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considération le parallèle de Tillotson avec nos orateurs, en attendant que je rapporte dans un instant les preuves de la fureur et du délire qui dégradent sa détestable éloquence, j'oserais demander si on le croit plus irréprochable à cet égard que Massillon, dont la collection, six fois plus volumineuse, ne renferme pas un seul discours, une seule phrase, une seule expression où l'on aperçoive la moindre teinte de fanatisme?

Tillotson écrit avec une basse prolixité, qui, loin d'être déguisée dans la traduction française, devient, au contraire, plus frappante par la diffusion d'un traducteur tel que Barbeyrac, qui n'eut jamais ni élévation, ni couleur, ni précision, ni élégance; mais, en avouant tous les défauts de cette version, le fond des sermons de l'archevêque de Cantorbéry n'en reste pas moins à une distance infinie des ouvrages de Massillon et de Bourdaloue. Tillotson est beaucoup plus théologien que moraliste; il ne traite guère que des sujets de controverse ; il n'emploie que la formule languissante du syllogisme dans ses dissertations glacées et régulièrement didactiques; il ne connaît qu'une méthode sèche et monotone. On ne découvre point de mouvements oratoires dans ses prétendus discours, point de grandes idées, point d'onction, point de traits sublimes. Ordinairement il forme une division particulière de tous ses paragraphes; de sorte qu'on trouve trente ou quarante sous-divisions dans chacun de ses sermons. Ses détails sont arides, subtils, et le plus souvent ils manquent de noblesse. Quant au style, objet d'une si décisive importance pour la gloire d'un orateur, non-seulement Tillotson n'est point compris dans la liste des grands écrivains, mais c'est précisément sa malheureuse manière d'écrire qui lui fait le plus de tort dans l'opinion des meilleurs critiques anglais, seuls juges compétents de son mérite en ce genre. Voici l'idée que nous en donne le docteur Hugues Blair, littérateur et prédicateur célèbre, dans son Cours de Rhétorique, leçon XXIX, de l'éloquence de la chaire, tome III, page 41, traduction de M. Prévost : « L'archevêque Tillotson a une manière plus libre « et plus animée que Clarke. Mais on ne peut pas sans doute

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« le considérer comme un orateur parfait; sa composition est trop lâche et trop négligée, son style trop faible, souvent « méme trop plat, pour mériter un si beau titre. » Enfin Tillotson est tellement étranger à l'art de l'éloquence, qu'il ne fait presque jamais ni exorde ni péroraison. Est-ce donc là un orateur qu'on puisse préférer hautement, ou même opposer avec quelque pudeur à nos incomparables prédicateurs français ?

I

Mais ne nous bornons point à des critiques vagues, et hâtons-nous de les motiver. Dans son sermon sur les préjugés contre la religion, l'archevêque de Cantorbéry se fait une objection tirée de la contrariété habituelle que l'homme trouve entre ses devoirs et ses penchants; et cette objection, il la copie de la tragédie de Mustapha, par Fulke lord Brooke, dont il rapporte en chaire une longue tirade de vers. Une pareille citation est-elle digne de la religieuse majesté d'un temple? « Les passions, ajoute-t-il, sont une espèce de glu qui nous << attache aux choses basses et terrestres 2. A peine peut-on << passer dans les rues, j'en parle par expérience, sans que les << oreilles soient frappées de jurements et d'imprécations hor<< ribles, qui suffiraient pour perdre une nation, quand elle << ne serait coupable devant Dieu que de ce crime; et ce ne << sont pas seulement les laquais qui vomissent de tels discours blasphématoires, ils sortent aussi de la bouche des maîtres3. » Ailleurs, pour prouver qu'on est obligé de croire les mystères de la religion, quoique l'on ne puisse jamais les comprendre, Tillotson s'exprime ainsi4 : « On mange, on boit tous les jours, bien que personne, à mon avis, ne puisse démontrer « que son boulanger, son brasseur et son cuisinier n'ont pas << mis du poison dans le pain, dans la bière ou dans la viande. >> Voilà les raisonnements, voilà le style d'un orateur que l'auteur du Siècle de Louis XIV ne craint pas d'appeler

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'Tome IV, page 35. 2 Tome I, page 168. 3 Tome I, page 173. 4 Tome I, page 102.

le plus sage et le plus éloquent prédicateur de l'Europe! C'était ainsi que Tillotson exerçait le ministère de la parole, dans la patrie des Dryden, des Addison, des Waller, et auparavant des Bacon et des Milton, en présence de ce même Charles II, qui avait souvent admiré dans sa première jeunesse nos plus illustres prédicateurs français. O Louis XIV! qu'aurais-tu donc pensé si les ministres de la parole sainte avaient fait entendre un pareil langage au milieu de ta cour? Quelle eût été ta surprise si ton oreille, accoutumée aux accents majestueux de Bossuet, au ton noble et touchant de Bourdaloue, à l'onction et à l'harmonie enchanteresse de Massillon, eût été frappée tout à coup de cette élocution grossière et barbare! Avec quelle confusion soudaine, avec quels tristes et longs regards n'aurais-tu pas averti leur ministère de ne point te faire ainsi rougir en public de ta nation! Mais tu eus le bonheur et la gloire d'élever tous les beaux-arts à la hauteur de ton âme et de ton caractère : sous tes heureux auspices, tous les genres de talents marchèrent ensemble vers la perfection. Tu sus principalement apprécier avec goût et multiplier par ta munificence des orateurs dignes de parler au nom de l'Éternel; et l'éloquence de ton grand siècle ne sera jamais surpassée !

