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jugements de Dieu, et sa fameuse exhortation pour les prisonniers.

Ce dernier discours est écrit avec autant d'onction que de naturel; mais les idées et les mouvements oratoires ne s'y élèvent jamais jusqu'au sublime. C'est le ton du sujet, ce n'en est pas tout l'intérêt, et bien moins encore toute la profondeur. Le style de Cheminais, plein de douceur et de mollesse, annonce un très-heureux talent; ses sermons respirent une éloquence attrayante et affectueuse, dont le charme fait regretter que cet écrivain, condamné par la nature à des infirmités habituelles, n'ait pas assez vécu pour remplir toute sa carrière oratoire. Il semblait appelé à se montrer le plus touchant des prédicateurs; et le père Bouhours le désigne avec raison comme l'Euripide de la chaire.

LXXVI. De la Péroraison.

Mais si l'onction est nécessaire à un discours chrétien, c'est surtout la péroraison qui lui est assignée comme son plus riche domaine c'est là qu'on s'attend à la voir triompher; c'est là que l'orateur doit mettre en jeu tous les ressorts de la sensibilité, et frapper les plus grands coups de l'éloquence. << Il faut, dit Quintilien, réserver pour la péroraison les plus «< vives émotions du sentiment. C'est ici, ou jamais, qu'il nous «< est permis d'ouvrir toutes les sources de l'éloquence, et de déployer toutes ses voiles. Il en est d'un ouvrage oratoire << comme d'une tragédie : c'est à la catastrophe du dénoûment <«< que le théâtre doit retentir d'applaudissements universels'. »

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Tout homme qui sait écrire n'a pas besoin d'être orateur pour prendre le ton de l'éloquence, quand il est bien pénétré lui-même de ce qu'il veut exprimer ou inspirer, pourvu toutefois que son émotion ne domine pas trop puissamment son génie. Un sentiment vrai est toujours touchant, et par consé

« Omnes affectus... ut cum ex his plurima sint reservanda. At hic, si usquam, totos eloquentiæ aperire fontes licet, tota possumus pandere vela... Tunc est commovendum theatrum; cum ventum est ad ipsum illud quo veteres tragœdiæ clauduntur. » Lib VI, cap. I, ad finem,

quent naturellement éloquent. C'est ainsi que Quintilien s'élève fort au-dessus de la gloire de tous les rhéteurs et de la sienne propre, dans l'avant-propos du sixième livre de son Institution oratoire, où il fait partager à ses lecteurs sa désolation paternelle, en déplorant avec amour la mort de son fils unique, dont il parle comme d'un prodige. Cet éloge funèbre est sans comparaison le plus beau morceau de son ouvrage. J'exhorterais volontiers les candidats de la chaire qui veulent se former le goût par d'instructives comparaisons à se proposer pour modèle une si excellente étude, et à traduire, avec les passages les plus animés de Cicéron, ce morceau touchant de Quintilien, depuis les mots mihi filius minor quintum egressus annum, etc., jusqu'à la dernière phrase, dont la rebutante philosophie fait tomber le livre des mains, parce qu'elle est beaucoup trop stoïque dans la bouche d'un bon père, qui ne devrait pas se dire à lui-même, pour se consoler de la perte d'un enfant chéri, que personne n'est longtemps malheureux, si ce n'est par sa faute. Nemo nisi sua culpa diu dolet1.

On regrette en admirant une preuve si intéressante de la sensibilité de Quintilien, qu'il ne l'ait pas plus souvent développée dans son ouvrage; qu'au lieu de se borner, dans son Institution, à manifester la justesse de son esprit et la délicatesse de son goût, il n'ait pas laissé parler un peu plus fréquemment son cœur et son âme, en écrivant un chefd'œuvre où l'on voudrait voir ses leçons en action et le trouver éloquent lui-même, quand il parle si bien de l'éloquence.

Voilà un exemple mémorable de l'art, ou plutôt de l'intérêt, avec lequel un simple rhéteur s'insinue très-avant dans les âmes sensibles, par le seul épanchement de sa douleur : voici maintenant comment un orateur sacré a su émouvoir plus vivement encore son auditoire par un récit très-court, très-simple, et très-propre à faire partager sa tendre admiration

C'est dans ce même morceau que Quintilien a consigné une triste observation, qui n'est malheureusement que trop bien fondée, au sujet de la mort prématurée des enfants dont l'esprit se montre extrêmement précoce. « Observatum est celerius occidere festinatam maturitat m.

pour le prince dont il prononçait l'éloge au milieu de ses funérailles:

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Vers la fin de l'oraison funèbre du duc et de la duchesse de Bourgogne, le père de La Rue fit éprouver toute la puissance des mouvements pathétiques qu'un orateur peut exciter, en terminant son discours. « Quand la consternation et la dou«<leur, dit Thomas en examinant les oraisons funèbres du père de La Rue, dans son Essai sur les Éloges, chapitre XXXI; quand la consternation et la douleur sont dans <«< une assemblée, il est aisé alors d'être éloquent. La Rue << fit couler des larmes, et par la force de son sujet, et par << les beautés que son génie sut en tirer. » Le panégyriste était touché, il toucha profondément son auditoire. Il osa même parler de lui, et se mettre un instant en scène avec ce prince mourant. Mais avec quelle profonde humilité, avec quel sentiment d'admiration et quel accent de douleur ne le vit-on pas révéler, pour la gloire du duc de Bourgogne, l'une de ses confidences religieuses, sans blesser néanmoins la sainte délicatesse que lui imposait son ministère de confesseur du même prince, dont il prononçait l'éloge funèbre, après avoir reçu ses derniers soupirs! « Quelle joie, s'écrie le père de La Rue, quelle joie pour ce prince dans ces moments où, libre « des affaires, il pouvait penser à Dieu! Penser à Dieu, disait« il, y a-t-il rien de plus doux? Et à qui faisait-il cette confi« dence? à qui? Vous ne le saurez que par mes larmes, et je «< n'en attesterai point autrement la vérité. Penser à Dieu, disait-il; y peut-on trouver de la peine, surtout quand on « est affligé.

