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des secours de la religion, de sa foi, de ses espérances, de sa situation, de son repentir, de sa raison, de son caractère : voilà ce qui peut consoler et fortifier les mourants. La mort aussi ramasse toutes ses forces pour accabler sa victime, la promptitude de la maladie, la multitude et la violence des maux, les crises et le déchirement de la douleur; et Bossuet a parfaitement signalé ce cortége de la mort, en indiquant toutes ses plus cruelles rigueurs envers l'infortunée Henriette d'Angleterre. Mais qu'est-ce donc qu'une constance ramassée? La constance ne saurait être éparpillée. Elle rallie toujours les éléments dont elle se compose, la force, le courage, la fermeté, la résignation; enfin elle ramasse tous ses appuis, et ne peut jamais être ramassée. On voit la différence des deux manières de Bossuet et de Fléchier: elle marque ici celle du bon et du mauvais goût.

Bossuet est original et admirable dans le choix de ses épithètes, dont l'emploi est presque toujours une invention de son génie. Elles lui fournissent des rapports nouveaux et sublimes, comme, par exemple, ce contraste étonnant que son imagination découvre entre le néant et la magnificence des décorations funèbres dans la représentation du mausolée du grand Condé, lorsqu'il dit dans sa péroraison : <<< Jetez les << yeux de toutes parts: voilà donc tout ce qu'a pu faire la piété pour honorer un héros des titres, des inscriptions, << vaines marques de ce qui n'est plus; des figures qui sem

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blent pleurer autour d'un tombeau, et de fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste ; des << colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant. »

Bourdaloue est très-sobre en épithètes; et elles sont toujours justes, simples et nécessaires. Massillon en fait un usage très-modéré et très-ingénieux pour augmenter l'éclat de sa pensée, la beauté de ses images et l'harmonie de son style. Neuville en est surchargé cette loquacité rend son élocution flasque et assoupissante. C'est pour cela que ses discours paraissent un vain bruit de paroles, quoiqu'ils soient

quelquefois assez solidement prouvés, et qu'on y trouve même de la profondeur.

XXXVIII. De la nécessité de travailler son style.

Effacez vous-même, orateur chrétien, tous ces pléonasmes. Jugez sévèrement vos productions, et bannissez avec ces redondances toutes les familiarités de style qui ravalent la majesté des idées. On n'exige pas que tout soit également frappant dans un sermon; mais on demande que tout soit écrit avec soin, et que l'éloquence dédommage, par la beauté de l'élocution, de celle qui manque aux pensées comme la sculpture supplée par les richesses des ornements à l'imitation plus difficile de la nature. C'est le grand art de Voltaire dans les scènes les moins animées de ses tragédies. Il faut des repos pour l'admiration; il en faut surtout dans la véhémence de sorte que si l'on dit qu'il se trouve plusieurs morceaux vraiment éloquents dans un sermon écrit d'ailleurs avec noblesse, soutenu avec intérêt, et raisonné avec force, on l'aura suffisamment loué, puisqu'il n'en existe encore aucun qui soit également parfait sous tous les rapports de l'art.

Aspirez-vous au mérite d'un style pur et élégant, multipliez donc les copies de vos discours; et à l'exemple de Fénelon, qui, né avec une si prodigieuse facilité, a laissé néanmoins onze manuscrits différents et complets de son Télémaque, écrits en entier, ou du moins raturés et corrigés de sa main, ne cessez de transcrire aussi votre ouvrage, jusqu'à ce que vous soyez parvenu à vous satisfaire vous-même. Tout orateur doit adopter la devise de César, qui croyait n'avoir rien fait tant qu'il lui restait quelque chose à faire. Plus on écrit, mieux on écrit ; et ce n'est qu'en surmontant l'ennui de ces transcriptions réitérées, que l'on peut déployer dans son style toute la perfection de son goût. Aussi tres-peu de gens de lettres font-ils usage de toutes leurs forces. La plupart d'entre eux, accoutumés à se contenter trop tôt, meurent sans avoir jamais ni connu ni fait connaître l ́étendue de leur talent. Les idées accessoires, les beautés de dé

tail, les heureuses combinaisons de la finesse, du nombre et de l'harmonie, le doux sentiment d'un morceau achevé qu'Horace a si bien défini et si bien exprimé par ces mots, qui me mihi reddat amicum, enfin les tournures élégantes et variées qui font le charme du style, se présentent rarement à l'esprit de l'écrivain dans le premier jet d'un ouvrage, et sont ordinairement le prix d'une longue correction. Tant qu'il est possible de changer, il est possible de mieux faire. C'est le caractère du beau dans les arts, de frapper si vivement le talent qui le produit et le spectateur qui l'admire, qu'également épris du même enthousiasme, ils ne puissent plus rien imaginer au delà de ce qu'ils voient.

Tous nos grands orateurs, qui ont fait de l'éloquence de la chaire l'un des plus riches domaines de notre littérature nationale, se sont plus ou moins signalés par ce mérite suprême du style qui seul assure la vie d'un ouvrage. La perpétuité de leur renommée est garantie par l'exemple et par les principes de tous les grands maîtres de l'art. Ce n'est plus moi, c'est Quintilien qu'il faut entendre parler, quand il insiste avec tant de force sur l'importance et la nécessité de ces laborieuses corrections, sans lesquelles on ne saurait obtenir et conserver aucune gloire.« Traitons, dit-il, maintenant du « soin de corriger ce qu'on a écrit, soin qui forme une partie «< considérable de la composition; car ce n'est pas sans raison qu'en prenant ce mot dans le sens propre, on a dit que le style (la plume) n'agit pas moins en effaçant qu'en écrivant. « Ce que j'appelle corriger, c'est ajouter, retrancher et chan« ger. La clarté est la qualité première et fondamentale du style. Il faut que rien ne manque à la phrase et qu'il n'y ait << rien de trop1. On ne parvient point à bien composer en composant vite, et l'on parvient à composer vite en compo

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Sequitur emendatio, pars studiorum longe utilissima. Nec enim sine causa creditum est stylum non minus agere cum delet. Hujus autem operis est adjicere, detrahere, mutare. » De institutione oratoria, lib. 10, cap. 4. « Nobis prima sit virtus perspicuitas; nihil neque desit, neque superfluat.» Lib. 8.

