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repoussa comme des outrages des éloges d'un pareil admirateur. REPRENEZ, lui dit-il fièrement dans sa réponse, REPRENEZ VOTRE INSOLENTE ESTIME! On ne saurait exprimer le mépris avec plus de hauteur et d'énergie.

XLI. Des Métaphores.

J'aime, dit Montaigne, que les mots aillent ainsi où va la pensée. Mais pour énoncer une idée dans toute sa force l'expression ordinaire ne suffit pas toujours, et alors la métaphore devient le mot propre dans le style oratoire.

Au milieu des grands mouvements de l'âme, les mots les moins recherchés et les plus simples, les mots de situation sont toujours aussi les plus frappants par leur vigueur et leur propriété; au lieu que dans les tableaux de l'éloquence l'expression qui s'offre naturellement la première à l'esprit n'est presque jamais la plus heureuse. L'effet oratoire exige qu'on en choisisse alors une autre à côté, qui vienne y suppléer. La métaphore doit remplir cette fonction. Le goût est donc autorisé à juger d'autant plus sévèrement cette parole ambitieuse, qu'elle s'empare d'une place qui ne lui appartient point, qu'elle est dès lors obligée d'y mieux figurer que le mot répudié en son honneur et dont elle vient usurper le droit.

Ce sont les rapports communs à deux objets qui forment la métaphore, lorsqu'ils sont faciles à démêler, et qu'ils présentent une ressemblance frappante, comme verte vieillesse, enflammé de colère, riantes prairies, moisson de gloire, etc. L'art de saisir et de rapprocher heureusement ces analogies d'abord inaperçues', de se créer ainsi une diction nouvelle avec des mots anciens et usités, d'exprimer et même de peindre une idée commune ou abstraite par une image neuve et pittoresque, d'indiquer un objet pour en faire ressortir un autre avec plus d'éclat, d'enrichir enfin son élocution en faisant comparer par le goût du lecteur ou de l'auditeur ces brillants échanges d'expressions qu'invente la langue de l'éloquence; ce bel art, dis-je, forme la figure oratoire qui donne

du relief au discours, en montrant ainsi le mot propre dans le signe d'emprunt; et toute métaphore n'est par conséquent, dit ingénieusement Quintilien, qu'une comparaison abrégée'.

L'éloquence ne saurait exister sans ce langage auxiliaire de l'imagination. Le discours, dit Cicéron, doit frapper également l'esprit et les sens des hommes 2. Or, les sens ne sont émus que par la vérité et la vivacité des images. La nature elle-même, qui est le type ou le premier modèle de l'art, inspire les figures les plus expressives aux sauvages de l'Amérique. Lorsqu'ils entendirent sonner l'heure pour la première fois ils se firent expliquer la destination de cet instrument d'un mécanisme si nouveau, dont le nom même n'existait pas dans leur indigent vocabulaire. Ils le dénommèrent aussitôt, en réunissant deux mots généraux de leur idiome, dont ils surent former une métaphore très-juste, très-neuve, très-poétique; et ils appelèrent cette horloge la langue du temps, qui les avertissait de son passage à mesure qu'il s'écoulait.

Le même langage métaphorique, commandé par le besoin et la pauvreté des langues avant d'être inspiré par l'imagination et combiné par le goût, est également très-familier aux enfants et aux hommes de la lie du peuple, quand ils sont dominés par une forte passion. Dumarsais a judicicusement observé qu'on employait plus de tropes à la halle que dans les académies. Il est vrai que ces métaphores populaires étant souvent peu exactes, un orateur doit s'assurer, avant de les admettre dans sa diction, qu'elles ont autant de vérité et de justesse que de hardiesse et d'éclat.

On ne saurait citer un exemple plus frappant de l'abus qu'on peut faire de l'élocution figurée, que cet absurde galimatias de Balthazar Gratian: « Les pensées partent des vastes

1

<< In toto autem metaphora brevior est similitudo. » De Instit. Oratoria, lib. VIII, cap. VI.

2 «Oratio hominum sensibus et mentibus accommodata. » De Oratore, 12, 53.

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« côtes de la mémoire, s'embarquent sur la mer de l'imagination, arrivent au port de l'esprit, pour être enregistrées è à la douane de l'entendement. >> L'archevêque anglais Tillotson, dans son sermon sur le jugement dernier, ne donne pas le même développement et la même progression de mauvais goût à ses grotesques métaphores; mais son style n'est guère moins barbare, lorsqu'il représente le monde prêt à retomber dans le chaos, et faisant entendre ses craquements1 aux oreilles du pécheur.