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Oh! que cette réponse est à la fois fine et touchante ! Vous ne le saurez que par mes larmes, et je n'en attesterai point autrement la vérité, me semble un trait sublime de sentiment et de situation. Bossuet lui-même n'aurait pu mieux dire.

Tous les sujets de morale peuvent ainsi aboutir à des mouvements pathétiques. L'attention de l'auditoire, qu'il faut toujours ranimer vers la fin d'un sermon, invite le ministre de la parole à couronner l'instruction par des images touchantes,

mêlées à des peintures vives et énergiques, qui remuent fortement les consciences et laissent dans tous les esprits comme dans tous les cœurs une impression profonde.

Quelques rhéteurs établissent comme une règle de l'art oratoire, qu'il faut rappeler dans cette partie d'un sermon ses principaux raisonnements et en présenter l'analyse. Mais une pareille répétition ne rendrait-elle pas le discours languissant si elle ramenait l'esprit de l'auditeur vers des idées dont il ne peut plus être vivement frappé, quand il en a déjà éprouvé et pour ainsi dire épuisé l'intérêt? Cicéron compare un orateur qu'on voit revenir ainsi sur ses pas aux circuits d'un serpent qui achève ses circonvolutions en mordant sa queue. On peut donc, sur la foi de Cicéron, s'élever avec confiance contre cette méthode, qui n'a jamais été suivie par aucun des grands maîtres de l'art.

Si une telle récapitulation de preuves pouvait terminer avec succès un discours, ne serait-ce pas surtout au barreau qu'on l'aurait employée? Or, je n'y en connais aucun exemple. En vain voudrait-on nous opposer l'autorité et le succès de Cicéron dans sa belle harangue des Supplices contre Verrès. L'orateur invoque successivement, dans sa péroraison, tous les dieux et toutes les déesses contre les dilapidations de ce brigand, qui avait pillé leurs temples, et rend ainsi plus frappant le tableau de ses sacriléges déprédations; mais ces apostrophes sublimes ne sont-elles donc qu'une simple répétition sommaire, et ne deviennent-elles pas, au contraire, l'apogée de l'éloquence et le plus beau triomphe oratoire du plaidoyer? Cicéron a prouvé d'abord que Verrès était dépourvu de toute espèce de talent militaire, et il nous l'a représenté comme également incapable de commander une flotte et une armée. Il a rappelé ensuite les excès de ses débauches, de ses concussions, de son avarice et de ses cruautés envers un citoyen romain qu'il avait eu l'insolente lâcheté de faire crucifier sur les côtes de la Sicile, le visage tourné du côté de Rome, afin que les derniers regards de cet infortuné fussent dirigés vers sa patrie, dont Verrès semblait ainsi braver avec plus d'audace

le ressentiment, mépriser le courroux et outrager la puissance. Cicéron oublie tous ces divers attentats à la fin de son discours pour soulever uniquement contre cet impie la religion du peuple romain, en ne reprochant plus à l'accusé que ses sacriléges. Est-ce donc là ne présenter aux juges qu'un simple résumé dans sa péroraison?

Nos plus illustres orateurs ne récapitulent jamais non plus, en finissant un sermon, le plan et les arguments du sujet. Massillon retrace rapidement, il est vrai, quelques-unes de ses preuves, dans la péroraison de son discours sur la certitude d'un avenir; mais, loin de s'appesantir sur les contradictions qu'il reproche aux impies, il se livre à tous les nouveaux élans vers lesquels le poussent alors les mouvements les plus pathétiques et les plus impétueux. D'ailleurs, un exemple unique, dont on pourrait même constater à la fois et le succès et la réalité, ne suffirait pas sans doute pour établir une règle générale de l'art oratoire.

Eh quoi! devrions-nous donc imiter Massillon et Bourdaloue lui-même s'ils s'étaient assujettis à une marche si didactique et si monotone? Qui ne sent combien de pareils corollaires attiédiraient le prédicateur et l'assemblée ? Les résultats d'un discours vraiment oratoire ne se bornent point à de simples conséquences spéculatives. Vous n'avez encore rien fait ou du moins rien gagné quand vous avez établi vos preuves; c'est de ce point qu'il faut partir pour triompher des passions, afin qu'il ne reste plus au pécheur aucune excuse, et que la conviction excite en lui l'émotion qui doit amener le repentir. Or, pour produire de tels effets, laissez là tous vos raisonnements dès que vous les avez suffisamment développés, et croyez, sans en faire l'épreuve à vos dépens, qu'on affaiblit tout ce que l'on répète.

Paraphrasez plutôt en entier, si l'étendue du texte sacré le permet, ou du moins en partie, quelque psaume relatif à votre sujet ; et dans les regrets ou dans les faiblesses de David montrez-moi les remords et les misères de tous les hommes. Je veux apprendre de vous le secret le plus intime de

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