, non de l'obstination, mais du silence; il va au-devant de toutes les objections, et les réfute. Animé du

zèle indulgent de l'amitié, il est loin de prétendre à briller par l'esprit : il ne parle que le langage du sentiment. Bientôt, sûr d'intéresser, il s'interdit tout reproche; il découvre le précipice aux yeux de son ami, et lui en montre toute la profondeur, pour assaillir en lui l'imagination, la plus faible mais la plus vive de nos facultés. C'est avec ce ressort qu'il parvient à l'ébranler; il s'abaisse jusqu'à la supplication, et donne un libre cours à ses soupirs et à ses plaintes. C'en est fait, le cœur cède, la vérité triomphe, les deux amis s'embrassent, et c'est à l'éloquence d'une persuasive tendresse que la raison et la vertu doivent l'honneur de la victoire. Orateur chrétien, voilà votre premier modèle dans l'art de préparer et de graduer les triomphes de l'éloquence sacrée. Cet homme compatissant qui doit s'attendrir pour convaincre, c'est vous-même; cet ami qu'il faut émouvoir pour le gagner, c'est votre auditoire.

Eh! que dis-je ? une mission tout divine va-t-elle donc se borner aux artifices d'un rhéteur? Non, sans doute. En présentant ainsi à votre talent des préceptes en exemples, ou plutôt en action, j'ai voulu vous faire envisager les moyens d'insinuation oratoire que développe cette allégorie; mais je sens que je dégraderais trop votre ministère si je n'établissais point sur les marches du trône même de Dieu le solide point d'appui du levier que la religion met entre vos mains pour enlever à la fois tous vos auditeurs. N'avez-vous donc que des motifs humains à développer dans la chaire où vous exercez l'autorité du juge suprême de l'univers? N'en connaissez-vous donc point d'autres, étrangers et supérieurs aux intérêts de la vie présente? Et ne sentez-vous pas combien vous affaibliriez le ressort tout puissant de votre éloquence, si elle oubliait qu'elle emprunte toute sa force des souvenirs profonds de la conscience et de l'imposante perspective de la mort et de l'éternité ?

Vous voilà donc placé entre le ciel et la terre, comme le défenseur de tous les droits du Créateur et de tous les intérêts des créatures. Vos auditeurs dès lors ne sont plus à vos yeux

qu'un seul individu, qu'un seul être collectif qui les réunit, et les représente tous avec la plus exacte ressemblance

III. Des moyens de convaincre une grande assemblée.

En effet, il n'existe en quelque sorte, par cette fiction oratoire, qu'un seul homme pour l'orateur, dans la multitude qui l'environne; et, à l'exception des détails qui exigent quelque variété pour peindre les passions, les états, les caractères, il ne doit parler dans sa composition qu'à un seul auditeur, à un seul infortuné, à un seul coupable, dont il déplore les égarements, les désastres, les erreurs, les peines, les misères ou les vices cet homme est pour lui comme le démon de Socrate, qu'il voit toujours debout, toujours à ses côtés, et qui tour à tour s'attendrit ou s'irrite, résiste ou promet, s'humilie ou se courrouce, et ne cesse de lui répondre que pour l'interroger. C'est lui qu'il ne faut jamais perdre de vue quand on compose, jusqu'à ce que l'on parvienne à triompher de ses préjugés, de ses inconséquences et de ses travers. Les raisons qui seront assez persuasives pour surmonter sa résistance individuelle suffiront pour subjuguer la plus nombreuse assemblée. L'orateur tirera même de nouveaux avantages d'une grande affluence, où tous les mouvements excités à la fois, comme les vagues d'une mer agitée qui s'entrechoquent de tous les côtés, multiplieront les triomphes de l'art, en formant une espèce d'action et de réaction entre l'orateur et l'auditoire. C'est dans ce sens que Cicéron a raison de dire que nul homme ne peut être éloquent sans une multitude qui l'écoute1. L'auditeur venait entendre un discours; mais dès qu'il paraît l'orateur le prend à partie : il l'accuse, il le confond: il lui parle, tantôt comme son confident, tantôt comme son médiateur, tantôt comme un juge. Voyez avec quelle adresse il lui dévoile ses sentiments les plus cachés, avec quelle sagacité il lui révèle ses pensées les plus intimes, avec quelle force il anéantit ses excuses les plus séduisantes. Le coupable se reconnaît: une attention profonde, l'effroi, «Orator sine multitudine audiente eloquens esse non potest. » Brutus, 338.

la confusion, le remords, tout annonce que l'orateur a deviné, dans ses méditations solitaires, le secret des consciences. Alors, pourvu qu'aucune saillie ingénieuse ne vienne émousser les traits de l'éloquence chrétienne et refroidir cette sainte émotion des cœurs, la parole évangélique se gravera plus avant et achèvera son œuvre. Vous verrez encore, il est vrai, dans le temple des milliers d'auditeurs; mais il n'y aura plus qu'une seule pensée, un seul intérêt, un seul sentiment; c'est-à-dire, Dieu et le pécheur, ou plutôt le repentir et la clémence. Je me trompe le ministre de la parole, devenu ainsi un ange de consolation, se confondant avec son auditoire, qui réagira puissamment sur lui-même, mêlera de douces larmes de joie aux pleurs attendrissants de l'amour, qui scelleront le pacte solennel de la miséricorde; et tous ces individus réunis reproduiront devant vous, pour l'honneur immortel d'un si beau ministère, l'homme idéal que l'orateur avait présent à sa pensée pendant la composition de son discours.

IV. Avantages de l'orateur qui s'étudie lui-même.

Mais où chercher cet homme abstrait, cet interlocuteur fictif, ainsi formé de tous ces traits divers, sans s'exposer à peindre un être chimérique? Où trouver ce fantôme, cette espèce de simulacre d'atelier, dans lequel tous peuvent se reconnaître, sans qu'il ressemble individuellement à personne ? Où le trouver? Dans votre propre cœur. Descendez-y sou vent; parcourez-en tous les replis : c'est là que vous découvrirez, et les prétextes des passions que vous voulez combattre, et l'origine des faiblesses et des contradictions que vous devez nous développer pour nous en guérir. Massillon avouait sans détour que c'était celui de ses livres qui l'avait le plus instruit; et le peintre le plus fidèle du cœur humain, l'éloquent et pieux Racine, se vit honoré du plus digne éloge que puisse obtenir un écrivain moraliste, lorsqu'après avoir entendu ces deux vers de ses cantiques :

Mon Dieu! quelle guerre cruelle!

Je trouve deux hommes en moi,

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