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qui a fixé ou ramené, du moins en partie, les prosateurs et les poëtes toscans aux principes du goût, consacrés par l'autorité et l'exemple des fondateurs de leur littérature, ainsi que par le culte d'admiration dont toutes les nations éclairées décernent l'hommage aux grands écrivains de l'antiquité.

On ne cite, en effet, et même on ne connaît en Italie aucun chef-d'œuvre composé dans le dix-septième siècle. Le cardinal Casini obtint au commencement du siècle suivant et conserve encore dans sa patrie la réputation d'avoir été l'un des plus illustres restaurateurs du bon goût, en imitant, d'un peu loin, je l'avoue, nos éternels modèles dans le genre oratoire. Un si grand service lui assure une renommée aussi éclatante que solide, tant que ses compatriotes, fidèles à son école, ne retomberont pas dans la même barbarie de l'abus de l'esprit, pire que l'ignorance. C'est pour cet orateur un titre de gloire, que je mets fort au-dessus de ses sermons.

Quand on veut apprécier avec impartialité les orateurs de chaque littérature, quand on étudie, à cet égard, sous tous leurs rapports les productions de la France et de l'Italie, on est frappé d'une autre différence singulière et même unique entre ces deux nations, dans l'histoire moderne de l'éloquence. Les avocats romains, auxquels il me semble qu'on ne peut contester une juste préséance sur tous les autres avocats de l'Europe, ne plaident contradictoirement de vive voix aucune cause dans les tribunaux, mais ils écrivent en latin tous leurs plaidoyers. On distingue ordinairement dans cette lice, à chaque génération, outre plusieurs jurisconsultes estimables, deux ou trois orateurs célèbres qui déploient, dans l'art d'écrire, toute l'éloquence du raisonnement, sans l'y mésallier avec les négligences ou les prétentions du mauvais goût. Ces coryphées de la plaidoirie écrite s'élèvent incontestablement en Italie audessus des prédicateurs: c'est un phénomène particulier au barreau de Rome moderne. Une émulation beaucoup plus puissante y attire l'élite des talents dans cette carrière, qui est infiniment plus lucrative, et conduit même habituellement au cardinalat les célibataires qui se font remarquer dans cette

liste oratoire, tandis que la chaire en fournit un exemple unique, par la promotion du cardinal Casini, durant tout le dernier siècle. On suppose en Italie qu'un homme nourri des savantes études du droit, et doué de cet esprit imposant, quoique très-souvent trompeur, des affaires, est beaucoup plus propre à tous les emplois publics qui exigent un rare concours de dialectique, de connaissances et d'application.

Je me permettrai peu d'observations sur la manière dont on débite la parole de Dieu dans les chaires ou plutôt dans les spacieuses tribunes de l'Italie. La faculté de s'y mouvoir trèslibrement, d'y changer de place, et de pouvoir même y faire plusieurs pas, comme sur un balcon, en allant et en revenant sans cesse d'une extrémité à l'autre, donne quelquefois aux prédicateurs je ne sais quelle allure militaire, très-inconvenante pour le déclamateur qui se la permet, mais bien plus honteuse encore pour les spectateurs, dont la folle admiration lui prostitue aussitôt les plus vifs applaudissements. Plusieurs des prédicateurs italiens qu'on voit exercer leur ministère dans les rues, et auxquels on a donné récemment, dans un Voyage en Italie, le sobriquet d'orateurs en plein vent, se rendent quelquefois ridicules, sur une espèce de tréteau qu'on appelle palco, par une déclamation théâtrale, ou plutôt bouffonne, qui divertit le peuple. Mais il faut avouer qu'il en est aussi dans les églises plusieurs dont l'action, pleine de naturel et d'intérêt, est très-attachante, et mériterait de servir de modèle. En général, ils se distinguent par leur piquante manière de dire, et par les prodiges étonnants d'une mémoire imperturbable, en prêchant six fois par semaine pendant tout le carême, qu'ils surchargent encore avec beaucoup de fruit, après le dimanche des Rameaux, d'une retraite, durant laquelle ils débitent chaque jour trois sermons. L'Italie possède aussi une multitude d'assez bons prédicateurs dans le genre médiocre, surtout des légions excellentes de missionnaires qui obtiennent le plus grand de tous les succès, dans l'exercice de leur ministère apostolique je veux dire, des restitutions, des réconciliations et des conversions éclatantes.

Depuis que Granelli s'est fait en Italie une réputation en expliquant dans la chaire toute la série de la Genèse, verset par verset, un petit nombre de prédicateurs italiens s'est livré à cette facile méthode d'instructions copiées de nos anciens commentaires. Ce nouveau mode de développement moral des livres sacrés, qui a beaucoup de vogue au delà des Alpes, est ordinairement faible en fait de doctrine, et absolument nul en genre d'éloquence. Plus on entend ou plus on lit les sermonnaires étrangers, plus on sent la prééminence de nos orateurs français.