Tillotson n'écrit pas avec plus de modération que de noblesse. A chaque page de ses discours on aperçoit le fanatisme, qui mendie une honteuse popularité. En terminant son sermon sur l'amour du prochain, il en fait une espèce de récapitulation pour appliquer la morale de son sujet à l'Église romaine. Qui ne croirait qu'une matière si touchante va lui inspirer des sentiments tendres et même généreux ? Voici pourtant ce que le charitable énergumène conclut, après avoir prouvé longuement à ses auditeurs la nécessité d'aimer tous les hommes : « Toutes les fois que nous parlons de la charité, << et de l'obligation de s'aimer les uns les autres, nous ne sau« rions nous empêcher de penser à l'Église romaine; mais elle

Tome III, page 52.

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<< doit se présenter à notre esprit particulièrement aujourd'hui, qu'elle vient de nous découvrir tout fraîchement, et «< d'une manière authentique, les sentiments où elle est à << notre égard, par le complot charitable qu'elle tramait contre « nous (prétendue conspiration des poudres en 1678), complot qui est tel qu'il doit faire bourdonner les oreilles de tous «< ceux qui l'entendront raconter, décrier éternellement le papisme, et le faire regarder avec horreur et exécration jusqu'à la fin du monde. » Quel style! quels sentiments! quelle charité! quelle logique! et quelle bonne foi!

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Et ne croyez pas qu'employant ici l'artifice ordinaire des critiques, je cherche dans les sermons de l'archevêque de Cantorbéry quelques morceaux négligés, pour le juger uniquement d'après ses distractions ou ses fautes. J'ai lu la collection entière de ses discours; j'en ai extrait un cahier de citations du même style. Il ne m'en coûterait plus que la peine de les transcrire, si je ne craignais de fatiguer autant le lecteur que j'ai été dégoûté moi-même de ces platitudes révoltantes, auxquelles il est impossible que le vrai talent descende jamais, et si les passages que j'ai rapportés ne suffisaient pas pour fixer irrévocablement l'opinion de quiconque n'est pas absolument étranger au bon goût. L'éclatante supériorité de nos orateurs sacrés a élevé la chaire parmi nous à un si haut degré de perfection et de gloire, qu'une si vulgaire médiocrité ne saurait plus se faire remarquer dans cette carrière. Tillotson y montre une manière encore plus didactique, plus froide et plus monotone que Clarke, son modèle et son maître : il est totalement dépourvu, comme le curé de Saint-James, de mouvement, d'âme et d'onction, et il reste fort au-dessous de lui pour la force des preuves, le choix des sujets et le mérite de la méthode.

LXV. De quelques autres orateurs anglais.

J'aurais trop d'avantage si je voulais traduire au tribunal du public le talent de Barrow, autre sermonnaire que les Anglais estiment, ou du moins qu'ils vantent, quoiqu'il soit, de leur

propre aveu, trés-inférieur à Tillotson. Je ne connais pas les sermons d'Young, qui n'ont point été traduits dans notre langue. On doit y trouver sans doute quelques teintes de cette poésie lugubre, de ces sentiments profonds, et même de ces idées bizarres que le mélancolique pasteur de Welwin recueillait dans ses compositions nocturnes; mais Young ne me paraît point avoir une imagination assez souple et assez variée pour l'éloquence de la chaire. Si ses tristes sermons ressemblaient à ses Nuits, l'orateur somnambule devait souvent pleurer seul durant le soliloque lamentable de ses discours, sans jamais faire verser une larme à ses auditeurs, par cette monotone et tendue continuité d'efforts qui, en gênant sans cesse l'aisance de l'abandon oratoire, détruisent toute espèce de pathétique.

Les prédicateurs de Charles II, qui vinrent entendre Bourdaloue à Paris, ne l'ont donc guère imité; et aujourd'hui même que les sermons de ce grand homme sont répandus dans toute l'Europe, la révolution universelle qu'ils devaient produire, et qu'ils ont en effet amenée dans l'éloquence chrétienne, ne s'est pas encore opérée chez les Anglais. L'évêque de Worcester prêcha, en 1752, un sermon sur l'inoculation de la petite vérole, lequel a été souvent imprimé à Londres, et qu'on a traduit ensuite en France. On prétend que ce discours détermina la charité publique à doter un hôpital en faveur des inoculés. Si l'évêque de Worcester a partagé en effet cette espèce encore unique de gloire avec saint Vincent de Paul, il faut avouer que son éloquence ne pouvait ni obtenir un plus beau triomphe ni moins le mériter. Ce sermon est une dissertation curieuse sans doute, et très-neuve en chaire pour son objet; mais le prélat qui l'a prononcé ne sera jamais élevé au rang des orateurs. Entièrement privé de verve et de sensibilité, il s'égare dans des calculs abstraits sur la population, dans des détails ignobles sur la fièvre secondaire; et après avoir épuisé toutes ces théories, plus convenables à une école de médecine qu'à la chaire évangélique, il cite les témoignages des sieurs Ranby, Nawkins et Middleton, chirurgiens

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