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juger de l'éloquence du seizième siècle. Ce sermon brille de loin en loin de quelques éclairs de beautés oratoires au milieu d'une épaisse fumée; mais il est écrit sans ordre et sans goût, et il offre quelquefois un mélange indécent de l'Écriture sainte et de la mythologie. L'évêque de Bitonto dit « que la << nature nous a donné deux mains, deux yeux et deux pieds, << afin que l'homme soit l'abrégé d'un concile, en se servant à << la fois de tous ses membres, parce qu'une main en lave une << autre, et que le pied soutient l'autre pied. » On citerait de ce discours vingt pages du même style, de la même couleur et du même genre d'esprit : il n'en faut qu'une seule pour apprécier le mérite d'un pareil orateur, quand on le rapproche de Bossuet. Ce n'est plus ainsi qu'il est permis de parler dans la chaire, depuis que ce grand homme en a fait le trône de la véritable et de la plus sublime éloquence.

XIX. De l'interrogation.

Aussi le temps, que Montaigne appelle le grand justicier du passé, le temps, qui dévore toutes les réputations usurpées, ajoute-t-il chaque jour une nouvelle splendeur à l'auréole de cet immortel écrivain; et j'observe avec joie que ce prince des orateurs, auquel on osait autrefois comparer Fléchier dans les colléges, et dont le mérite prodigieux était indignement méconnu durant ma première jeunesse par je ne sais quelles coteries littéraires, est enfin universellement admiré depuis qu'on a renoncé au goût ridicule de l'éloquence académique, et que sa dénomination même a si heureusement disparu parmi nous. Il est, quoi qu'en puisse dire une vieille prévention, du moins autant qu'un orateur peut et doit l'être, aussi soutenu et d'un aussi bon goût qu'il est sublime. La véhémence qui le caractérise, ainsi que Démosthène, me semble avoir sa principale source dans les interrogations

« Quemadmodum et ipsa natura, manus nobis geminas, geminosque oculos, pedes item geminos ideo dedisse videtur, ut quasi collecto concilio homo semper agat; nam et manus manum lavat, pes pedem sustentat. » Oratio Cornelii, ep. Bitont.

accumulées qui leur sont si familières à l'un et à l'autre. En effet, de toutes les figures oratoires la plus dominante et la plus rapide c'est l'interrogation; mais si on l'emploie dans le développement des principes sur lesquels le discours est appuyé, elle y répand une obscurité inévitable et une espèce de déclamation et de vague qui dégoûte les bons esprits. C'est après une exposition lumineuse du sujet et des devoirs de l'homme, que les droits et les détails de la morale, animés par ce mouvement entraînant, mettent en scène et, en quelque sorte, aux prises l'orateur et l'assemblée, imposent silence à tous les prétextes de la mauvaise foi et aux vaines excuses de la faiblesse, frappent fortement les auditeurs, ajoutent le remords à la conviction, arment, pour ainsi dire, la loi contre la conscience, ou plutôt la conscience contre elle-même. C'est par des interrogations pressantes et réitérées que l'orateur, comme le poëte tragique, démontre et attaque, accuse et répond, affirme et prouve en employant les formules du doute, émeut et instruit, éclaire et confond, et porte le flambeau effrayant de la vérité jusqu'au fond d'une âme désabusée, à laquelle il ne reste plus ni erreurs, ni illusions, ni paroles, ni d'autre langue que les larmes. Y a-t-il en éloquence une voie plus sûre pour remuer le cœur humain que ces questions entassées, dont on n'a pas besoin d'attendre la réponse, parce qu'elle est inévitable et uniforme? Peut-on mieux ménager l'orgueil du coupable qu'en lui épargnant la honte d'un reproche personnel, au moment même où on l'attaque directement, et où le ministre du ciel le devine sans le connaître, en l'environnant de tous les côtés du souvenir ou du tableau de ses vices? Connaissez-vous une éloquence plus poignante et plus intime? Eh! comment donnerait-on plus de force à la vérité, plus de poids à la raison, qu'en se bornant au simple droit d'interroger une conscience d'autant plus éloquente contre elle-même, qu'elle reste muette pour l'assemblée dans le monologue du remords? Comment le malheureux accusé peut-il échapper à un orateur qui lui ferme toutes les issues par lesquelles il cherche à s'éviter lui-même ; à un ora

teur qui le choisit pour juge, et pour juge unique et suprême, et pour juge secret, dans le fond le plus caché de son propre cœur? Qu'opposera-t-il si les questions générales, dont il fait lui seul autant d'accusations individuelles, se précipitent, se rapprochent, s'enchaînent, se fortifient; et si à ces inculpations accablantes succède tout à coup une grande et touchante explosion d'intérêt et de pitié, qui à la suite de tant de tortures vient calmer ou plutôt agiter dans un autre sens son imagination, en lui faisant éprouver par des paroles de paix et d'amour la plus attendrissante émotion du cœur, et retentit au fond de ses entrailles, comme un cri de grâce, comme un jugement solennel de pardon et de miséricorde, que la religion se hâte d'annoncer au coupable, après l'avoir ainsi confondu? Telle est cette fameuse et sublime apostrophe que Massillon adresse à l'Éternel dans son sermon sur le petit nombre des prédestinés : O Dieu! où sont vos élus? Ces paroles si simples, mais si terribles, répandent une épouvante glaciale et muette comme le désespoir. Chaque auditeur se place luimême dans le dénombrement des réprouvés qui a précédé ce trait; il n'ose plus répondre à l'orateur qui lui demande et redemande s'il est du nombre des justes qui ont conservé leur innocence, ou des pénitents qui l'ont recouvrée aux yeux de la justice divine, et dont les noms seront seuls écrits dans le livre de vie; et, rentrant avec effroi dans son cœur, qui s'explique, pour lui du moins, par sa foi et par ses remords, le pécheur, consterné, croit entendre d'avance l'arrêt irrévocable de sa réprobation.