ell,

LXVIII. Des ouvrages oratoires de Thomas.

Ces grands hommes qui ont tant illustré la France ont il est vrai, beaucoup de successeurs dans nos chaires; mais y ont-ils également eu de vrais héritiers de leur génie et de leur gloire, qui les aient dignement remplacés? Malgré tous les grands chefs-d'œuvre oratoires que le siècle de Louis XIV avait produits, et même malgré les talents distingués de plusieurs écrivains qui se consacrèrent ensuite au ministère évangélique, l'éloquence n'en parut pas moins être descendue au tombeau avec Massillon. La plupart des prédicateurs qui vinrent à sa suite, et sur lesquels j'ai déjà développé mon opinion, voulurent s'ouvrir une nouvelle route, où ils eurent d'abord des succès brillants, mais éphémères. Ils adoptèrent je ne sais quel jargon entortillé, métaphysique, précieux et efféminé; et, à force de prétentions, ils se rendirent quelquefois inintelligibles. Et pourquoi voulaient-ils proscrire le charme ravissant du naturel et de la simplicité? Ignoraientils donc que l'un des secrets les plus profonds dans l'art d'écrire en éloquence consiste à imiter, et à savoir employer dans un discours public les tours vifs, rapides et variés de la conversation, pourvu que l'on y rallie un choix de mots qui soient toujours nobles, sans paraître jamais recherchés1, et

Les prédicateurs dont je parle ne connaissaient pas plus la justesse des pensées que la précision du style. On voit dans leurs discours des expressions pompeuses et des idées communes, et eette affectation du bel

en même temps populaires sans être bas? On ne pourrait néanmoins reprocher avec justice à ces corrupteurs de l'éloquence chrétienne d'avoir manqué de talent et surtout d'esprit ; à moins qu'on ne pense, selon l'observation fine et judicieuse de Marmontel, que c'est sans doute avoir beaucoup d'esprit que d'en avoir trop, mais que ce n'est pas encore en avoir assez. Plusieurs de ces déclamateurs qui avaient le plus de célébrité écrivaient sans chaleur et sans verve; ils confondaient le don d'émouvoir avec l'art d'éblouir; et, après avoir perverti le goût de la multitude, ils étaient parvenus à lui faire admirer leurs fautes. L'éloquence, devenue étrangère aux gens de lettres, si l'on en excepte les trésors de ce genre qu'on découvrit bientôt après dans les élans du citoyen de Genève et dans les tableaux du philosophe de Montbard, était encore cultivée alors à Paris, je ne puis dire avec gloire, mais du moins avec beaucoup de fruit, par un petit nombre d'orateurs sacrés, que l'opinion dominante plaçait fort au-dessous de la nouvelle école.

Mais il y a dans l'histoire des belles-lettres et de l'esprit humain des époques frappantes, où un écrivain d'un talent distingué ramène l'attention publique vers les genres abandonnés, et entraîne la génération qui le suit dans la carrière où il s'est lui-même signalé par des succès mémorables. Telle a été parmi nous l'heureuse destinée de Thomas : il a concouru puissamment à accréditer la nouvelle institution acaesprit qui est l'antipode de l'éloquence. « Comme on ne trouve ordinaire. ament que peu de fruits, dit Pope, sur un arbre abondamment couvert « de feuilles, de même on trouve rarement beaucoup de sens dans beau"coup de mots. La fausse éloquence, semblable au prisme de verre, ré«pand ses couleurs fastueuses sur toutes sortes d'objets. On n'aperçoit « plus la face de la nature : tout paraît également vif, tout reluit sans dis« tinction. La véritable éloquence, au contraire, est comme le soleil qui répand un jour fidèle et lumineux sur les objets qu'il éclaire; il les em« bellit et les dore, pour ainsi dire, mais il ne les altère point. L'expres«sion est l'habillement de la pensée; elle n'est décente qu'autant qu'elle ⚫ est bien assortie. Une pensée basse, exprimée en termes pompeux, res« semble à un paysan revêtu de la pourpre royale. » Essai sur la Critique, seconde partie.

démique, qui a ranimé le goût du public pour la composition des éloges, dans lesquels il a déployé plus de pompe et d'éloquence que Fontenelle, dont il ne pouvait atteindre la finesse et la sagacité; il a inspiré beaucoup d'enthousiasme pour nos grands hommes, dont il a rajeuni la renommée; il a élevé les âmes par la noblesse de ses sentiments et de son style; il a donné à ses discours un objet d'utilité nationale; il a singulièrement amélioré ses écrits lorsqu'il les a rassemblés et enrichis de son Éssai sur les Éloges; et les productions du panégyriste de Marc-Aurèle, dont le style effarouche et blesse trop souvent la délicatesse du goût, manifestent du moins, dans leur très-estimable auteur, l'union si touchante et si rare du savoir, du talent et de la vertu. Voilà ses véritables titres en littérature, voilà ses droits à la considération publique!

La lecture de ces deux derniers ouvrages, fort supérieurs à tout ce qu'avait publié jusque alors Thomas, fait regretter qu'avant et depuis l'époque de leur composition, au lieu de suivre le premier instinct et la vraie vocation de son génie, en appliquant l'éloquence à des objets philosophiques, moraux et littéraires, cet académicien soit sorti de son genre, et qu'il ait sacrifié, pour le moins, vingt années du demi-siècle de sa vie, fatiguée par des infirmités continuelles, à la malheureuse entreprise qui a englouti son talent. Je veux parler de son poëme épique sur le czar Pierre Ier, dont il ne sentit le vide qu'après lui avoir fait trop de sacrifices pour y renoncer, et qu'il n'eut pas le temps de finir. Nous en avons six chants et quelques fragments, où de grandes difficultés vaincues à force de veilles, et même plusieurs véritables beautés poétiques, ne dédommagent nullement l'auteur du travail qu'elles lui ont coûté et de la gloire qu'elles lui ont ravie. Ce sujet, trop récent peut-être pour se prêter au merveilleux de l'imagination, et qu'il n'avait pas sans doute assez approfondi quand il lui fit tant de sacrifices, lui présentait une perspective séduisante, en offrant à ses pinceaux, dont la souplesse n'égalait point la vigueur, un grand caractère, un génie créateur, la fondation

MAURY.

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