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sement de l'orateur missionnaire préparait ainsi l'auditoire, par un court intervalle de repos, au récit très-adroit et trèsintéressant d'une allégorie parfaitement adaptée à son sujet, sans qu'on pût soupçonner jamais son intention, avant le dénoûment de l'espèce de drame dont il se réservait le secret. C'étaient des apologues qu'il tirait d'une allusion ou d'une parabole de l'Ecriture, des Voyages des Missions Étrangères, de la Vie des Saints, de l'Histoire Ecclésiastique, de son imagination, ou de sa mémoire, toujours inépuisable en ce genre si propre à piquer la curiosité des auditeurs, et dans lequel il savait être familier avec éloquence.

Je peux en citer un exemple qui ne manquait jamais de produire un très-grand effet dans sa conférence sur la communion indigne. Après avoir tonné, avec toute la puissance de son zèle, de son talent et de son organe, contre les sacr léges, il s'arrêtait; il se séparait, pour ainsi dire, de son auditoire : il regardait fixement l'autel en levant ses deux mains jointes ; il semblait absorbé dans le respect et dans la douleur devant le tabernacle. Ce silence frappait encore plus que ses paroles; il l'interrompait tout à coup, en disant lentement, les yeux fermés, avec cette demi-voix qu'il savait si bien affaiblir, au lieu de la rendre plus sonnante, quand il voulait commander une grande attention: Les aveugles! les ingrats!.... Que leur dirais-je de plus, s'ils ne partagent pas d'eux-mêmes les transes de ma foi ?........... « Dieu, poursuivait-il en s'asseyant << ou plutôt en paraissant succomber à son abattement, Dieu réveille en ce moment dans mon esprit le souvenir d'une «histoire édifiante, dont vous avez tous autant besoin que moi, pour soulager votre piété du récit et du poids de ces horribles profanations. Il y avait donc, mes frères, très-loin d'ici, dans une ville que je ne dois point nommer, << pour ne pas vous faire connaître les parties intéressées, il y avait, dis-je, un jeune homme d'une très-grande famille, « d'une parfaite conduite, de la plus belle espérance, et qui jouissait dans tout le pays de la meilleure réputation. C'était << un fils unique, connu par son excellent coeur, et qui faisait

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la gloire et les délices de ses parents. Il arriva que d'autres jeunes gens de son âge, avec lesquels il n'avait aucune liaison, se compromirent de la manière la plus grave dans « une très-mauvaise affaire avec sa propre famille, qui << voulut absolument en avoir justice. On leur fit donc leur procès, qui fournit bientôt assez de preuves pour les pou<< voir tous condamner à mort. La désolation était universelle « dans la ville, où ils devaient subir leur triste sort au milieu de la place publique. Notre charitable jeune homme en « fut touché; et, ne voyant point d'autre moyen d'obtenir « leur grâce, poussé par son bon naturel, il sut si bien s'y prendre, que par un effort de la générosité la plus extraordinaire, il intervint comme partie principale dans ce procès criminel, en se substituant lui-même à cette troupe de malheureux. Ce n'est pas tout. Il faut vous dire encore qu'il était le fils du seigneur du lieu; il poussa donc la charité jusqu'à se faire charger juridiquement et à se charger par « son propre fait de toute la responsabilité du crime qu'ils avaient commis, paraissant ainsi l'unique criminel aux yeux de la justice; de sorte que les juges ne virent plus et << ne durent effectivement plus voir que lui seul à poursuivre « et à punir.

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« On l'admira, on le plaignit. Mais la rigueur des formes « et la lettre de la loi obligèrent les magistrats de prononcer <«< contre lui, quoique à regret, un arrêt de mort. Ce <«< fut une consternation générale. Le jour de l'exécution est fixé au lendemain. Par une disposition de la Providence, «< au moment où le bourreau arrive sur la place pour préparer l'échafaud, il est frappé lui-même de mort subite en pré«sence de tout le peuple. On s'écrie sur-le-champ de tous « les côtés que c'est une déclaration manifeste du ciel, et qu'il faut absolument faire grâce au pauvre patient, victime « volontaire du dévouement le plus héroïque. Tous les cœurs déchirés poussent à la fois le même cri en sa faveur. Mais « tout à coup un autre jeune homme fait entendre sa voix au milieu de la multitude: c'était précisément l'un des com

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«plices impliqués dans le même procès criminel, et auquel << un si beau sacrifice venait de sauver la vie. Personne ne « se présente, dit-il, pour dresser l'échafaud: eh bien! je prends sur moi ce soin. Il n'y a point de bourreau! j'en << ferai les fonctions, et je me charge du supplice. Tout le << monde frissonna d'horreur, comme nous tous tant que << nous sommes ici présents, en entendant une proposition « si barbare, que les juges n'étaient pas en droit de rejeter. « Il se mit donc à l'œuvre, et la sentence fut exécutée. Vous frémissez, mes frères ! A la bonne heure ! Mais je suppose que << vous me comprenez. Ce jeune homme si intéressant qui << vient de mourir en quelque sorte devant vous pour le salut « de ses frères, savez-vous qui c'est ? C'est Jésus-Christ, en << son état de victime toujours vivante dans le sacrement de << l'eucharistie! Et ce bourreau d'office, ce bourreau volon«taire, qui est-il? C'est vous tous, pécheurs sacriléges qui << m'écoutez. Jésus-Christ, votre rédempteur et le mien, s'é<< tait donné pour vous une seconde vie par le testament et « par le prodige de son amour. Il semblait pour toujours à « l'abri d'une nouvelle mort dans ce tabernacle. C'est vous tous, malheureux Judas, c'est vous qui avez renouvelé son supplice après sa résurrection; c'est vous qui, par vos com<< munions en état de péché mortel, avez dit, sinon en paroles, au moins par le fait, ce qui est pis encore : Tirez Jésus<< Christ du fond de ce sanctuaire, où il est caché sous les voiles eucharistiques; livrez-le-moi sur cette table sainte : c'est «< moi qui vais le crucifier de nouveau; c'est moi qui veux << élever de mes mains sa croix sur un autre Calvaire ; c'est << moi qui me charge d'être son bourreau! »

