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« On ne peut, dit-il, commencer la vie de saint Louis par rien de plus élevé que sa naissance; et cette longue suite de rois dont il a tiré son origine ouvrirait avec pompe ce discours, si je n'étais persuadé que les avantages les plus illustres, et de la nais«sance et de la fortune, ne méritent jamais d'être relevés dans les chaires chrétiennes. Ils sont trop au-dessous de la dignité d'un « lieu sanctifié par la parole de l'Evangile pour n'être pas ense« velis dans le silence. Mais ce silence, sire, est peut-être ce qui « sera le plus instructif dans ce discours. Il apprendra à votre majesté que cette haute naissance qui, par un privilége dû aux seules maisons dont vous sortez, vous sépare du commun des rois, n'est rien devant Dieu, puisque je n'ose seulement pas la « faire entrer en part des éloges que je donne à un de vos prédé«cesseurs, dans cette chaire qui est pourtant le véritable lieu des louanges, puisque c'est celui d'où l'on les doit distribuer selon le poids du sanctuaire. De sorte que le seul avantage véritablement « solide que vous pouvez tirer de ce grand nombre de monarques que vous avez pour aïeux est la connaissance de l'obligation que « vous avez de songer, plus souvent que tous les autres princes « de la terre, que vous êtes mortel, parce que vous comptez plus « d'ancêtres qui vous enseignent cette vérité par leurs exemples; " et cette considération, dès le commencement de votre vie, vous « doit tous les jours humilier devant Dieu, même en vue de ce que << vous avez de plus grand dans le monde, à la différence des autres hommes, qui trouvent assez de sujets dans eux-mêmes, « même selon la terre, pour abaisser leur orgueil; et toutefois ou<< vrons ici nos consciences: confessons-nous publiquement à la vue «< du ciel et de la terre. N'est-il pas vrai que, sans descendre du sang des rois, la moindre chimère, assez souvent ridicule, même selon <«<le monde, nous emporte à des vanités criminelles contre les ordres « du ciel? >>

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La naissance des rois ne saurait rendre cette leçon absolument exclusive à Louis XIV et à son trône, puisque dans toutes les autres familles régnantes, et même dans les conditions privées, on est également assuré de la mort de tous ses ancêtres, quoiqu'on ne connaisse pas si bien leur histoire. Il n'est donc pas rigoureusement vrai que les rois comptent plus d'ancêtres qui leur enseignent cette vérité par leur exemple. Après cette tirade de déclamation, où un sévère esprit de critique peut relever un paradoxe appuyé sur un sophisme, le cardinal de Retz parle au mo

narque enfant, de la reine Anne d'Autriche, pour lui inculquer l'obéissance qu'il doit à sa mère; mais l'orateur ne lui donna pas longtemps l'exemple de cette soumission à la régente.

Le jour où ce discours fut prononcé à Paris devant Louis XIV et Anne d'Autriche présente une date singulièrement remarquable. Ce fut le 25 août 1648 que le coadjuteur, qui était déjà secrètement l'un des chefs de la Fronde, prête à éclater le lendemain, fit entendre au jeune roi cette instruction sur la piété filiale, tandis qu'il était lui-même littéralement à la veille de se déclarer en état de pleine révolte contre la mère du roi. Lisez, en effet, l'abrégé historique du président Hénault, sous la même année 1648: vous y trouverez que le 26 du mois d'août, c'est-à-dire le lendemain de son sermon, le cardinal de Retz, dont toute la fortune alors se bornait à l'expectative de l'archevêché de Paris, ordonna de barricader les rues de la capitale. « Le cardinal Mazarin, dit-il, crut «< que le jour où l'on chantait le Te Deum à Notre-Dame pour le gain de la bataille de Lens, qui était le 26 août, serait une oc«casion favorable pour faire arrêter le président Potier de Blanc« Ménil et Broussel... Cet emprisonnement fit plus de bruit qu'on << ne s'y était attendu. Le peuple les redemanda. Bientôt les chaînes « furent tendues dans Paris : c'est ce qu'on appelle la journée des « barricades; et la reine fut obligée de rendre les prisonniers... A « la tête des frondeurs étaient le duc de Beaufort, de Retz, coadju«teur de Paris, qui fut depuis cardinal, la duchesse de Longueville, « le prince de Marsillac, le prince de Conti, le duc de Vendôme, le « duc de Nemours, le duc de Bouillon avec le maréchal de Turenne « son frère, et le maréchal de la Mothe. >>

Le cardinal de Retz se souvint toujours, et il prenait plaisir à raconter dans la suite, qu'un bourgeois, impatient de voir les ordres du prélat promptement exécutés et les chaînes tendues à tous les carrefours, l'importuna plusieurs fois de cette question, qu'il fut obligé de se faire répéter pour en comprendre le sens, et que Boileau citait de préférence, d'après lui, en parlant de l'harmonie du style, comme une telle cacophonie, que l'oreille ne pouvait plus distinguer si c'était de l'arabe ou du français : MONSEIGNEUR, QU'ATTEND-ON DONC TANT? ET QUE ne les tend-ON?

