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Bellarmin; et il fit dans sa préface le noble aveu qu'il était redevable à un jésuite de l'idée très-lumineuse de son ouvrage. Mais il ne dut qu'à son seul génie le choix d'un autre sujet dans lequel il a surpassé tous les orateurs du barreau : je veux dire son invincible Apologie des catholiques d'Angleterre, accusés d'une conspiration contre le roi Charles II, en 1678. Lisez cette éloquente discussion. Que de larmes Arnauld vous fera répandre sur la mort du vertueux vicomte de Stafford! Orateur sans chercher à l'être, il ne paraît pas se proposer de vous émouvoir; mais, par le simple récit des faits, par la seule dialectique, par les dépositions des témoins sur lesquelles les catholiques furent condamnés, il prouve péremptoirement leur innocence : il vous attendrit sur le sort des infortunés dont il raconte les désastres; il remue votre sensibilité par le seul ressort de l'évidence, qu'il a su rendre pathétique; et il rend exécrable pour toujours la mémoire du fameux Oates, qui inventa cette absurde calomnie. Jamais on n'a porté plus loin la démonstration morale; et il ne faut point oublier, en l'honneur du défenseur officieux qui s'est tant illustré par une pareille apologie, que dans cet ouvrage, malgré les plus violentes préventions du jansénisme, Arnauld justifie victorieusement les jésuites, qu'il déteste, et qui, devenus à leur insu les clients de leur antagoniste le plus redoutable, durent être bien étonnés de l'entendre plaider leur cause avec un zèle aussi généreux que touchant : bienfait dans lequel ils furent forcés d'admirer la plus sublime des vengeances!

Il serait à désirer sans doute que ce célèbre Arnauld, si injustement préféré par Boileau à tous les grands écrivains du siècle de Louis XIV, dans l'accès de la plus aveugle admiration que l'esprit de parti puisse inspirer, eût toujours traité des questions aussi propres à faire triompher son génie. Ce fameux chef de l'école de Port-Royal n'avait pas encore atteint sa vingt-huitième année lorsque Descartes le consulta, comme l'homme du siècle, disait-il, sur ses Méditations physiques, et proclama lui-même dans ses lettres la préémi

nence de ses talents en tout genre. Il était né avec un esprit guerrier, et il ne composa guère que des ouvrages polémiques; mais il aurait pu être compté parmi les plus grands orateurs, comme il l'est parmi les premiers controversistes de son siècle. On sait qu'il fut un grammairien très-profond, et qu'il égala Malebranche en métaphysique1. Racine le révérait et le consultait comme le juge dont il ambitionnait le plus le suffrage, et il était également l'oracle de Boileau dans toutes les questions de grammaire, de poésie et de goût. Après lui être resté courageusement fidèle durant sa longue disgrâce, Despréaux, se montrant à son sujet plus hardi que juste, et oubliant le génie si dominant de Bossuet, qui venait de descendre au tombeau, osa rendre encore à cet illustre proscrit, mort alors depuis dix ans, cet étonnant hom. mage, jusque dans l'épitaphe de Bourdaloue:

Enfin, après Arnauld, ce fut l'illustre en France
Que j'admirai le plus et qui m'aima le mieux.

XIV. De Cicéron.

Cette digression sur le grand Arnauld ne m'a point éloigné de l'éloquence judiciaire, qui est ici l'objet de mes observations. Il a marqué tous ses pas dans cette carrière par des monuments durables; il a prouvé que sans traiter des questions d'État, comme les anciens, on peut s'élever dans le genre délibératif au ton d'une véritable éloquence. On prétendrait donc bien vainement excuser la distance infinie qu'on trouve entre les avocats du barreau français et les orateurs du sénat romain, par la différence des intérêts qui leur ont été confiés. Cicéron a eu quelquefois la gloire d'être le défenseur et même le sauveur de la république, j'en conviens; mais ne soutenait-il pas plus souvent aussi des causes

1 Malebranche, malgré ses erreurs en physique et ses hypothèses idéales, conserve et mérite encore, par le charme très-attachant de son style, et par l'intérêt qu'il répand sur les matières les plus sèches ou les plus abstraites, la réputation d'être le premier de nos écrivains dans le genre de la philosophic.

beaucoup moins importantes? Et la plus grande partie de ses plaidoyers n'est-elle pas consacrée aux affaires quelquefois obscures de ses concitoyens?