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«sant bien'. Toutes nos pensées nous plaisent au moment ou << elles viennent se présenter à notre esprit ; car autrement où << ne les écrirait pas. Après ce premier jet, qui ne saurait être jamais trop rapide, il faut revenir à l'examen et remanier « cette composition, dont la facilité doit toujours nous être « suspecte. Imposons-nous, avant tout, la loi d'écrire le « mieux qu'il nous est possible; et de cette habitude naîtra la « célérité 2. Cicéron dit que le style est le grand maître et le principal ressort de l'éloquence3. Que personne ne se flatte « done de devenir disert à peu de frais, ou par la seule fatigue << d'autrui. Qu'on se persuade bien, au contraire, qu'il faut veiller, pâlir sur un ouvrage et faire des efforts extraordi<< naires pour le rendre parfait. Tout orateur doit se fixer à <«< lui-même un guide, une pratique, une manière qui lui soit « propre; en sorte néanmoins que cet ordre de travail paraisse << moins en lui un effet de l'art et le fruit de l'application, qu'un heureux don de la nature. L'art oratoire, s'il en est un, peut << nous indiquer promptement le chemin; mais il se borne à « nous découvrir les trésors de l'éloquence: c'est à nous à sa« voir en faire usage4. Il est des maîtres qui après un exercice << de quelques jours, et sans aucun plan, ne suivant que leur caprice, traitent les orateurs qui ont fait le plus d'hon<< neur aux lettres d'écrivains froids, timides, secs, ennuyeux, languissants, selon que l'une ou l'autre de ces épithètes se

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1 Cito scribendo non fit ut bene scribatur, bene scribendo fit ut cito. >> De Institutione oratoria, lib. 10, cap. 5

2 « Omnia enim nostra dum nascuntur placent: alioquin nec scriberentur; sed redeamus ad judicium, et retractemus suspectam facilitatem. Primum hoc constituendum est, ut quam optime scribamus: celeritatem dabit consuetudo. » Ibid.

3 Stylum Tullius optimum effectorem ac magistrum dicendi vocat. » Ibid. 5.

«Nemo expectet ut tali vel tantum alterius labore sit disertus. Vigilandum ducat, iterum enitendum, pallendum. Est facienda sua cuique vis, usus, dux, ratio; nec tanquam hæc tradita, sed tanquam innata. Ars oratoria, si qua est, viam demonstrare velociter potest: verum ars satis præstat si copias eloquentiæ ponit in medio: nostrum est uti iis scire. >>> Lib. 7, cap. 10.

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présente à leur plume. Ils sont en vérité bien heureux de se « trouver éloquents avec si peu de peine, sans aucune science,

« aucun travail, aucune règle. Je les en félicite, et j'avoue qu'ils m'amusent infiniment'. »

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C'est la raison, c'est le bon goût qui suggèrent à Quintilien toutes ces réflexions, dont le seul exposé démontre la sagesse, et suffit pour en faire des préceptes éternels de l'art. Il faut donc retrouver, en relisant de sang-froid et en jugeant ses propres ouvrages, la même promptitude de tact et la même sévérité de critique dont on use dès le premier coup d'œil qu'on jette sur les productions d'autrui, surtout de ses rivaux, pour y démêler leurs fautes ou leurs négligences: ce qui est infiniment plus facile que d'en saisir toutes les beautés; car pour apercevoir les défauts d'un discours il suffit de connaître les règles, et peut-être même d'avoir le sentiment des convenances; au lieu que pour en apprécier les différents genres de mérite, il faut s'associer en quelque sorte à la composition de l'auteur, et avoir été doué d'une sagacité assez prompte et assez continue pour sentir, comme par un heureux instinct, les inspirations du génie, les richesses de l'imagination, le charme d'une diction naturelle, la finesse de l'esprit et la délicatesse du goût. En effet, pour peu qu'on ait l'habitude d'écrire, on distingue d'abord les morceaux qui ne sont point assez médités ou assez travaillés, et qui échappent de la plume de l'écrivain avant d'avoir acquis dans son cerveau toute leur maturité. Cet air facile qui fait, dit très-bien le grand poëte lyrique Jean-Baptiste Rousseau 2, le charme d'un ouvrage ne consiste point dans l'inobservation des règles; au contraire, cette inobservation fait voir l'impuissance où l'on est de surmonter les difficultés de l'art.

« Invenias præceptores qui brevem dicendi exercitationem consecuti, omissa ratione, ut tulit impetus, passim tumultuentur, eosque qui plus honoris litteris tribuerunt, et ineptos, et jejunos, et trepidos, et infirmos, ut quodque verbum contumeliosissimum occurrit, appellent. Verum illis quidem gratulemur, sine labore, sine ratione, sine disciplina disertis. Nobis certe sunt voluptati. » Lib. 2, cap. 12.

2 Lettre à M. de Lasseré du 29 décembre 1735.

MAURY.

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