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s'écrie-t-il, et prenez garde surtout de n'écouter point avec mépris l'ordre des avertissements divins et la conduite de la grâce. Dieu, qui fait entendre ses vérités sous telles figures qu'il lui plaît, continue à instruire la princesse «< comme autrefois Joseph et Salomon ; et durant l'assoupis<< seinent que l'accablement lui causa, il lui mit dans l'esprit << cette parabole, si semblable à celle de l'Évangile : elle voit << paraître ce que Jésus-Christ n'a pas dédaigné de nous donner «< comme une image de sa tendresse, une poule devenue mère, empressée autour de ses petits, qu'elle conduisait.

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Voyez avec quel art admirable l'orateur rapproche toutes ces allégories d'une imagination riche et brillante, l'intervention de la Divinité, la préparation oratoire d'un sommeil mystérieux, le songe de Joseph, celui de Salomon, la parabole de l'Evangile. Il vous familiarise d'avance avec le merveilleux, en vous environnant d'un horizon qui vous présente de tous les côtés de pareils prodiges; et par ses ornements accessoires il vous prépare, il vous amène à entendre sans surprise les détails d'un rêve où il n'est question que d'une poule, dont il semblait impossible, ou, pour mieux dire, presque ridicule de parler. Rien ne prouve mieux que cet exemple qu'un grand talent parviendra toujours à adapter avec succès au style de l'éloquence presque tout ce qu'on pourrait se permettre dans les entretiens de la société.

Dans cette même oraison funèbre, Bossuet n'hésite point d'employer des locutions vulgaires, qu'un orateur médiocre eût rejetées d'un pareil éloge, sur lequel néanmoins elles répandent le plus touchant intérêt ; il dédaigne toutes les faciles périphrases capables d'altérer la simplicité naïve du trait qu'il veut faire admirer. Mais aussitôt il déploie l'autorité la plus imposante de son ministère, et il fait bien sentir que ce n'est nullement par défaut de goût qu'il descend à un langage si familier. Écoutez-le attentivement. Loin de s'en excuser, comme un bel esprit délicat n'y eût pas manqué, il s'en félicite, il s'en glorifie, il subjugue votre admiration par la sienne propre, et il s'afflige sérieusement, dans l'enthousiasme de

cette conquête oratoire, de n'avoir plus devant lui d'écueil semblable à braver.

« On ne peut retenir ses larmes, dit-il, quand on voit cette princesse épancher son cœur sur de vieilles femmes qu'elle « nourrissait. Otons vitement, disait-elle, cette bonne femme « de l'étable où elle est, et mettons-la dans un de ces petits a lits. Je me plais à répéter ces paroles, malgré les oreilles << délicates; elles effacent les discours les plus magnifiques, et je voudrais ne plus parler que ce langage. Malheur à moi « si dans cette chaire j'aime mieux me chercher moi-même « que votre salut, et si je ne préfère à mes invitations, quand « elles pourraient vous plaire, les expériences de cette prin«< cesse qui peuvent vous convertir! Je n'ai regret qu'à ce « que je laisse. »>

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On a droit de tout dire quand on sait se relever par un langage si majestueux. Il ne reste donc aucune excuse aux orateurs dont le style est abject et rampant dans des détails beaucoup moins bas et moins difficiles à ennoblir. On échoue, on se brise contre cet écueil d'une élocution populaire, quand on veut descendre en chaire aux désordres particuliers de chaque condition, au lieu d'attaquer les vices communs à tous les hommes. Dès qu'un prédicateur cesse de généraliser la morale, il ne peut plus parler à ses auditeurs une langue qui les intéresse tous. Une partie de l'assemblée rit de se voir spectatrice du combat, tandis que l'autre est accablée de reproches ou livrée à la honte du ridicule. Tout est noble dans la peinture des passions qui agitent le cœur humain : tout devient bas dans le tableau des excès réservés aux différents états qui partagent la société.

XLV. Des Transitions.

Moins vous multiplierez ces détails extérieurs ordinairement étrangers au cœur de l'homme, et qui n'ont même entre eux aucune relation, plus aussi votre discours aura d'unité, plus les parties en seront liées et suivies. Cet art des transitions est aussi difficile à soumettre à des règles qu'à réduire en pratique.

On cite avec raison comme un chef-d'œuvre dans cette partie du talent d'écrire l'Histoire des Variations, où le grand Bossuet réunit toutes les branches divergentes de son sujet par le seul lien de sa logique, et rapproche ainsi sans confusion les questions les plus abstraites et les plus disparates. Les transitions qui ne sont fondées que sur le mécanisme du style, et qui consistent uniquement dans une liaison apparente entre le dernier mot du paragraphe qui finit et le premier mot du paragraphe qui commence, ne sont point, à proprement parler, des transitions naturelles, mais des rapprochements forcés.

