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duc de Beaufort, le roi des halles, que celle de Mascaron, prononcée dans l'église de Paris en 1670. Il n'en existe aucune sur le même sujet dans la collection de Fromentières, quoiqu'il rappelle lui-même, dans la première phrase de son discours sur la réparation d'un sacrilége, en présence de l'assemblée générale du clergé, dans l'église des Cordeliers à Pontoise, qu'il avait préché peu de jours auparavant devant le même auditoire, aux services de madame et de monsieur de Beaufort. Ce n'était probablement pas un éloge funèbre on ne le trouve nulle part; et l'on n'en cite pas moins ce discours inconnu comme une seconde preuve du plagiat de Fléchier, en l'accusant d'en avoir copié le texte et l'allégorie de Machabée, pour célébrer la mort et le triomphe de Turenne.

Cependant les oraisons funèbres de Fromentières, si vainement réclamées dans cette discussion de plagiat, me fournissent deux observations relatives à l'objet de cette note.

La première, c'est qu'un texte tiré de l'Écriture sainte appartient également à tous les orateurs sacrés. C'est l'heureux usage qu'on en fait qui en établit la propriété. Ainsi Bossuet eut tout droit et toute raison, en prononçant l'oraison funèbre de Henriette de France, reine de la Grande-Bretagne, de choisir un texte si frappant et si beau après la révolution d'Angleterre, et au milieu des funérailles de la veuve de Charles Ier, quoiqu'il eût été employé, quatre ans auparavant, mais sans analogie comme sans effet, par Fromentières, pour l'éloge de la reine régente Anne d'Autriche: Et nunc, reges, intelligite, erudimini, qui judicatis terram. Maintenant, ô rois ! apprenez; instruisez-vous, juges de la terre. Psal. 11, vers. 10.

Ma seconde observation se rapporte à une phrase de Fromentières, qui se trouve au commencement de la première partie de l'oraison funèbre de Péréfixe. L'orateur dit, en parlant du frère de ce prélat, tué au siége de Dôle, qu'il se trouva enseveli dans son propre triomphe Fromentières avait pris lui-même à Lingendes, comme je l'ai déjà relevé, cette magnifique expression; mais, toute belle qu'elle est, elle ne fit aucun effet sous la plume de ces deux orateurs, parce que les sujets auxquels ils voulurent l'adapter ne pouvaient soutenir un pareil éloge : on l'admira très-justement dans la bouche de Fléchier, qui sut la rendre neuve, vraie et sublime, en se l'appropriant pour l'appliquer à la mort et au triomphe de Turenne.

Instructive singularité, bien propre à dégoûter les plagiaires ! Fléchier emprunte d'un orateur oublié, trois ou quatre fois dans l'un de ses discours, environ dix lignes très-peu saillantes, qui, loin de con

courir à son succès, compromettent jusqu'à son goût et lui attirent les plus sévères critiques, et l'on se prévaut de cette découverte pour lui enlever, pour attribuer même à l'auteur ainsi copié tous les traits les plus originaux du meilleur de ses propres ouvrages!

NOTE IV, PAGE 119.

Voici sur tous ces objets le témoignage très-succinct, mais très-suffisant, du président Hénault, dans son Abrégé chronologique de l'Histoire de France, sous la date de 1668.

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Abjuration de Turenne, le 23 octobre. Il commençait depuis longtemps à entrevoir la vérité, mais il tenait encore à l'erreur par les préjugés de l'éducation, et par l'attachement qu'il portait à << madame de Turenne, sa femme, fille du duc de la Force, calviniste « de bonne foi. Sa mort, arrivée en 1666, et les instructions de M. de Meaux, achevèrent de décider M. de Turenne. Ce fut pour lui qu'il <«< composa son livre de l'Exposition de la Foi, ouvrage raisonnable « et solide, que les protestants laissèrent sans réplique, et qui justi«fie surtout l'Église romaine des superstitions ridicules qu'on lui impute.

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Ce témoignage a d'autant plus de poids pour assurer à Bossuet la principale gloire de la conversion de Turenne, que le président Hénault était incontestablement, de nos jours, le témoin le plus digne de foi, comme l'homme de France qui savait le mieux l'histoire du règne et de la cour de Louis XIV, dont il avait connu plusieurs grands personnages. Il conserve partout, dans ses réflexions et dans ses récits, un esprit juste, impartial, circonspect; et il se montre fort éloigné d'affirmer ce qu'il ne pourrait pas prouver. Cet écrivain mérite d'ailleurs d'autant plus de confiance sur les anecdotes historiques du dix-septième siècle, qu'il en est très-sobre dans son Abrégé chronologique.