Voici maintenant l'instruction pastorale adressée en chaire par le cardinal de Retz à Louis XIV, sur la piété filiale, dans le panégyrique de saint Louis.

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Sire, je ne prétends pas vous toucher en ce point par des exemples.

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• Les obligations que vous avez à la reine votre mère parlent plus puissamment à votre cœur que toutes mes paroles ne se sauraient

« faire entendre à vos oreilles. Vous êtes l'enfant de ses larmes et ⚫ de ses prières; elle vous a porté au trône sur des trophées : vous « êtes conquérant sous sa régence; et, ce qui est sans comparai« son plus considérable que tous ces avantages, elle vous instruit soigneusement à la piété. Je vous ai dit ces vérités de la part « du clergé de votre royaume : je me sens forcé par un instinct « secret de les répéter encore aujourd'hui à votre majesté, de la part « de Dieu, non pour vous exhorter à l'obéissance que vous lui de« vez, de laquelle l'auguste sang qui coule dans vos veines et ce beau naturel que l'Europe admire dans les commencements de « votre vie ne vous permettront jamais de vous dispenser, mais ⚫ pour prendre sur ce fond un juste sujet de vous expliquer en peu « de paroles la plus importante et sans doute la plus nécessaire des << instructions: c'est, sire, la distinction du droit positif de votre << royaume, et du droit naturel qui oblige tous les hommes. Le droit positif de votre État fait que la reine votre mère est votre sujette, « et ainsi il la soumet à votre majesté. Le droit naturel, qui est au<< dessus de toutes les lois, fait que vous êtes son fils, et ainsi il « vous soumet à elle. Distinguez, sire, ces obligations: elles ne a sont point contraires, mais il les faut entendre. Je ne les touche qu'en passant, parce que je ne doute pas que la sainte éducation « que vous recevez ne vous permettra point de les ignorer. Aussi « est-ce en cet endroit, et en ce point et en plusieurs autres, la « connaissance la plus importante et la plus nécessaire aux princes. « Saint Louis n'eut pas plus tôt atteint un dge raisonnable qu'il « se trouva enveloppé dans une grande et difficile guerre, émue « par quelques princes mécontents dans son royaume, etc. »

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Ce qui est souligné dans cette citation était ou a pu paraître ensuite une prédiction énigmatique, dans la bouche du cardinal de Retz, la veille des troubles de la Fronde.

Je ne saurais finir cette note sans y ajouter quelques lignes, dans lesquelles la verve du cardinal de Retz fut excitée à un magnifique élan oratoire par le spectacle de la mort de saint Louis. « Je m'arrête, dit-il, contre mes sentiments, pour voir mourir ce grand «< monarque, mais non pas pour parler de sa mort. On peut exagérer la mort des hommes ordinaires, parce qu'assez souvent «< on n'en est ému qu'après de longues réflexions; mais celle des grands rois touche par la seule vue de leurs tombeaux. Saint

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<< Louis étendu sans sentiment, dans un pays ennemi, sur une terre étrangère, marque plus fortement la vanité du monde, que << tous les discours qu'on pourrait faire sur ce sujet. Et à ce triste spectacle je me contente de m'écrier avec le prophète : Ubi glo« ria Israel? Où est la gloire d'Israel? Où est la grandeur de la << France? Où est cette florissante noblesse? Où est cette puissante << armée? Où est ce grand monarque qui commandait à tant de légions? Et au même moment que je fais ces demandes, il me semble « que j'entends les voix confuses et ramassées de tous les hommes

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qui ont vécu dans les quatre siècles écoulés depuis sa mort, qui « me répondent qu'il règne dans les cieux. >>

Il y a sans doute de l'éloquence dans ce tableau. Toutes ces questions rapides et touchantes réunissent l'intérêt et l'éclat de l'apostrophe la plus oratoire, depuis les mots, saint Louis étendu, etc., jusqu'à la dernière de ces vives interrogations; et c'est la réponse par laquelle se termine un si beau mouvement, que j'ai cru pouvoir annoncer plus haut comme un trait sublime.

FIN DES NOTES.

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