Les véritables transitions oratoires sont celles qui suivent le cours du raisonnement ou du sentiment, sans contrainte, avec assez d'art pour ne montrer aucun effort, et dont l'auditeur n'aperçoit point la liaison; celles qui unissent les masses, au lieu de suspendre seulement quelques phrases les unes aux autres; celles qui enchaînent tout le discours, et dispensent le prédicateur de faire un nouvel exorde à chaque sous-division que lui présente son plan; celles que le dévelop"pement des idées fournit et place, pour ainsi dire, à l'insu de l'orateur, avec ordre et méthode; celles qui s'appellent et se correspondent par une connexion naturelle, et non par une rencontre imprévue; celles enfin que la méditation engendre en inspirant de suite et presque à la fois plusieurs grandes pensées, et non pas celles que la plume fait coïncider en saisissant des rapports combinés. Des idées nettes et précises se prêtent mutuellement à des transitions faciles et heureuses. Les pierres bien taillées, dit Cicéron, s'unissent d'ellesmêmes, sans le secours du ciment.

L'imagination des anciens brille ainsi avec autant d'éclat que de mesure jusque dans l'aridité du genre didactique. Quintilien nous fournit aussi sur la même matière d'admirables imitations de cette méthode, qu'il avait apprise à l'école de Cicéron. Boileau est celui de tous les modernes qui se montre à cet égard le plus digne rival de l'antiquité, en présentant sans cesse avec le goût le plus ingénieux, dans son

immortel Art poétique, tous les préceptes de chaque genre, en exemples et en images.

« Les pensées ingénieuses trop multipliées, dit Quintilien, rendent aussi le discours trop coupé; car toute sentence << renferme un sens complet, après lequel un autre sens com<< mence; d'où il résulte que l'ouvrage paraît décousu, plutôt « formé de pièces et de morceaux que composé de plusieurs << membres analogues; il manque alors de liaison, parce qu'il << en est de ces traits d'esprit isolés comme des corps de figure « ronde, qui ne peuvent jamais, quelque effort qu'on fasse, s'emboîter et parfaitement cadrer juste les uns avec les << autres. Nos idées, ajoute Quintilien, doivent non-seule«ment être placées avec beaucoup d'ordre, mais encore être si << bien liées ensemble, qu'on n'en démêle pas la jointure en « sorte qu'elles forment un seul corps, et non pas simplement « des membres épars2. »>

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Cette lumineuse doctrine des anciens sur les transitions du style se retrouve en action et au degré le plus parfait dans les discours de Massillon. Jamais orateur n'a mieux et même si bien justifié le bel emblème sous lequel les anciens ont peint la marche de l'éloquence, qu'ils comparent au cours non interrompu d'un ruisseau. Il n'emploie aucun de ces mouvements brusques, aucun de ces tours forcés, aucune de ces transitions artificielles, qu'on imagine pour couvrir le vide ou pour masquer la discordance des idées. Rien n'est isolé et vague dans sa composition. Une pensée ne s'y montre que pour en engendrer une autre. Ses idées semblent se suivre au lieu de se chercher. Chaque alinéa y forme autant de tableaux ;• et ses sermons, où ils se trouvent tous placés à leur plus beau

« Facit res eadem concisam quoque orationem, subsistit enim omnis sententia ideoque post eam utique aliud est initium. Unde soluta fere oratio, et e singulis non membris, sed frustis collata, structura caret, cum illa rotunda et undique circumcisa insistere invicem nequeant. » Lib. VIII, cap. v.

2 « Sensus non modo ut sint ordine collocati elaborandum est, sed ut inter se juncti, atque ita cohærentes, ne commissura pelluceat: corpus sit, non membra. » Lib. VII, cap. x.

point de vue, comme dans une riche galerie, présentent à notre admiration, sans cesse renaissante, une suite continue de propositions oratoires qu'il développe sans s'arrêter, sans hésiter, et surtout sans divaguer jamais.

XLVI. Du Style nombreux.

Si toute élocution sautillante, si une suite de phrases trop courtes, si les petites idées ne peuvent jamais se lier ainsi étroitement, hâtons-nous donc de les rejeter de nos discours. Un style sans cesse coupé et sentencieux ne fera jamais de puissantes impressions sur la multitude. L'éloquence demande un genre de diction étendue, majestueuse, sublime, pour développer les mouvements de l'âme et donner à la pensée tout son essor. Quiconque recommence à penser de ligne en ligne est toujours froid, lent, monotone et superficiel. Le vrai sublime n'est autre chose que ce que le génie découvre par delà les premières idées ordinaires. Creusez donc vos pensées; ne vous arrêtez point à ramasser des grains brillants de sable sur ce terrain qui couvre une mine d'or; élancez-vous bien loin des conceptions vulgaires, et vous trouverez au delà ce même vrai sublime entre ce qui est commun et ce qui serait exagéré. Libre dans votre marche, ne vous renfermez point dans les limites étroites de ces phrases incidentes qu'on voit tomber à chaque instant avec l'idée qui s'évapore; et déployez dans leur vaste étendue ces formes nombreuses et imposantes qui donnent au style de l'éloquence sa force, son élévation, sa véhémence, sa grandeur, ses richesses d'harmonie, en accélérant la gradation des pensées et des mouvements de l'orateur. « Les traits foudroyants de Démosthène, disait Cicéron, frapperaient beaucoup moins s'ils n'étaient lancés avec toute << la force et l'impétuosité du nombre 1. »

On appelle nombres dans le style les repos de la phrase indiqués par la ponctuation, les syllabes coupées et senties ou accentuées dans la manière de débiter, l'espace, la mesure

«Demosthenis non tam vibrarent fulmina illa nisi numeris contorta ferirentur. » Orator. 131.

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