On trouve dans le recueil des discours prononcés à l'Académie française l'éloge particulier de Bossuet par l'abbé de Choisy, le jour de la réception du cardinal de Polignac, successeur de l'évêque de Meaux. Cet orateur de notre premier corps littéraire était très-lié avec le cardinal de Bouillon; et son témoignage, qui doit être pour nous de la plus imposante autorité, puisque aucun de ses contemporains ne se permit de lui opposer la moindre réclamation, attribua solennellement, dans cette séance publique, au seul Bossuet et à son Exposition de la Foi toute la gloire de l'abjuration de Turenne.

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"Dans les conférences, dit l'abbé de Choisy, page 7 de cet éloge, les plus habiles, les plus fameux adversaires de Bossuet ne te« naient pas devant lui; et, ne voulant pas se rendre à la force de son raisonnement, ils ne trouvaient d'excuse à leur défaite visible que dans la véhémence de son discours et dans la vivacité de ses réparties. Alors commença véritablement le triomphe de la religion catholique... Un héros, de tous les côtés grand maître dans l'art «<de la guerre, n'a pas dédaigné de recevoir ses instructions. Turenne, « le grand Turenne se rendit à la vérité, et soumit aux pieds de "Bossuet cette âme hautaine que tant de victoires avaient accoutumée « à l'indépendance; et dans toute la suite de sa vie, pénétré de re«< connaissance pour les grâces reçues, altéré de grâces nouvelles, il «< venait puiser dans la source où il avait trouvé sa guérison... Ce << fut en cette occasion, et pour un si grand sujet, que parut le livre a de l'Exposition de la Foi (on ne l'imprima que deux ans après) : livre admirable, qui, dans une noble simplicité, expose si claire<< ment toutes les vérités de la religion; qui, en ouvrant les yeux à << tant d'âmes aveuglées, les a fait rentrer dans la bonne voie... Ainsi Bossuet, par ses écrits et par ses conférences avec les hérétiques, << en dissipant leurs préjugés, leur aplanissait le chemin du ciel. » Nous n'avons besoin ni de produire d'autres preuves pour assurer la gloire de Bossuet, ni d'entrer dans d'autres détails sur la conversion de Turenne, qui fut son plus beau triomphe. On assure que les causes et les circonstances de cette abjuration se trouvent développées dans des manuscrits qui seront probablement publiés un jour. Je ne les connais point, je n'en puis rien dire. Toutes les personnes instruites savent que le cardinal de Bouillon se plaisait à jouir, dans sa petite cour, de l'honneur d'avoir converti ce grand homme. Il était neveu de Turenne il fut l'ami et le défenseur officieux de Fénelon; et il avait toutes les préventions de la jalousie contre Bossuet, auquel son amour-propre enviait une si honorable victoire. Malheureusement pour ses flatteurs, l'opinion qu'on avait de son esprit et de ses connaissances théologiques ôtait toute espèce de crédit à une pareille prétention. Ses courtisans les plus dévoués n'osèrent jamais porter l'excès de la flatterie jusqu'à le présenter au public comme le principal mobile de cette abjuration. L'on comptait parmi eux l'oratorien Mascaron, qui eut assez d'esprit et de pudeur pour conserver beaucoup, de mesure quand il voulut décerner en chaire cette apparence d'hommage à son protecteur. Voici avec quelle réserve il sut faire au cardinal de Bouillon sa part de gloire, en portant la courtoisie aussi loin

que pouvaient le permettre les bienséances oratoires, dans la troisième partie de son éloge funèbre de Turenne :

<< Les bénédictions, dit-il, et les applaudissements ne s'arrêtèrent << pas à cet illustre converti; ils passèrent jusques à ce cher et illustre « neveu qui, par ses conférences fréquentes, avait contribué si effi«cacement à la conversion de ce grand homme. Certes, messieurs, << si pour mériter l'honneur du triomphe parmi les Romains, et << pour monter au Capitole avec la pourpre, il fallait avoir étendu << les bornes de l'empire et défait des armées considérables; quand << la grandeur de la naissance, la profondeur du savoir, l'inno<< cence des mœurs, une sagesse consommée dans une grande jeu«<nesse, n'auraient pas assuré à ce prince la plus éminente dignité de l'Église, il suffisait d'avoir CONTRIBUÉ POUR QUELQUE << CHOSE à la conquête de cette grande âme pour mériter d'entrer << en triomphe, et couvert de la pourpre sacrée, dans le Capitole du « monde chrétien. 1)

