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Mascaron ne désigne pas autrement l'auteur de ces vers, que je n'ai pu trouver dans Prudence et dans Ausone.

Bourdaloue, qui ne se fit jamais le moindre scrupule de citer en chaire les auteurs païens, rappelle et paraphrase plusieurs fois cette maxime d'Horace, dans son sermon sur l'amour des richesses:

Rem

Si possis recte, si non, quocumque modo rem.

Massillon s'est montré tellement sobre en citations profanes, que son exemple les a presque entièrement bannies de la chaire. Il rappelle seulement, comme une pensée d'un ancien qu'il traduit, sans le nommer et sans rapporter son texte, une phrase de Salluste, dans le premier sermon de son Petit Carême. Ma mémoire ne me retrace, en ce moment, aucun autre exemple du même genre dans ses sermons.

N'abusons point, surtout dans les sermons de morale, de cette ancienne licence. On ne nous blâmera jamais de n'avoir pas fondé nos preuves sur une autorité profane; et nous blesserions également la piété et le goût si nous empruntions en chaire les idées des païens, quand nous pouvons les trouver aussi bien ou plus heureusement exprimées dans l'Écriture et dans les pères de l'Église.

LXXII. Des Lectures du prédicateur.

Je ne lirai donc point les moralistes, les poètes et les orateurs de l'antiquité, pour multiplier ces citations profanes, mais uniquement pour mieux connaître le cœur humain, et former mon goût sur de si grands modèles. Cette étude est même quelquefois plus instructive que la lecture des sermons. On voit dans les grands prédicateurs comment sont faits les beaux discours: Cicéron et Quintilien nous apprennent comment on les compose. Les règles sans l'exercice deviendraient une stérile théorie, et l'exercice sans l'art ne serait qu'une aveugle routine. Voulez-vous exceller dans l'éloquence chrétienne, lisez, méditez d'abord les grands sermonnaires ; mais

quand vous les connaîtrez bien fermez tous ces livres : ils circonscriraient, au lieu de l'agrandir, la sphère de votre imagination; et par là même ils rétréciraient le cercle de vos idées, quoiqu'ils soient remplis de traits sublimes.

Aspirez plutôt à une composition originale; cherchez des aliments qui nourrissent votre esprit, sans vous exposer au danger des réminiscences, et surtout sans vous abaisser jamais à l'avilisement des plagiaires. Trouvez-vous dans Pascal, dans Bossuet, dans Bourdaloue, dans Massillon, dans l'abbé Fleury, enfin dans tout autre écrivain qu'on puisse nommer ou désigner honorablement en chaire, une idée lumineuse, un trait frappant qu'appelle votre composition, mais qu'il serait honteux de s'approprier, quand il n'est pas possible de les embellir, eh bien, on vous les livre, à la seule condition d'en indiquer l'auteur ce n'est pas lui dérober son esprit, c'est au contraire le faire jouir de son bien, que d'en étaler ainsi les richesses; et un tribut si avantageux à la mémoire des morts devient le plus noble hommage que l'admiration puisse décerner au génie.

Il n'est guère plus temps de lire les sermons d'autrui. quand on veut en composer soi-même : préférez donc à la lecture trop souvent réitérée de tous ces discours justement consacrés par l'estime publique, outre les plus belles productions de la morale et de la littérature, une foule d'autres ouvrages non moins précieux à l'éloquence, et beaucoup plus fructueux pour un prédicateur; par exemple, les Lettres de Fénelon, où ce profond moraliste dévoile, explique tous les caractères particuliers, par la seule étude qu'il a faite du cœur humain ; les excellents écrits de l'abbé Fleury, qui intéresse par son insinuante candeur, étonne par l'universalité de ses connaissances, attache toujours en exaltant la religion, parce qu'on sent que l'auteur parle de ce qu'il aime, et déploie sans effort une bonne foi et un courage de raison qui ne sont en lui que le besoin d'être sincère, en professant toujours sa belle maxime, que les vérités ne sauraient jamais étre contraires à la vérité, quelques productions très-estimables

de Port-Royal, spécialement de Nicole et de l'abbé Duguet, où l'on admire l'esprit, la science, l'amour, l'accent de la religion, et toute la poésie des livres sacrés ; le Guide des Pécheurs, où le pathétique, mais quelquefois trop crédule, Grenade effraye l'imagination des hommes endurcis, en les tenant pour ainsi dire suspendus entre l'asile des remords et les abîmes de la justice divine; l'Imitation de Jésus-Christ, chef-d'œuvre de simplicité, d'onction et de naïveté, le plus beau livre, dit Fontenelle, qui soit sorti de la main d'un homme, puisque l'Evangile n'en vient point; enfin les écrits de saint François de Sales, qui respirent la piété la plus tendre, et où l'on trouverait encore plus d'onction, s'il y montrait un peu moins d'esprit.

LXXIII. De l'Onction.

On reconnaît à cette onction persuasive et à ce langage du cœur un orateur dont le talent se nourrit habituellement de la lecture des ouvrages ascétiques. Cet heureux don de toucher et d'émouvoir est sans doute le plus beau triomphe de l'éloquence chrétienne. Tous les hommes n'ont pas assez d'esprit pour saisir une idée ingénieuse. Mais ils ont tous une âme pour être affectés d'un sentiment profond; et jamais les auditeurs ne sont plus universellement attentifs, que dans ces intervalles d'émotion où un prédicateur s'ouvre ainsi tous les cœurs en devenant pathétique.

