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à servir d'épisode que de partage à une solide instruction! Loin surtout ces sous-divisions correspondantes et symétriques entre les deux parties d'un discours, où elles forment une opposition puérile, également indigne et d'un art si noble et d'un ministère si auguste! Évitez ces défauts brillants; présentez-moi un plan simple et raisonnable. Vos preuves lumineuses et bien distinctes se graveront aussitôt dans ma mémoire, et je rendrai à votre éloquence le plus beau de tous les hommages, si je conserve un souvenir profond de ce que j'aurai entendu : car le meilleur sermon est toujours celui que l'auditeur retient le plus aisément.

VII. Des plans tirés du texte.

Tout orateur qui a des idées à lui, des idées originales, aura des plans neufs et frappants, sans se proposer jamais d'étonner, et par le simple besoin de marquer le but vers lequel l'appelle son génie. Les plans ne sont souvent que singuliers ou bizarres, surtout lorsqu'on veut les tirer du texte du discours. Cette pénible contrainte ne réussit presque jamais dans les sermons de morale. Massillon a calqué la division de son sermon sur la confession, dans lequel on trouve tant de beautés de détail, sur un passage de l'Évangile; il prend pour texte ce verset de saint Jean Erat multitudo cæcorum, claudorum, et aridorum. Il y avait un grand nombre d'aveugles, de boiteux, et de ceux qui avaient les membres desséchés. Massillon compare les pécheurs qui environnent les tribunaux de la pénitence aux malades qui étaient rassemblés sur les bords de la piscine de Jérusalem; et il montre l'analogie de ces infirmités corporelles avec les abus les plus communs qui rendent les confessions inutiles. Il y avait des aveugles: défaut de lumière dans l'examen. Il y avait des boiteux défaut de sincérité dans l'aveu de ses fautes. Il y avait des malades dont les membres étaient desséchés défaut de douleur dans le repentir. Cette application est très-ingénieuse sans doute; mais elle est aussi trèsrecherchée, et le goût exquis de Massillon n'a succombé que

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cette seule fois à la tentation de puiser un plan artificiel dans l'analyse de son texte. L'usage qu'il a fait du fameux passage Consummatum est, dans son sermon sur la passion, est plus heureux. Cette interprétation ne lui appartient point : elle avait été développée avant lui dans plusieurs ouvrages ascétiques, d'où il a très-bien fait de la tirer pour la produire au grand jour. Il me semble que la méthode d'adapter le le texte au plan ne saurait presque jamais être employée avec succès dans les instructions purement morales, et qu'elle réussit beaucoup mieux dans les mystères, dans les homélies, dans les oraisons funèbres, et dans les panégyriques, où le texte devient étranger au discours quand il n'annonce pas le sujet, et même quand il ne renferme pas, au moins implicitement, la division. Il est aisé de trouver dans l'Écriture sainte des versets analogues à l'idée principale qu'on veut développer en ce genre, et on sait toujours gré à l'orateur de ces applications heureuses qui consacrent en quelque sorte le plan qu'il a choisi.

Je regarde comme le modèle d'un plan fécond et heureux d'un sermon, et qui ouvre une belle et vaste carrière à la logique, à l'imagination, à l'éloquence de l'orateur, cette division admirable du discours du père Le Chapelain, pour la profession religieuse de madame la comtesse d'Egmont : « Dans ce monde distingué qui m'écoute, il est un monde qui vous condamne, il est un monde qui vous plaint, et << il est un monde qui vous regrette. Il est un monde qui vous condamne, et c'est un monde injuste, que je dois confon

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« dre. Il est un monde qui vous plaint, et c'est un monde aveugle, que je dois éclairer. Il est un monde qui vous re« grette, et c'est un monde ami de la vertu, que je dois con« soler. Voilà ce qu'on attend de moi, et ce que vous devez << en attendre vous-même. En trois mots, justifier la sagesse de votre sacrifice aux yeux du monde injuste qui vous condamne ce sera la première partie. Éclairer sur le bon« heur de votre sacrifice le monde aveugle qui vous plaint : « ce sera la seconde partie. Consoler enfin, autant qu'il est

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« en moi, de l'éternité de votre sacrifice, le monde raisonnable et chrétien qui vous regrette ce sera la troisième partie. C'est à vous, divin Esprit, que j'ai recours. Vous êtes l'esprit de force, l'esprit de lumière, l'esprit de consolation : j'ai besoin de tous ces dons pour confondre le monde, pour éclairer le monde, pour consoler le monde : » Le discours est pour ainsi dire fait dès qu'un plan si riche est trouvé. L'orateur qui ne saurait pas le remplir serait incapable de le concevoir.

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VIII. De la progression du plan.