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L'orateur regrette sensiblement de ne pouvoir pas dire que le neveu a été fait cardinal pour avoir ramené l'oncle dans le sein de l'Église ; il le loue modestement d'y avoir contribué pour quelque chose. L'éloge serait mince pour le véritable ministre de la conversion de Turenne. Mascaron respecta l'opinion publique, et n'osa pas aller plus loin en présence même du cardinal de Bouillon, qui officiait à cette cérémonie; mais s'il ne flatta pas davantage sa vanité, il la consola du moins en ne proférant pas le grand nom de Bossuet, qui l'eût trop éclipsé, et qu'une époque si solennelle dut rappeler à tous les esprits, précisément parce que l'orateur l'oubliait. C'était retrancher saint Ambroise de la conversion d'Augustin.

Au surplus, le cardinal de Bouillon et plusieurs autres grands personnages, tels surtout que le duc d'Albret, avaient fort bien pu contribuer, comme l'insinue Mascaron, à disposer favorablement l'esprit de Turenne en faveur de l'Église catholique. Un homme si considérable, auquel le cardinal de Richelieu avait offert en vain, dans la plénitude de sa toute-puissance, une de ses nièces en mariage, à condition qu'il professerait la foi catholique; un homme doué d'une telle justesse et d'une telle solidité d'esprit, qui s'occupait sérieusement de l'étude de la religion depuis la mort de sa femme, très-zélée calviniste, et bien plus encore depuis la conversion du duc de Bouillon, son frère aîné, auquel il ne voulut pas se joindre, avait sans doute beaucoup de relations de société qui pouvaient préparer de loin son esprit à ce grand changement. Mais on savait,

plusieurs mois avant son abjuration, que Bossuet avait été admis à son conseil de conscience, et qu'il avait avec lui des conférences suivies, dont l'objet ne devait paraître équivoque à personne. Or, des que Bossuet fut appelé à une pareille discussion, la supériorité de son génie, l'ascendant de sa réputation, le mérite éminent de ses ouvrages, le souvenir et l'éclat de ses victoires en ce genre, persuadèrent à toute la France, au moment surtout où Bossuet venait de composer l'Exposition de la Foi, qu'un tel controversiste ne figurait pas en seconde ligne dans de semblables occasions; et Bossuet dut être placé par l'opinion publique, comme il l'a été depuis par l'histoire, à la tête des théologiens qui concoururent à ce grand triomphe de la vérité.

Puisque j'ai rappelé dans cette note l'oraison funèbre de Turenne par Mascaron, j'ajouterai ici à ce que je dis de ce discours dans le texte de mon ouvrage, qu'en traitant le même sujet, l'orateur est resté néanmoins au-dessous de Fléchier. L'exorde et toute la première partie de Mascaron sont d'un style de narration d'une extrême faiblesse et d'une couleur très-commune, à l'exception de deux ou trois beaux mouvements que son sujet lui inspire. Mais, depuis le milieu de la seconde partie jusqu'à la fin de la péroraison, il signale son talent par de fréquentes et grandes beautés, des idées lumineuses, des traits fins et saillants, dont rien n'approche dans ses autres ouvrages; et j'avoue que dans plusieurs endroits il fait mieux connaître Turenne et le fait aussi beaucoup plus aimer que Fléchier. Il y déploie surtout une verve oratoire et une éloquence entraînante qu'on chercherait inutilement dans le discours de l'évêque de Nîmes. Mascaron n'avait ni le goût, ni l'élégance, ni l'imagination, ni l'harmonie, ni le coloris de son rival. En montrant dans Turenne le grand capitaine, le sage et le chrétien, il a la maladresse de raconter et de célébrer la mort de son héros à la fin de sa première partie. Avec un mérite distingué comme prédicateur, il se montre aussi trop didactique, trop raisonneur, trop moraliste, et veut paraître un peu trop érudit dans l'oraison funèbre : genre d'éloquence, dit très-bien Voltaire, qui demande de l'imagination et une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poésie, dont il faut toujours emprunter quelque chose, quoique avec discrétion, quand on tend au sublime (Siècle de Louis XIV, chap. XXXII, des Beaux-Arts).

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