Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

faire entendre ce qu'on ne veut pas dire. L'hypothèse est très-propre à donner ce ressort à l'éloquence. Cicéron emploie souvent cette figure dans ses plaidoyers, principalement dans ses Verrines, où il imagine à chaque instant des suppositions plus frappantes que les faits, pour rendre les exactions des Verrès encore plus odieuses au peuple romain. Il va jusqu'à supposer, par une condescendance apparente, qu'il consent à prendre pour arbitre dans cette cause le père même de Verrès; et il démontre que si cet oppresseur, bourreau de la Sicile, avait son propre père pour juge, il ne pourrait pas se soustraire à la peine capitale que provoquent ses forfaits.

Bossuet, que je cite de préférence parce que je ne connais point de si riche modèle, a fait un usage admirable de l'hypothèse dans son oraison funèbre de Le Tellier. On ne saurait lire sans émotion cette apostrophe, à laquelle le ressort de la fiction donne tant de véhémence : « Dormez votre sommeil, << riches de la terre, s'écrie-t-il, et demeurez dans votre pous«sière. Ah! si quelques générations, que dis-je? si quelques << années après votre mort, vous reveniez, hommes oubliés « au milieu du monde, vous vous hâteriez de rentrer dans vos tombeaux, pour ne point voir votre nom terni, votre mémoire abolie, et votre prévoyance trompée dans vos amis «< et dans vos créatures, et plus encore dans vos héritiers et << dans vos enfants. Est-ce donc là le fruit du travail dont vous « vous êtes consumés sous le soleil?

[ocr errors]

ע

LVI. De l'Égoïsme dans les orateurs.

Comptons encore parmi les précautions et les convenances de la circonspection oratoire l'attention de ne parler jamais ou presque jamais de soi, ni en bien ni en mal, dans les chaires chrétiennes. L'orgueil révolte toujours; et l'humilité, pour me servir d'une locution vulgaire, est trop souvent prise au mot.

J'avoue cependant qu'un orateur peut inspirer quelquefois un vif intérêt en se mettant lui-même en scène avec l'audi

toire dans un sermon, pourvu qu'il n'excède pas la mesure et ne blesse jamais la dignité qu'exige son ministère. On en trouve quelques exemples dans nos grands maîtres. Massillon attendrit la cour, qui lui témoigna l'estime la plus touchante par un murmure soudain d'acclamation, quand il prit congé d'elle pour toujours, en annonçant, à la fin de son sermon de Pâques, le jour de la clôture du Petit Carême, que sa nomination à l'évêché de Clermont ne lui permettrait plus de reparaître dans cette même chaire, où il s'était illustré par tant de succès immortels. « Grand Dieu! dit-il, ces prières seront « les dernières sans doute que mon ministère, attaché désor« mais par les jugements secrets de votre providence au soin << d'une de vos Églises, me permettra de vous offrir dans ce << lieu auguste, etc. » Ces paroles simples et touchantes émurent sensiblement l'auditoire, qui manifesta par des regrets unanimes son admiration pour un si beau talent, relégué désormais dans les montagnes de l'Auvergne.

Avant Massillon, Bossuet avait parlé aussi de lui-même dans la chaire de son église de Meaux, où il fit entendre le chant du cygne la dernière fois qu'il y parut, vers la fin de sa vie, en disant à ses diocésains que s'ils étaient jamais assez malheureux pour se séparer après sa mort, alors trèsprochaine, de la foi qu'il leur avait si longtemps prêchée, ils le verraient sortir aussitôt de son tombeau pour faire justice à Dieu de leur infidélité. Mais son triomphe le plus éclatant en ce genre se trouve dans ces dernières lignes de l'oraison funèbre du grand Condé, où il mit le comble à l'intérêt qu'il venait d'inspirer à son auditoire, en lui présentant dans le lointain l'image touchante de sa propre mort; « Jouissez,

[ocr errors]

prince, de cette victoire; jouissez-en éternellement par l'im<< mortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts << d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces «< discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand

prince! dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la <«< mienne sainte. Heureux si, averti par ces cheveux blancs « du compte que je dois rendre de mon administration, je

<< réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie << les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'é« teint 1! »

Il s'en faut de beaucoup que les autres orateurs sacrés aient parlé d'eux-mêmes d'une manière si propre à leur concilier l'intérêt de leur auditoire. On pourrait citer plusieurs prédicateurs qui ont fait une funeste expérience du danger de se rendre ridicules, en se mêlant eux-mêmes à leurs discours, et en subissant ainsi le jugement sévère d'une assemblée à laquelle c'est bien assez de livrer son talent, sans lui soumettre jamais son état ou sa personne. Une telle imprudence n'est heureusement point assez commune pour en faire ici l'objet

Le grand Condé, gouverneur de la province de Bourgogne, avait témoigné à Bossuet, dans la ville de Dijon, sa patrie, une bienveillance spéciale dès son enfance, qui annonça de très-bonne heure l'éclat de ses talents. Ce prince avait tellement l'habitude et l'ardeur de vaincre, comme aussi le sentiment et l'ambition de toute espèce de gloire, qu'il fut tenté, a-t-il dit souvent, de lutter en public contre un athlète aussi redoutable que Bossuet dans le pugilat théologique. Bossuet avait toujours vécu, dès l'âge de vingt ans, dans la société privée de ce grand homme. << Il soutint, dit l'abbé de Choisy, à la cinquième page de l'éloge de Bossuet qu'on trouve dans le recueil des discours de l'Académie française, en 1704, «< il soutint sa première thèse de bachelier à Navarre, « sous les auspices et même sous les yeux du grand Condé, qui, supérieur aux autres hommes par l'esprit et le savoir, aussi bien que par le cou<< rage, fut tenté, à ce qu'il a dit lui-même plus d'une fois, d'attaquer un « répondant si habile et de lui disputer les lauriers même de la théologie; << et depuis lors ce grand prince, qui ne résistait point au vrai mérite, lui << a toujours accordé son estime et sa tendresse. Le prélat s'en est montré « reconnaissant au delà même du tombeau, en consacrant à sa mémoire << l'un de ces discours funèbres qui lui ont attiré tant d'acclamatious. >>

