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jets de risée pour les auditeurs qui n'en sont pas émus. Que l'orateur mesure donc et qu'il juge bien ses forces, en « ne se faisant aucune illusion sur le fardeau qu'il s'impose. << Il n'y a point ici pour lui de milieu: s'il ne fait pas pleurer << l'auditeur, il le fait rire à ses dépens1.

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En assistant à des sermons composés par des gens d'esprit, j'ai été plus d'une fois le triste témoin de ces rires involontaires et universels qu'excitent la moindre inconvenance, la moindre équivoque, la moindre allusion qu'on saisit toujours dans une assemblée nombreuse, et qui ne saurait échapper à l'intelligence de personne, dès que le plus léger signe d'improbation en avertit la multitude. Une imprudence d'expression, une prononciation à double sens, ou même une rencontre imprévue de syllabes, dont le rapprochement appelle quelque interprétation maligne, suffisent pour causer ces mouvements soudains qui dénoncent l'orateur aux moqueries de l'auditoire, dans un temps et dans un pays où la corruption du cœur est pour le moins égale à la finesse de l'esprit. Il en est, à cet égard, des sermons comme des ouvrages dramatiques. On sait qu'il est très-difficile de faire rire dans une comédie mais, au contraire, dans une tragédie et dans un discours public, où l'on ne peut, sans beaucoup de talent, faire couler des pleurs, rien n'est plus aisé et plus fâcheux que d'exciter une risée universelle, quand l'imprévoyance du prédicateur donne lieu à ce scandale, qu'on voit éclater quelque fois dans le lieu saint.

Le pathétique était le triomphe habituel de Massillon. Il ne montait presque jamais en chaire pour y traiter un sujet

Illud præcipue monendum est, ne quis, sine summi ingenii viribus, ad movendas lacrymas aggredi audeat. Ideoque cum in aliis, tum maxime in hac parte debet crescere oratio: quia, quidquid non adjicit prioribus etiam detrahere videtur ; et facile deficit affectus qui descendit. Nam ut est longe vehementissimus hic, cum invaluit affectus, ita si nihil efficit, tepet. Vultus et vox et ipsa illa excitati rei facies, ludibrio plerumque sunt hominibus quos non permoverunt. Quare metiatur ac diligenter æstimet vires suas, et quantum onus subiturus sit intelligat. Nihil habet ista res medium, sed aut lacrimas meretur aut risum. » Quint. lib. VI, cap. I.

de sentiment sans faire verser des larmes à son auditoire. Je ne connais rien de plus vigoureux et en même temps de plus touchant, dans la morale chrétienne, que le sublime épisode de la disette de 1709, dont il enrichit la fin de la première partie de son sermon sur l'aumône. J'ai plusieurs fois entendu dire aux contemporains de l'évêque de Clermont, que jamais aucune tragédie n'avait ni fait verser plus de pleurs, ni excité de plus longs et plus douloureux gémissements, que ce tableau présenté par la religion à la commisération publique, en présence d'un peuple exténué par la faim. Ce furent surtout les interrogations réitérées de l'orateur, à la suite de tant de beaux mouvements oratoires; ce furent ces interrogations rapides, mêlées à des reproches si justes et à des menaces si foudroyantes, qui mirent le comble au triomphe de son éloquence, en élevant la pitié à son plus haut période, par le grand ressort de la consternation généralement répandue dans l'auditoire.

La famine qu'on éprouvait alors, et que Massillon sut retracer à l'imagination avec tant de véhémence, de vérité et d'énergie, renforça tellement de tout l'intérêt de la circonstance l'ascendant naturel de son talent, que non-seulement on fondit en larmes autour de lui, mais encore que les voûtes du temple retentirent de sanglots. On crut entendre, on entendit dans l'église de Notre-Dame, avec la tirade véhémente qu'on va lire, les accents lugubres de la détresse et de l'épuisement, dont la sombre explosion formait de loin en loin un cri étouffé d'horreur et d'indignation contre tous les cœurs insensibles à un si grand désastre public. « Et certes, dites<«< moi tandis que les villes et les campagnes sont frappées « de calamités: que des hommes créés à l'image de Dieu, et << rachetés de tout son sang, broutent l'herbe comme des ani« maux, et, dans leur nécessité extrême, vont chercher à tra<< vers les champs une nourriture que la terre n'a pas faite <«< pour l'homme, et qui devient pour eux une nourriture de « mort, auriez-vous la force d'y être le seul heureux? Tandis « que la face de tout un royaume est changée, et que tout re

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tentit de cris et de gémissements autour de votre demeure superbe, pourriez-vous conserver au dedans le même air « de joie, de pompe, de sérénité, d'opulence? Et où serait « l'humanité, la raison, la religion? Dans une république païenne on vous regarderait comme un mauvais citoyen; << dans une société de sages et de mondains, comme une âme vile, sordide, sans noblesse, sans générosité, sans élévation; et dans l'Église de Jésus-Christ, sur quel pied voulez« vous qu'on vous regarde? Eh! comme un monstre indi<< gne du nom de chrétien que vous portez, de la foi dont « vous vous glorifiez, des sacrements dont vous approchez, « de l'entrée même de nos temples où vous venez, puisque « ce sont là les symboles sacrés de l'union qui doit régner parmi les fidèles. Cependant la main du Seigneur est éten« due sur nos peuples. Vous le savez, et vous vous en plai« gnez : le ciel est d'airain pour ce royaume affligé; la mi