Mais, soit que l'on traite ainsi un sujet moral, soit que l'on exerce son talent sur les mystères ou sur les panégyriques dont les sujets vraiment propres à l'éloquence sont en trèspetit nombre, il importe toujours d'observer dans la distribution du plan une graduation marquée, pour assurer ou plutôt pour augmenter toujours l'intérêt des faits, la progression des preuves, la force du raisonnement et la véhémence des mouvements oratoires. Il est aussi rare que difficile de faire les deux parties d'un sermon égales en beauté, parce qu'elles n'offrent presque jamais les mêmes ressources à l'imagination de l'orateur. Mais la seconde, si le sujet s'y prête, doit l'emporter sur la première : c'est la méthode de nos grands maîtres. En Italie, au contraire, la seconde partie des sermons n'est comptée pour rien, ne prouve rien, ne conduit à rien, et elle finit toujours ou presque toujours sans aucune péroraison éloquente, à moins que l'orateur ne termine şon discours par la paraphrase d'un psaume ce qui est trèsbeau, et malheureusement aussi très-rare. Cette mauvaise routine d'énoncer un second point, et de le réduire à deux ou trois pages insignifiantes est l'une des causes de l'infériorité des prédicateurs italiens comparés à nos orateurs du premier ordre; car plusieurs d'entre eux ont beaucoup plus de talent qu'on ne le suppose à Paris, comme on le verra dans la suite de cet ouvrage. Il est manifeste que l'éloquence déchoit toujours quand elle cesse de s'élever; c'est donc au second mem

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bre de la division, habilement combiné pour distribuer avec art l'intérêt progressif du sujet, qu'il faut réserver les raisons les plus triomphantes et les sentiments les plus pathétiques. La marche de Cicéron, dont les plans sont très-nets et trèsoratoires dans toutes ses harangues, quoiqu'il les énonce rarement dans l'exorde, sa marche, dis-je, est très-favorable à l'accroissement de ses preuves, et l'oblige de se surpasser continuellement par de nouveaux efforts, à mesure qu'il avance dans les difficultés de sa matière. Ouvrez ses plaidoyers il nie d'abord le fait qu'on lui oppose, et ensuite il prouve qu'en le supposant vrai on n'en pourrait rien conclure contre son client. Je me bornerai à citer ici deux exemples frappants de cette excellente méthode. En défendant Archias, qui avait été son instituteur, et dont il parle toujours avec l'accent de la piété filiale, Cicéron divise ainsi son discours : « Je prouverai qu'Archias est citoyen romain, et que s'il ne l'était pas, il serait digne de l'être. » Le plan de la harangue pour Milon n'est pas moins pressant. «< Milon, dit-il, n'a point tué Claudius: s'il l'avait tué, il aurait bien fait. » Il n'est pas donné à l'esprit humain de raisonner avec plus d'ordre et de vigueur en éloquence. Et qu'on ne croie pas que Cicéron procède ainsi par hasard dans quelques occasions particulières : car dans ses Partitions oratoires, dans ce dialogue charmant où ce grand homme subit un examen sur l'éloquence, en répondant à toutes les questions que lui propose son fils sur l'art oratoire, Cicéron en fait un système raisonné; et il consacre comme une règle fondamentale de l'éloquence du barreau cette manière de diviser le discours. Voici, lui dit-il, comment vous devez procéder: ou il faut nier le fait qu'on vous oppose, ou, si vous l'avouez, il faut prouver qu'il n'en résulte point les conséquences que votre adversaire en déduit 1. J'avoue qu'il est très-rare de pouvoir suivre cette marche di

« Aut ita consistendum est ut quod objicitur factum neges, aut illud quod factum fateare; neges cam vim habere atque id esse quod adversarius criminetur. » Parag. 29, 101.

dactique dans nos chaires, où les discussions morales ne sont jamais problématiques, et où la conscience, qui ne ment jamais, ne saurait contester la vérité à ses remords. Mais Bourdaloue oppose souvent cette logique pressante aux excuses ou aux prétextes de la faiblesse et de la mauvaise foi. Plus nous imiterons cette méthode, plus nous approcherons de la perfection.

IX. Du tort que l'esprit fait à l'éloquence.

A toutes ces règles que l'art prescrit pour diriger le plan du discours, hâtons-nous d'ajouter un plan général de composition, dont ne doivent jamais s'écarter les orateurs et surtout les orateurs chrétiens. Quand on entre dans la carrière, le zèle dont on est animé pour le salut des âmes ne fait pas toujours oublier les avantages inséparables des grands succès. Mais souvent aussi un désir aveugle de briller et de plaire coûte la solide gloire qu'on pourrait acquérir si l'on s'abandonnait aux seules impulsions de la piété, qui s'allie si bien avec la sensibilité nécessaire à l'éloquence. Il est à souhaiter, sans doute, que l'on n'aspire qu'à se rendre utile à la religion, en se condamnant aux travaux effrayants que ce ministère exige, et dont on ne saurait jamais être dignement récompensé par le vain bruit de la célébrité. Mais si des motifs si élevés et si purs n'agissent point assez puissamment sur votre âme, trop éprise encore de l'attrait ou de l'espoir également trompeur d'une réputation que vos mécomptes vous apprendront tôt ou tard à mieux apprécier, calculez du moins les véritables intérêts de votre amour-propre, et voyez combien ils sont inséparables de l'efficacité apostolique de vos instructions sacrées. Dans cette carrière, une renommée solide et durable ne peut s'établir que par un auditoire vraiment religieux, et par l'affluence des fidèles qui environnent les chaires chrétiennes. Voilà les suffrages utiles, les seuls suffrages permanents, dont vous deviez vous honorer! D'ailleurs, est-ce donc pour vous que vous exercez le ministère public de la parole évangélique ? est-ce pour vous et pour

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