L'évêque de Meaux ne pouvait s'acquitter, en effet, plus noblement envers l'illustre protecteur de sa jeunesse, qu'en lui consacrant cette magnifique oraison funèbre qui, par sa liaison nécessaire avec les études de toute éducation soignée, a rendu la renommée de son héros en quelque sorte classique pour toutes les générations suivantes, et qui par là même garantit encore mieux l'immortalité de son nom, que n'aurait pu faire le souvenir de ses victoires. Il faut avouer, en l'honneur de l'éloquence, que Condé et Turenne sont redevables d'un grand accroissement de gloire à Bossuet et à Fléchier, leurs panégyristes.

toire dans un sermon, pourvu qu'il n'excède pas la mesure et ne blesse jamais la dignité qu'exige son ministère. On en trouve quelques exemples dans nos grands maîtres. Massillon attendrit la cour, qui lui témoigna l'estime la plus touchante par un murmure soudain d'acclamation, quand il prit congé d'elle pour toujours, en annonçant, à la fin de son sermon de Pâques, le jour de la clôture du Petit Carême, que sa nomination à l'évêché de Clermont ne lui permettrait plus de reparaître dans cette même chaire, où il s'était illustré par tant de succès immortels. « Grand Dieu ! dit-il, ces prières seront « les dernières sans doute que mon ministère, attaché désor<< mais par les jugements secrets de votre providence au soin << d'une de vos Églises, me permettra de vous offrir dans ce << lieu auguste, etc. » Ces paroles simples et touchantes émurent sensiblement l'auditoire, qui manifesta par des regrets unanimes son admiration pour un si beau talent, relégué désormais dans les montagnes de l'Auvergne.

Avant Massillon, Bossuet avait parlé aussi de lui-même dans la chaire de son église de Meaux, où il fit entendre le chant du cygne la dernière fois qu'il y parut, vers la fin de sa vie, en disant à ses diocésains que s'ils étaient jamais assez malheureux pour se séparer après sa mort, alors trèsprochaine, de la foi qu'il leur avait si longtemps prêchée, ils le verraient sortir aussitôt de son tombeau pour faire justice à Dieu de leur infidélité. Mais son triomphe le plus éclatant en ce genre se trouve dans ces dernières lignes de l'oraison funèbre du grand Condé, où il mit le comble à l'intérêt qu'il venait d'inspirer à son auditoire, en lui présentant dans le lointain l'image touchante de sa propre mort; « Jouissez, prince, de cette victoire; jouissez-en éternellement par l’im« mortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces <«< discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince! dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la «< mienne sainte. Heureux si, averti par ces cheveux blancs « du compte que je dois rendre de mon administration, je

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

excès d'orgueil. La risée publique lui apprendrait bientôt combien il serait choquant et maladroit, je ne dirai pas seulement de se louer, mais encore d'oser simplement parler de soi devant une grande assemblée. On évite même ce ridicule dans la société. C'était le bon goût, autant que l'humilité chrétienne, qui avait banni le moi des écrits de Port-Royal. L'abbé Fleury dit que l'historien lui-même doit toujours se cacher << dans sa narration ; en sorte que le lecteur n'ait jamais le << loisir de penser si les faits sont bien ou mal écrits, s'ils sont « écrits, s'il a un livre entre les mains, s'il y a un auteur au << monde. C'est ainsi qu'Homère écrivait. »

Or, s'il n'est pas permis à un historien de se faire remarquer dans ses récits, un prédicateur doit être assurément plus attentif encore à se laisser oublier de son auditoire. Il est néanmoins quelques occasions où un orateur chrétien peut se prendre modestement lui-même pour sujet d'un développement de morale qui intéresse la multitude. Mais ce n'est point pour appeler sur lui l'attention de l'auditoire qu'il se donne alors en spectacle; c'est au contraire pour concentrer en lui seul les faiblesses, les illusions, les écarts et les inconséquences de l'esprit ou du cœur humain; et dans une telle vue plus il parlerait de lui, moins on le trouverait personnel. Massillon excelle dans cette humble méthode de se mettre ainsi à la place des pécheurs, en déplorant ses propres contradictions, ses erreurs, ses angoisses et ses remords. Il excite le plus touchant intérêt, il attendrit ses auditeurs jusqu'aux larmes, toutes les fois que, les peignant euxmêmes dans sa personne avec la vérité la plus frappante, quand il dévoile les profondeurs de sa conscience, il se dénonce à Dieu comme un ingrat, comme un misérable, comme un insensé. Je ne citerai aucun de ces monologues fréquents et souvent sublimes. J'aime mieux, pour généraliser une règle de goût, retracer ici cette confusion salutaire d'un esprit qui s'arme de toute sa force quand il veut se

1 Premier discours sur l'Histoire de l'Église.

« ZurückWeiter »