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défense du christianisme contre les infidèles et les incrédules. Cette récompense n'est point disputée dans un concours elle est même assignée, non pas à un orateur, mais à un théologien chargé de prêcher, durant le cours d'une année, huit sermons apologétiques en faveur de la religion, dans l'église de Londres qui lui sera désignée par l'exécuteur testamentaire du fondateur. Le célèbre Bentley ouvrit le premier cette carrière, où il fut suivi par les évêques et par les docteurs les plus renommés de la Grande-Bretagne, tels que Kidder, Williams, Gastrell, Blachhal, Harris, Stanhope, les deux Clarke, Wiston, Derham, etc.

La réunion de ces ouvrages, connue sous le nom de Discours pour la fondation de Boyle, devint bientôt très-volumineuse, puisqu'elle devait fournir huit cents dissertations dans chaque siècle. Le docteur Gilbert Burnet en fut l'abréviateur, et publia six volumes de ce recueil, traduit en français sous le titre de Défense de la religion naturelle et révélée. C'est une espèce d'abrégé, justement et généralement estimé, où l'on trouve la réfutation de l'athéisme et du déisme, qui, selon les preuves de l'auteur, devrait conduire à l'athéisme un raisonneur véritablement conséquent; la démonstration du terme fixé à la religion juive, l'apologie de la révélation, l'origine et les causes de l'incrédulité, les preuves de la religion chrétienne, l'accomplissement des prophéties, les limites de la liberté de penser, etc., etc.

Tous ces discours ont été prononcés dans les chaires de Londres. On y découvre une érudition vaste et solide, des raisonnements pleins de force et des recherches épurées par un excellent esprit de critique. Mais c'est la forme, le style et la sécheresse d'un traité de jurisprudence, où la religion chrétienne, devenue la matière d'une discussion contentieuse, est défendue selon toutes les règles du barreau ; c'est un recueil de dissertations savantes, que très-peu d'auditeurs seraient à portée d'entendre et surtout de suivre au débit; ce sont des cours exacts de philosophie sacrée, de théologie dogmatique et de chronologie. Mais je n'aperçois aucune

lueur d'éloquence dans cet amas de paragraphes ou de corollaires, dont la marche est purement scolastique.

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Les auteurs de ces traités, si mal à propos intitulés Discours, n'ont jamais songé à se montrer éloquents. On aurait même été scandalisé à Londres d'une pareille mondanité dans un ministre de l'Évangile. « Dans ces extraits ou abrégés, << dit l'avertissement placé à la tête de cette compilation, on « ne doit s'attendre à trouver ni des exordes, ni des applications, ni des figures de rhétorique, ni tous ces autres or<< nements que l'on croit essentiels à la chaire. En général, « les prédicateurs anglais négligent assez tout cela, parce qu'ils n'ont d'autre but que d'expliquer les mots ou les <«< choses de la sainte Écriture, et que les peuples de la « Grande-Bretagne seraient même très-peu édifiés d'un dis« cours où l'on ne chercherait à placer que de l'esprit et que « de l'éloquence. »

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Cette dernière phrase ne me semble pas rendre exactement la véritable pensée, ou du moins toute la pensée de l'auteur. Les Anglais auraient toute raison d'être peu édifiés d'un discours de ce genre, où l'on ne chercherait à placer que de l'esprit et que de l'éloquence. Certes, notre zèle et notre goût ne se montreraient pas plus indulgents envers des prétentions si étranges en chaire, quand elles y deviennent exclusives. Mais ces rigoristes insulaires vont beaucoup plus loin. Un sermon anglais, dit le docteur Blair 1`, est une suite de raisonnements instructifs et sans chaleur : un sermon français passerait chez nous pour un discours fleuri, souvent même pour LA HARANGUE D'UN ENTHOUSIASTE. Je ne sais si je me trompe en supposant que dans les préventions des Anglais contre le genre oratoire les deux mots enthousiasme et délire sont à peu près synonymes. Quoi qu'il en soit, les habitants de la Grande-Bretagne n'aiment à entendre, du moins en chaire, que des raisonnements très-secs; et ils seraient scandalisés d'une éloquence plus animée, à laquelle, au reste,

• Cours de Rhétorique, leçon vingt-neuvième.

leurs prédicateurs, dignes d'inspirer et de partager un pareil goût, ne les ont certainement pas accoutumés. Nous sommes heureusement en France un peu moins scrupuleux, sans être moins délicats, et surtout sans être moins solides.