Gardez-vous pourtant de cette sensibilité superficielle qui s'arrête aux accents de la voix, sans pénétrer jusqu'au fond de l'âme tout ce qui ne vient point du cœur, tout ce qui ne part que du gosier de celui qui en parle en public, va expirer dans l'oreille de l'auditeur. Madame de Sévigné, encore tout étourdie, à l'issue d'un sermon, de ce fracas d'une voix tonnante, s'excusait de l'ennui forcé auquel on lui reprochait de n'avoir pas eu l'esprit de se soustraire par d'autres idées, en disant qu'elle n'aurait pas mieux demandé, mais qu'il n'y

Vie de Corneille.

avait malheureusement pas moyen d'en perdre un seul mot. Un vain éclat de paroles se dissipe dans les airs, comme un cri lointain, toutes les fois que cette fumée, où l'on n'aperçoit point de flammes, ne s'exhale point de la chaleur intérieure d'une composition oratoire. Ce n'est point, dit Cicéron, une douleur feinte ou artificielle que je demande, mais une affliction réelle, des sanglots vrais et animés qui partent du fond du cœur. Je veux qu'après un morceau de terreur qui m'a consterné dans un sermon, l'orateur se rapproche de moi par une charitable condescendance; qu'il ranime cette dernière étincelle d'espérance prête à s'éteindre dans les terreurs de ma foi, et qu'après m'avoir épouvanté d'un Dieu vengeur, il me rende la liberté de respirer, et se hâte de m'attendrir en montrant un Dieu qui pardonne.

Rien n'est plus opposé aux émotions pathétiques en chaire, que le jargon du bel esprit dans la composition, et le ton pleureur dans le débit. Aucune espèce d'affectation n'a jamais fait verser des larmes. Ce n'est pas non plus avec la méthode philosophique, dont on a essayé de faire, de nos jours, une règle de goût dans la poésie même, c'est-à-dire en aspirant au mérite continu des pensées, de la profondeur, de la concision et de l'énergie d'un style fort de choses, que l'on remue la sensibilité des auditeurs. Une pensée et même une image ne suffisent pas, il faut de grands tableaux pour émouvoir une assemblée. Mais ce sont des développements, ce n'est pas de la diffusion que je demande à l'orateur, qui pour m'intéresser et m'attendrir a besoin de me faire partager tous ses sentiments.

Ce n'est donc jamais avec un style serré, avec de la finesse et des phrases courtes ou sautillantes, qu'on touche le cœur, et qu'on excite en chaire les grandes commotions de l'éloquence. Toute peinture pathétique exige quelques détails et appelle un style périodique; mais ne confondons point cette

«Non simulacra incitamenta doloris, sed luctus verus, atque lamenta vera et spirantia, » Orator. lib. II.

effusion de sensibilité avec le jeu de la phrase. La parcimonie de paroles plaît souvent à l'esprit et ne remue point les entrailles : une élocution trop concise écarte l'onction, comme une lâche prolixité l'éteint. L'orateur qui aspire à honorer son ministère par ces grands triomphes, que les larmes de la pitié ou du remords peuvent seules attester, se trouve entre ces deux écueils, qu'il doit également éviter : la gloire d'émouvoir les âmes est réservée à ce juste milieu. Les anciens, auxquels nous sommes redevables des bonnes doctrines en matière de goût dans tous les genres, ne nous donnent qu'une seule règle sur le grand secret de toucher les cœurs; et malheureusement cette règle ne saurait s'apprendre : elle consiste uniquement à être touché soi-même. Si vis me flere, dalendum est primum ipse tibi. Ils nous avertissent en même temps qu'il faut enfoncer très-avant le trait oratoire, pour lui donner le temps de produire tout son effet : c'est ce que Velléius Paterculus appelle, avec l'imagination pittoresque de l'antiquité, s'appesantir sur le coup, en retenant le glaive dans la plaie. Sistere moram in vulnere.

Cette émotion, si difficile à obtenir en chaire, est toujours d'une courte durée. Il faut donc s'arrêter et passer à un autre objet d'intérêt, dès qu'on a fait brèche au cœur des auditeurs; car les incendies des esprits, dit Cicéron, s'éteignent promptement. Animorum incendia celeriter extinguuntur.

« J'ajouterai, dit Quintilien, un avis très-important. Qu'un << orateur n'entreprenne point de faire verser des larmes, s'il << n'a pas reçu de la nature une force extraordinaire de génie. << Dans toutes les parties, mais surtout dans celle-ci, le dis« cours doit aller toujours en croissant, parce que tout ce qui n'ajoute rien à ce qui précède semble en effacer l'impression, et qu'aisément tout sentiment qui baisse tombe et « s'éteint. A la vérité, le pathétique est un sentiment infini«<ment puissant, quand il s'empare du cœur; mais s'il ne produit un grand effet, il rend le discours froid et languis<< sant. L'air du visage, le ton de la voix d'un défenseur, et la figure même de l'accusé mis en scène, deviennent des su

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