Le peintre le plus vrai et le plus éloquent du cœur humain, Racine, qui en connaissait si bien tous les secrets et tous les leviers, Racine procède presque toujours par interrogations dans les situations passionnées; et cette figure donne aussitôt la plus vive rapidité à son style, anime, abrège et échauffe tous ses raisonnements, qui ne sont jamais ni froids, ni languissants, ni abstraits. Quels coups de tonnerre que ces interrogations si courtes, si promptes, et si terrassantes d'Hermione à Oreste, qu'elle écrase par son désaveu, au moment

même où il s'attend à être récompensé du meurtre qu'elle lui a commandé, en lui promettant sa main à ce prix :

Pourquoi l'assassiner? Qu'a-t-il fait? A quel titre?
Qui te l'a dit?......

Eh! pourquoi, dirai-je ici, pourquoi donc l'éloquence sacrée ne serait-elle pas susceptible de la même véhémence dans les sujets et dans les situations pathétiques? Le succès de ce mouvement oratoire est infaillible en chaire, quand il est bien placé : c'est le langage naturel d'une âme profondément émue; et si l'on veut en admirer un autre exemple consacré par l'autorité d'un grand maître, il en est un fameux qui doit se présenter ici à l'esprit de tous les lecteurs. On connaît ce beau début de Cicéron, qui, ne pouvant contenir la vive indignation de son zèle patriotique, s'élance brusquement sur Catilina, et le renverse aussitôt par l'impétuosité de ses interrogations : « Jusques à quand abuseras-tu, Catilina, de notre patience? Combien de temps serons-nous encore l'objet de <«< ta fureur? Jusqu'où prétends-tu pousser ton audace crimi« nelle? Ne reconnais-tu pas à la garde qu'on fait continuel<«<lement dans la ville, à la frayeur du peuple, au visage irrité « des sénateurs, que tes pernicieux desseins sont découverts? « Crois-tu que j'ignore ce qui s'est passé la nuit dernière? << N'as-tu pas distribué les emplois, et partagé toute l'Italie << avec tes complices 1? » Voilà l'éloquence! voilà la nature ! c'est en parlant ainsi son langage que l'orateur perce de ses traits, dans toute sa profondeur, un cœur assiégé de remords. Quand on lit ces foudroyantes Catilinaires, on applique sans cesse à Cicéron ce qu'il a dit de Démosthène, ce que je me

་་

« Qousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? quamdiu etiam furor iste tuus nos eludet? quem ad finem sese effrenata jactabit audacia? Nihil ne te nocturnum præsidium palatii, nihil urbis vigiliæ, nihil timor populi, nihil concursus bonorum omnium, nihil hic munitissimus habendi senatus locus, nihil horum ora vultusque moverunt! Patere tua concilia non sentis! Quid proxima, quid superiore nocte egeris, ubi fueris, quos convocaveris, quid concilii ceperis, quem nostrum ignorare arbitraris! etc. In Catil. Orat. I.

plais à répéter ici pour lui en faire hommage à lui-même, en gravant, avec tout l'enthousiasme qu'inspirent leurs chefsd'œuvre, les noms immortels des deux orateurs d'Athènes et de Rome sur la dernière borne de l'art oratoire. IL REMPLIT, dit-il, L'IDÉE QUE JE ME SUIS FORMÉE DE L'ÉLOQUENCE, ET IL ATTEINT CE BEAU IDÉAL, CE HAUT DEGré de perfecTION QUE J'IMAGINE, MAIS DONT JE N'AI JAMAIS TROUVÉ D'AUTRE EXEMPLE.

XX. De l'éloquence de M. Bridaine.

S'il reste encore parmi nous quelques traces de cette éloquence antique et nerveuse, qui n'est autre chose que le premier cri de la nature imité ou répété par l'art, c'est dans les missions, c'est dans les campagnes qu'il faut aller en chercher des exemples. Là des hommes apostoliques, véritables et dignes orateurs du peuple, doués d'une imagination forte et hardie, ne connaissent point d'autres succès que les conversions, point d'autres applaudissements que les larmes. Quelquefois, dénués de goût, ils descendent à des détails trop familiers, j'en conviens; mais ils font brèche, mais ils arrivent au but, mais ils vont se placer au milieu des consciences, mais ils enflamment l'imagination, mais tout est ou devient peuple en leur présence : ils frappent fortement les sens, la multitude les suit et les écoute avec enthousiasme, enfin plusieurs d'entre eux ont des traits sublimes; et un orateur ne les entend point sans utilité, quand il sait observer et reproduire les grands effets de l'art.

J'ai regretté souvent avec surprise, pour l'intérêt de l'éloquence autant que pour le triomphe du ministère, que la chaire, si riche parmi nous en chefs-d'œuvre, ne se fût point encore illustrée au même degré dans la carrière des missions, dont Fénelon eût été si digne de nous donner la poétique, au retour de son premier apostolat dans les campagnes de l'Aunis et de la Saintonge. Depuis saint Vincent de Paul, qui s'était signalé par de grands succès, nous avons eu plusieurs missionnaires renommés en France; mais, soit que leurs ser

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