Il est donc constant que ce grand orateur, toujours éloquent devant le préteur comme dans la tribune aux harangues, n'avait pas besoin d'une cause liée aux destins de Rome pour déployer toutes les richesses de son talent, et qu'il était même souvent plus éloquent lorsqu'il plaidait au milieu du peuple que lorsqu'il parlait en présence de César. Sa harangue pour Ligarius est écrite, il est vrai, d'un style enchanteur; mais elle est bien loin d'être estimée comme l'un de ses discours du premier ordre. Cicéron y demande la vie de Ligarius à un usurpateur, comme s'il implorait la clémence d'un souverain légitime. Les éloges qu'il prodigue adroitement à César dans son ingénieuse péroraison semblent justifier les reproches dont l'accabla le stoïcien Brutus, après la mort du dictateur, dans cette fameuse lettre où cet austère républicain l'accuse de flatter bassement Octave, et qui est comptée avec raison parmi les chefs-d'œuvre de l'antiquité. C'est dans les l'errines, c'est dans les Catilinaires, c'est dans la seconde Philippique, c'est dans presque toutes ses péroraisons, c'est dans ses traités immortels qui ont pour titres : l'Orateur, de l'Orateur, et des Orateurs illustres, qu'on trouve toute l'éloquence de Cicéron. Pour mieux accabler les ennemis de sa patrie, qu'il traduit dans les tribunaux, c'est toujours aux adversaires qu'il poursuit, c'est à Marc-Antoine, à Verrès, à Catilina, que Cicéron adresse la parole devant les juges; et la véhémence de ce style direct rend chacune de ses actions juridiques un véritable pugilat oratoire. Tous ces écrits classiques doivent être le manuel des orateurs chrétiens. La rapidité avec laquelle il composait ces admirables discours, malgré la multitude et l'importance des affaires dont il était surchargé, ne l'empêchait point de donner à son langage une si rare et si désespérante perfection, qu'il est aussi aisé d'entendre ses harangues que difficile d'en reproduire le charme inexprimable, en les transportant dans notre langue.

Les étonnants exemples de fécondité que nous offrent les dernières compositions de l'orateur romain prouvent évidemment que nos avocats ne sauraient justifier la négligence de leur élocution par les travaux ou par les distractions inévitables de leur état. Non, certes, ce n'est pas le temps seul qui leur manque pour écrire avec tant de perfection; c'est le talent, c'est le goût, c'est l'inspiration du génie. Ce fut dans un intervalle bien court, et pendant les orages continuels d'une guerre civile, que Cicéron publia tous ses fameux plaidoyers contre Marc-Antoine, qu'on appelle les Philippiques; et l'on ne conçoit pas qu'il ait pu conserver assez de liberté d'esprit, après la mort de César, pour entreprendre et pour achever en si peu de temps, dans la soixante-quatrième et dernière année de sa vie, ces quatorze discours par lesquels il termina si glorieusement sa carrière. Son courage y parut agrandir encore son talent. Jamais il n'approcha de plus près de l'énergie et de la véhémence de Démosthène. Aussi son triomphe devint-il son arrêt de mort, et Marc-Antoine, triumvir, sentit si bien l'impossibilité de se défendre contre un tel accusateur, qu'il ne lui répondit qu'en forçant la main lâche d'Octave, son complice, à souscrire l'ordre d'assassiner Cicéron.

Brutus, dont le goût était aussi sévère que la morale, désapprouvait dans les harangues de l'orateur romain cette inépuisable fécondité, cette abondance stérile, quoique toujours élégante et harmonieuse, ce luxe ou cette richesse d'expressions et d'images, qui énervent peut-être quelquefois sa vigueur; et il disait à Cicéron lui-même que son éloquence manquait de reins. L'impartiale postérité a pensé comme Brutus.

Ce ne fut point sans doute par un principe de goût, mais par la crainte trop bien fondée qu'Auguste ne se souvînt encore qu'Octave avait sacrifié honteusement aux triumvirs ses collègues son bienfaiteur Cicéron, que Virgile et Horace eurent la lâcheté de ne nommer jamais dans leurs poésies cet orateur, aussi célèbre aujourd'hui que Rome elle-même.

Virgile surtout!... Ah! comment Virgile a-t-il pu l'oublier en solennisant la gloire du peuple romain? L'assassin de Cicéron régnait ! Et quoique Auguste eût assez d'esprit et de pudeur pour dire à ses propres neveux, quand il les surprit lisant les Philippiques, qu'ils avaient bien raison d'admirer ces plaidoyers, et que Cicéron avait été un grand citoyen, Virgile, qui ne croyait pas à la clémence des remords, n'osa jamais rappeler ce nom accusateur dans ses écrits; et le poëte courtisan n'hésita point de sacrifier aux dangereuses réminiscences d'Octave, devenu souverain de son pays, l'un des plus beaux titres de gloire de sa patrie, en accordant aux orateurs de la Grèce la supériorité de l'éloquence sur le consul de Rome : Orabunt alii melius causas, etc.

XV. De Démosthène.

Malgré l'adulation ou l'affirmation de Virgile, les gens de lettres n'ont point encore prononcé unanimement entre Cicéron et Démosthène. Ces deux orateurs sont l'un et l'autre au premier rang, et, dans l'opinion de plusieurs rhéteurs, à peu près sur la même ligne. Cicéron a une prééminence incontestable sur son rival, en littérature et en philosophie; mais il ne lui a point arraché le sceptre de l'éloquence: il le regardait lui-même comme son maître; il le louait avec tout l'enthousiasme de la plus haute admiration : il traduisait ses ouvrages; et si ces traductions officieuses étaient parvenues jusqu'à nous, il est probable qu'en lui rendant un service trop généreux, Cicéron se serait placé pour toujours au-dessous de Démosthène. C'est lui-même qui nous autorise à le croire, par l'éloge le plus accompli que puisse faire d'un orateur l'exaltation du ravissement. C'est lui, c'est Cicéron qui trouve dans Démosthène, non-seulement un orateur parfait, mais encore toute la perfection de l'art et le beau idéal du genre oratoire. Rien, dit-il, rien ne manque à Démosthène. Il ne me laisse absolument rien à désirer: il n'a de rivaux dans aucune partie de son art. Il remplit, ajoute-t-il, l'i

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