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sère, la pauvreté, la désolation, la mort, marchent partout << devant vous. Or, vous échappe-t-il de ces excès de charité << devenus maintenant une loi commune de justice? Preneza vous sur vous-même une partie des calamités de vos frères ? « Vous voit-on seulement toucher à vos profusions et à vos

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voluptés, criminelles en tout autre temps, mais barbares « et punissables même par les lois des hommes en celui-ci? Que dirai-je? ne mettez-vous pas peut-être à profit les mi« sères publiques?... n'achevez-vous pas peut-être de dépouil«<ler les malheureux, en affectant de leur tendre une main << secourable? et ne savez-vous pas l'art inhumain d'évaluer << les larmes et les nécessités de vos frères? Entrailles cruel«<les! dit l'Esprit de Dieu, quand vous serez rassasié, vous « vous sentirez déchiré; votre félicité deviendra elle-méme « votre supplice, et le Seigneur fera pleuvoir sur vous sa fureur et sa guerre. »

LXXIV. De l'Onction de Fénelon.

Il est, dans ce beau genre de l'onction ou du pathétique de la chaire, une éloquence douce et coulante, qui, sans

exciter de violentes secousses, s'insinue sans effort dans l'âme, et y réveille les plus pieuses affections du cœur humain. C'est une suite de sentiments naturels et touchants qui s'épanchent avec abondance; et, au moment où l'auditeur les éprouve, il oublie l'orateur qui les inspire, il croit converser avec luimême, ou plutôt assister en quelque sorte, comme témoin, à un entretien secret entre son juge et sa conscience. L'impression qu'on reçoit d'une si tendre et si vive sensibilité se manifeste bientôt au dehors; chaque mot ajoute à l'émotion qu'on partage, et produit je ne sais quel puissant intérêt, qui remue et fait palpiter tous les bons cœurs, par le besoin de laisser couler ces larmes de la pitié ou du repentir qu'on ne verse jamais sans quelque soulagement. Telle est l'éloquence de Fénelon, orateur plein de charme, aimable génie qui sema tant de fleurs dans un style si naturel, si mélodieux et si tendre, et fit régner la vertu par l'onction et par la douceur. La première partie de son discours pour le sacre de l'électeur de Cologne est écrite avec la véhémence et l'élévation de Bossuet: la seconde développe toute l'âme angélique de l'auteur du Télémaque ; je ne veux ici en citer qu'un seul exemple, il est sublime : « O pasteurs! loin de vous tout cœur << rétréci! Élargissez, élargissez vos entrailles. Vous ne << savez rien, si vous ne savez que commander, que reprendre, que corriger, que montrer la lettre de la loi. Soyez pères; ce n'est pas assez soyez mères; souffrez de nou<< veau les douleurs de l'enfantement, à chaque effort qu'il faudra faire pour achever de former Jésus-Christ dans un

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« cœur. »>

LXXV. De différents orateurs qui ont excellé dans le genre pathétique.

Ce serait avoir une bien fausse idée de l'éloquence sacrée que d'exiger d'un prédicateur des discours remplis de ces élans pathétiques. Il serait même dangereux de vouloir trop multiplier ou trop étendre les morceaux touchants. La com

Vauvenargues.

misération doit être de peu de durée, dit Cicéron; car rien ne sèche plus promptement que les larmes. L'intérêt se refroidit dès qu'on retient trop longtemps l'auditeur dans la même situation, sans donner aucun relâche à la sensibilité et aucun repos à l'éloquence. Le travail peut rendre le style pur, correct, imposant, harmonieux; mais l'effort ne produit jamais une véritable onction ; et plus il en coûte à l'orateur pour se montrer animé et pathétique, plus son discours devient languissant et froid. C'est l'accent de l'inspiration qui décèle la vérité du sentiment, comme la chaleur du génie.

D'ailleurs, toutes les matières de nos discours sont-elles susceptibles de mouvements oratoires? Nos grands maîtres ne le croyaient point. Ils n'ont même quelquefois pas osé suivre cette route, en traitant les sujets qui semblaient devoir se prêter le plus naturellement à l'intérêt de la pitié. Bourdaloue, par exemple, a composé quatre sermons différents sur la mort de Jésus-Christ; et il n'a pas fait une seule Passion dont le caractère propre soit d'être touchante. Son génie envisageait toujours sous un autre rapport l'histoire des souffrances du fils de Dieu; aussi dès son exorde annonçait-il à ses auditeurs qu'il ne se proposait nullement de faire verser des larmes. On vous a cent fois attendris, disait-il, et moi je veux vous instruire. Bourdaloue attendrissait néanmoins; mais il savait placer avec mesure, de distance en distance, ces morceaux de sentiment, qui n'auraient plus frappé l'auditoire s'il les eût étendus au delà de l'espace que les faits pouvaient remplir.

Les plus beaux modèles d'éloquence pathétique dans les fastes de la religion, après nos orateurs du premier rang, sont la harangue de l'évêque Flavien à l'empereur Théodose, en faveur des habitants d'Antioche; la requête du vertueux prélat Barthélemy Las Casas à Philippe II contre les meurtriers des Mexicains; le sermon de Cheminais sur la crainte des

1 Commiserationem brevem esse oportet, nihil enim lacryma citius areseit.» Ad Herrennium, lib. II, cap. XXXI.

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