En effet, quoique les Anglais aient composé de beaux ouvrages pour la défense de l'Évangile, spécialement le chef-d'œuvre dans lequel Ditton, beaucoup trop enclin au néologisme, démontre la certitude de la religion chrétienne par le seul fait de la résurrection de Jésus-Christ, ils n'ont encore dans cette carrière aucun écrivain qu'on puisse comparer à Bossuet ou à Pascal, et qui même, à l'exception de Clarke peut-être, égale nos apologistes plus récents du christianisme, tels qu'Abadie, Houteville, Bergier, Guénée, etc. Grâce à l'institution dont je parle, et dont on regrette de n'avoir vu paraître aucune continuation depuis les six premiers volumes de l'abrégé de Burnet, le ministère seul de la chaire a semblé leur donner, jusqu'à nos jours, quelque avantage sur nous, sous cet unique rapport des prédications, pour ainsi dire, polémiques; et encore n'était-ce nullement par une véritable supériorité de génie, mais tout au plus par l'ensemble des matières. Ce triomphe apparent va même leur être enlevé. On peut affirmer, avec une évidence incontestable de fait, qu'en ce genre apologétique, où nous possédions déja plusieurs discours convaincants et sublimes, auxquels les prédicateurs de Londres n'ont rien à comparer, tels, par exemple, qu'un des plus beaux chefs-d'œuvre de Massillon sur la divinité de Jésus-Christ, pour la fête de la Circoncision, mais genre dans lequel une série plus complète de preuves semblaient néanmoins laisser aux Anglais je ne sais quelle prééminence restreinte à cette seule espèce de dissertations débitées en chaire, il s'élève aujourd'hui sous nos yeux un monument qui doit effacer toute la collection de Boyle.

Les conférences annuelles de M. l'abbé Frayssinous, sur les mêmes matières déjà discutées dans les prédications dogmatiques dont nous sommes redevables à la fondation de Londres, sont en effet incomparablement mieux adaptées à l'état

présent de notre controverse avec les incrédules, par leur extension progressive à toutes les objections renouvelées ou inventées dans le dix-huitième siècle. Elles ont encore sur le recueil du prix de Boyle un autre avantage incontestable sous tous les rapports du talent. Le fruit de cette institution si heureusement perfectionnée à Paris se manifeste par le concours immense qu'elle attire dans l'église de Saint-Sulpice. Notre nouvel apologiste de la religion, toujours clair, malgré les abstractions de la métaphysique, la profondeur de l'érudition et l'enchaînement serré de la dialectique, y déploie, avec autant de mesure que de succès, tous les mouvements oratoires qui s'allient naturellement aux sujets qu'il traite. Un pareil mélange de raisonnement et d'éloquence soutient l'attention, ranime l'intérêt, et contribue puissamment au triomphe de la vérité, non-seulement sans ralentir, mais encore en augmentant la force et par là même l'effet des preuves, qu'il rend beaucoup plus sensibles.

On suppose communément que l'enseignement public de la religion a toujours été étranger dans la Grande-Bretagne aux mystères de la foi : c'est, au contraire, le pays de l'Europe où les prédicateurs ont autrefois le plus souvent dirigé leurs instructions vers les objets dogmatiques. Mais ils ont changé de matière dans ces derniers temps, et le plus grand nombre des ministres anglicans ne traite guère aujourd'hui que des sujets moraux ou même presque entièrement philosophiques.

C'est donc aux compositions de ce genre que je borne mon examen. Je ne parlerai point des prédications volumineuses de Boise, mort en 1728, père du poëte de ce nom; elles ne sont que des compilations très-peu connues et absolument indignes de l'être. Je ne m'arrêterai pas non plus aux sermons de Clarke, si justement célèbre par sa métaphysique, et qui, selon le témoignage de Voltaire, semble avoir eu avec Locke les clefs du monde intellectuel. Mais si nous le considérons comme orateur, dit le docteur Blair, il lui manque l'art d'intéresser et de toucher le cœur ; il montre à l'homme son devoir, il ne l'excite jamais à le remplir; il le traile comme

une pure intelligence, sans imagination et sans passions '. Les discours, c'est-à-dire les prônes de ce fameux curé de Saint-James, sont raisonnés avec force et médités avec profondeur, mais entièrement dénués des traits et des mouvements sans lesquels aucune prédication ne peut avoir ni chaleur ni éloquence. On exalte beaucoup l'éloquence de Tillotson, archevêque de Cantorbéry; j'ai lu ses sermons avec la plus sincère impartialité. Malgré l'imposante réputation qu'on lui fait sur parole, je n'en dirai cependant pas avec moins de franchise ce que je pense des ouvrages de ce prélat, qu'on regarde assez généralement comme le premier orateur de l'Angleterre.

LXIV. De Tillotson.

Lui déférer un pareil titre, c'est trop peu dire encore au gré de ses admirateurs, qui n'ont pas rougi de l'élever audessus de nos plus grands orateurs modernes. Tillotson, mort en 1694, eut pour contemporains tous les grands hommes qui signalèrent en France l'éloquence sacrée dans le dix-septième siècle. Voltaire, dont l'excellent goût n'aurait pu soutenir la lecture suivie d'un volume, ni même d'un seul discours composé par cet archevêque, dépourvu de tous les dons du génie, et plus encore de tous les attraits du style, n'en appelle pourtant pas moins Tillotson le plus sage et le plus éloquent prédicateur de l'Europe. On ne conçoit pas qu'un Français qui avait lu nos chefs-d'œuvre en ce genre, qu'un écrivain du premier ordre, que Voltaire enfin ait porté jusqu'à cet excès l'indulgence en faveur d'un verbiageur barbare, l'injustice envers nos plus grands orateurs, et enfin l'oubli du respect qu'il devait à son propre jugement. J'ai voulu m'expliquer à moi-même une si étrange admiration, en attribuant uniquement à son enthousiasme pour la tolérance, quelquefois beaucoup trop peu tolérant. Mais, si l'on bornait à cette seule.

Cours de Rhétorique, leçon vingt-neuvième.

2 OEuvres de Voltaire, tome XXX, page 291, édition de Beaumarchais.

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