Il faut sans doute de l'imagination dans l'expression; mais il y faut, avant tout, de la vérité et du jugement. L'image est fausse quand il y a contradiction dans les termes. L'avocat Linguet, entraîné par son irréfléchie et incurable facilité, abonde en exemples de ce mauvais goût, qui naît d'un défaut de logique dans le style; je n'en veux citer qu'un seul : c'est cette phrase de sa diatribe contre les économistes : Je remonterai à la base de vos réputations. L'image est incohérente, lorsqu'elle peint, d'un côté une substance physique, et de l'autre un objet moral; et telle est cette parenthèse du même écrivain: Je dis donc (et je reste toujours assis sur mes principes). Elle est puérile et recherchée si elle forme une périphrase précieuse et inusitée, comme quand Houdard de La Motte appelle les cadrans solaires les greffiers du soleil. Mais elle devient pittoresque et sublime quand elle énonce une idée hardie et juste, avec autant de simplicité que d'énergie; et c'est ainsi que Bossuet, dans son discours pour la profession de madame de La Vallière, au couvent des Carmélites, peint admirablement les fantaisies tyranniques du luxe lorsqu'il dit que tous les arts suent pour le satisfaire.

Quand Bossuet se sert d'une métaphore qui paraît hasardée, il s'en excuse quelquefois; mais aussitôt il renchérit sur cette première image, qu'il ne trouve ni assez grande ni assez hardie, au gré de son imagination. « Vous parlerai-je, dit-il dans l'oraison funèbre de Marie-Thérèse, vous parlerai-je de

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« la mort de ses enfants ? Représentons-nous ce jeune prince, que les grâces elles-mêmes semblaient avoir formé de leurs « mains. Pardonnez-moi ces expressions : il me semble que je « vois encore tomber cette fleur. Alors, triste messager d'un « événement si funeste, je fus aussi le témoin, en voyant le roi « et la reine, d'un côté, de la douleur la plus pénétrante, « et de l'autre, des plaintes les plus lamentables; et, sous des « formes différentes, je vis une affliction sans mesure. »

Une idée qui serait commune et rampante sans la hardiesse d'imagination qui donne quelquefois des sens aux êtres inanimés, devient intéressante et noble sous le pinceau d'un orateur ou d'un poëte. Lorsque Racine a montré toute l'audace du style poétique dans ces vers, qui paraissent si simples au premier coup d'œil :

Non, vous n'espérez plus de me revoir encor,

Sacrés murs que n'a pu conserver mon Hector!

il aurait pu dire, sans altérer la mesure Non, je n'espère plus de vous, etc.; mais qui ne sent combien cette apostrophe ainsi conservée, ou, pour mieux dire, éteinte, eût été moins attendrissante et moins vive dans la bouche d'Andromaque ? L'éloquence, j'en conviens, a des droits moins étendus que la poésie, à laquelle il faut accorder tant de licence; celle-ci est dispensée, selon la judicieuse observation de Boileau, de toutes les formules d'excuses auxquelles la prose est assujettie : Pardonnez cette expression, pour ainsi dire, si j'ose parler ainsi, etc. Le poëte est affranchi par ses autres liens de tous ces ménagements timides: son titre établit son droit, toutes les fois que la prose serait autorisée, avec de pareilles précautions, à s'écarter des règles. Quand les Grecs croyaient devoir se faire ainsi pardonner les métaphores trop hardies, ils appelaient, selon Quintilien, cette faveur demander grâce pour l'hyperbole1.

Cependant on trouve souvent aussi dans les grands orateurs des métaphores qu'on oserait à peine hasarder en vers. Ces

• Lib. VIII, cap. IX.

figures sont tellement fondues dans le style, qu'on ne les remarque presque point à la lecture. Massillon eût sans doute étonné Racine, sans offenser peut-être la délicatesse de son goût, lorsqu'il dit dans son sermon sur le mélange des bons et des méchants : « Le juste peut avec confiance condamner << dans les autres ce qu'il s'interdit à lui-même : ses instruc<< tions ne rougissent pas de sa conduite. » Le grand poëte, le parfait écrivain, Racine, qui possédait au plus haut point le secret ou, pour mieux dire, le talent de cacher la hardiesse de ses expressions et de ses métaphores, avec tant d'art et sous une élocution si naturelle en apparence, qu'il faut réfléchir sur chacun des mots de sa phrase quand on est jaloux de s'en apercevoir, Racine eût admiré cette heureuse audace de style qu'on trouve dans le même discours : « Les courti<< sans de Sédécias accusaient les larmes et les tristes pré« dictions de Jérémie sur la ruine de Jérusalem, d'un se« cret désir de plaire au roi de Babylone, qui assiégeait « cette ville infortunée. »>

XLII. Des Comparaisons.

Mais si le style oratoire appelle sans cesse les métaphores, l'éloquence admet aussi les comparaisons plus développées, pourvu qu'elles ne deviennent pas trop fréquentes, et qu'elles ne soient jamais ni prolixes, ni recherchées, ni communes. On les regarde avec raison comme l'un des signes les plus certains d'un esprit distingué. Cette figure répand beaucoup d'éclat sur un discours, quand d'heureuses similitudes, aisées à retenir, y sont à la fois justes, claires, courtes, frappantes et tirées du spectacle de la nature. Thomas en présente une grande et sublime dans son éloge de Sully, en nous rappelant les consolations et la seconde conscience que le bon Henri trouvait tous les jours dans ses entretiens intimes avec son ministre. L'idée seule de Sully, dit-il, était pour Henri IV ce que la pensée de l'Étre suprême est pour l'homme juste, un frein pour le mal, un encouragement pour le bien. Cet orateur ne fournit, malheureusement pour sa gloire, aucun

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