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Un prédicateur à la mode se donnerait bien de garde de hasarder un pareil mouvement d'éloquence, si son talent lui en suggérait l'idée ; mais heureusement Bridaine osait être sublime. Ces suppositions oratoires réussissent toujours, et font un merveilleux effet dans la chaire. C'est l'une des parties les plus brillantes de l'abbé Poulle, qui s'enrichissait à propos de ces hypothèses si favorables aux orateurs. Entre autres exem

ples de son art et de ses succès dans l'heureux emploi de cette figure, on peut voir dans son sermon sur la parole de Dieu le parti qu'il sait en tirer, en se demandant à lui-même, et en développant ce que pourrait penser du ministère évangélique un sauvage à qui notre religion et notre langue seraient inconnues, et qui entrerait tout à coup dans le temple, s'il voulait deviner l'objet du discours par l'émotion du prédicateur et par l'indifférence de l'auditoire. « Cet infidèle, ditil, ne s'imaginerait-il pas, en voyant le prédicateur si ému << et les auditeurs si tranquilles, que c'est ici un criminel déjà condamné, qui tâche par toutes sortes de moyens d'atten<< drir et de fléchir une multitude de juges insensibles à son << infortune? >> Cet apologue, rendu en quelque sorte magique par l'action de l'orateur, excitait une commotion d'enthou siasme dans l'assemblée ; j'en indique ici le trait principal, sans oser en rapporter l'ensemble, si près de la véhémence dramatique de Bridaine, qui en éclipserait trop l'éclat.

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XXI. Du choix des sujets.

Le succès de ce genre d'éloquence populaire est infaillible quand on réunit à un organe éclatant des poumons assez robustes pour en soutenir l'énergie, et un tact assez délicat pour en éviter les écueils; d'où il faut conclure qu'il y a une étrange et fatale méprise à rejeter du ministère sacré ces sujets effrayants qui allument l'imagination du prédicateur comme des auditeurs, et mettent à la fois en mouvement toutes les consciences. Outre que la religion est fondée sur ces vérités terribles, dont ses ministres ne sauraient éluder l'exposition, et qu'on redoute d'autant plus d'entendre qu'elles seraient plus efficaces pour opérer des conversions éclatantes; à ne les considérer même ici que sous les seuls rapports de l'éloquence et pour l'unique intérêt du talent, je ne connais point de matières qui ouvrent un plus vaste champ à l'art oratoire; et l'orateur chrétien qui les dédaigne ou ne sait pas en enrichir ses compositions renonce évidemment à ses plus grands avantages. Le véritable beau, le beau idéal de tous les arts libéraux,

ne se trouve que dans la haute sphère du culte, de la langue, des idées, des sentiments et des images de la religion.

Mais lorsqu'on présente ces objets de terreur à une assemblée de fidèles, on ne saurait trop se dire à soi-même qu'il vaudrait mieux laisser les pécheurs dans l'apathie, que de les précipiter dans le désespoir; que passer le but, ce n'est plus l'atteindre; que l'Évangile est une loi de charité, et non pas un code de fureur; que le rigorisme désolant d'une morale outrée serait un démenti donné par l'orgueil et par l'ignorance à celui qui a dit que son joug était doux et son fardeau léger; que les hommes étant malheureusement si faibles, et leur nature revenant simplement à son propre fonds toutes les fois qu'elle pèche, leurs fautes doivent inspirer plus de commisération que de courroux ; qu'un prédicateur n'est point le ministre des vengeances du ciel, mais l'heureux interprète de ses miséricordes ; qu'au lieu de rebuter les pécheurs, il doit donc les toucher, les attirer, les ramener par la crainte à l'amour, s'interposer entre le juge et les coupables, pour obtenir grâce et pardon à tous les malheureux qui se repentent avec un cœur brisé de douleur ; ne menacer jamais que pour attendrir, enfin tempérer toujours la rigueur de la loi par l'attrait de la clémence. Ah! sans doute, il serait trop dur et trop triste de ne faire entendre que des menaces et des anathèmes à des 'hommes qu'on gagne beaucoup plus sûrement par des espérances et par des consolations!

Choisissez de préférence, mais avec cette mesure, et sans craindre qu'ils fassent déroger votre talent, des sujets religieux et vastes, qui vous placent au milieu de la conscience de vos auditeurs, et qui, en les environnant sans cesse de l'horizon de l'éternité, embrassent tous les grands intérêts de l'homme chrétien. Méfiez-vous de ces sujets intermédiaires qui circonscrivent l'orateur dans des bornes trop étroites, qui ne tiennent à aucun précepte de l'Évangile, et qu'on ne peut lier à la religion par les fils les plus minces qu'à force de subtilité, ou qui rentrent dans tous les autres discours de morale; de ces sujets frivoles dont la surface paraît brillante,

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