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« voyez chargés des mêmes soins que vous, et qui cependant « font du salut la principale affaire. Votre goût pour le « plaisir? Le plaisir est le premier penchant de tous les « hommes ; et il est des justes en qui il est encore plus violent, et qui sont nés avec des dispositions moins favorables à la vertu que vous. Vos afflictions? Il y a des gens de bien malheureux. Votre prospérité? Il s'en trouve qui se sanc«<tifient dans l'abondance. Votre santé? On vous en montre qui dans un corps infirme portent une âme remplie « d'une force divine. Tournez-vous de tous les côtés : << autant de justes, autant de témoins qui déposent contre

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On ne trouverait pas dans les orateurs profanes beaucoup d'exemples de cette logique nerveuse, et de cette analyse claire, serrée et triomphante, qui rappelle le dialogue de Corneille. Nos avocats n'en ont pas la moindre idée au barreau, où les causes présentent souvent des faits qui s'y adapteraient heureusement, si l'on savait les lier, comme en faisceau, pour en former un corps de preuves, par le nœud de cette dialectique oratoire. C'est une conquête que l'éloquence sacrée doit au génie de Massillon. Mais des réponses qui se succèdent avec tant de célérité ne peuvent subjuguer l'auditoire qu'en réunissant à chaque ligne la précision et l'évidence. Ce mode dramatique de dialogue, où les questions du ministre de la parole lui donnent pour interlocuteurs tous ses auditeurs, dont il ne peut se constituer l'interprète qu'en s'obligeant à ne jamais déguiser la force de leurs raisons, doit imiter, ce me semble, à certains égards, la concision de l'espèce de petit poëme le plus opposé au genre des sermons : je veux dire, de l'épigramme, où l'on exige que chaque trait soit court, brillant et fort comme la flèche.

Pour rendre hommage à Massillon des imitations et des succès de son école, où il a créé le dialogue oratoire, il faut en citer un autre exemple, tiré de l'abbé Poulle, dans la seconde partie de son sermon sur les afflictions. Le disciple approche içi du maître; mais la ressemblance eût été plus

heureuse encore s'il n'avait pas eu la prétention de montrer plus d'esprit, en croyant donner à son style plus d'ornements que n'en avait employé l'évêque de Clermont.

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« Dans la prospérité connaît-on les hommes ? Je le demande «< aux grands de la terre. Leur exemple est plus frappant et << donnera plus de force à cette vérité. Vous avez du crédit : <«<le vent de la faveur vous porte, vous élève, vous soutient; << n'attendez des hommes que complaisance, soins assidus, louanges éternelles, envie de vous plaire. Vous les prenez << pour autant d'amis? Ne précipitez pas votre jugement. « Dans peu vous lirez au fond de leur cœur; mais il vous en «< coûtera votre fortune. Ce moment critique arrive, un «< revers imprévu hâte votre chute : tout s'ébranle, tout s'agite, tout fuit, tout vous abandonne. Quoi! ces esclaves toujours attachés à mes pas? Ils vous punissent de leurs humiliations passées. Quoi! ces flatteurs qui canonisaient << toutes mes actions? Vous n'avez pas de quoi payer leur en«< cens : vous n'êtes plus digne qu'ils vous trompent. Quoi ! «< ces ingrats que j'avais comblés de bienfaits? Ils n'espèrent plus rien de vous, ils vont vendre ailleurs leur présence et leurs hommages. Quoi ! ces confidents, les dépositaires de << mes secrets? Ils ont abusé de votre confiance pour travailler plus sûrement à votre ruine. Comptez à présent tous « ceux qui sont restés autour de vous, et qui vous demeu<< rent fidèles après l'orage : voilà vos amis ! Vous n'en eûtes jamais d'autres. Le monde n'est rempli que de ces âmes bas<< ses et vénales qui se livrent au plus puissant; de ces courti<< sans mercenaires, prostitués à la fortune, et toujours courbés devant l'autel où se distribuent les grâces. Renversez l'idole qu'ils adorent ils la maudiront. Mettez à sa place telle «< autre idole qu'il vous plaira : ils l'adoreront. O honte de « l'humanité! Dans le siècle où nous sommes, on pardonne plus aisément des injustices qu'une disgrâce. Un homme perdu d'honneur, s'il est puissant, trouvera mille appro« bateurs; un homme vertueux et sans tache, s'il est malheureux, ne trouvera pas un seul consolateur. >>

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XXXVI. De la chaleur du style.

Plus le dialogue sera fréquent dans un discours, moins les apostrophes y seront nécessaires : et moins on prodiguera cette dernière figure, plus elle aura d'effet. C'est dans les apostrophes que l'orateur doit déployer toute sa véhémence, s'il craint le danger et la confusion très-commune de s'échauffer tout seul : semblable alors, dit Cicéron, à un homme ivre au milieu d'une assemblée à jeun, ebrius inter sobrios. Le sentiment s'iusinue toujours mieux et produit des impres sions plus profondes que le raisonnement, surtout durant ces instants d'effervescence où le génie et l'âme du prédicateur ont besoin de s'élancer avec assez d'impétuosité pour entraîner l'auditoire, tantôt par la force des preuves, tantôt par la rapidité des mouvements. Les apostrophes multipliées, et principalement les exclamations fréquentes, décèlent un déclamateur qui ne sait point écrire, qui est troublé plutôt qu'ému; qui montre l'épuisement de son esprit à la fin de chaque période; qui laisse avorter toutes ses idées, dont il ne suit jamais le fil, les développements et les rapports; qui, en réitérant la même figure, saute sans cesse, dit Cicéron, parce qu'il ne sait pas marcher, bien moins encore courir ', et se flatte ainsi de suppléer aux transports de l'éloquence par des efforts stériles ou des convulsions affectées.

Il est nécessaire sans doute que l'orateur anime ses compositions de cette chaleur d'âme qui annonce la sensibilité et la réveille. S'il est dépourvu dans ses écrits de ces idées ardentes qui viennent du cœur de l'homme éloquent et vont droit à celui de l'auditeur, son langage le plus emphatique ne sera jamais qu'un languissant jargon, destiné à s'éteindre comme un vain bruit dans l'oreille, qu'il importune toujours et n'intéresse jamais.

Qui dit froid écrivain dit détestable auteur.

« Crebris compellationibus orationem quasi saltu tollebat in altum : incedere, multoque minus currere nesciens. » Brutus, seu de claris oratoribus, 57.

La maxime de Boileau ne sera point contestée. Mais si on entendait par le mot chaleur les fermentations d'un cerveau creux, dont l'exaltation n'est que du délire et se manifeste par cette double confusion d'idées et de paroles que les Anglais appellent de la prose ivre ; si l'on entendait l'audace du paradoxe uni au mauvais goût, les apostrophes continuelles, les mouvements divergents, les exclamations, les transports factices, les hyperboles ou l'enflure d'une élocution hydropique, les mouvements convulsifs, enfin un style gonflé de métaphores outrées... ah! préserve-toi de ces écarts et de ces excès, jeune orateur, qui as reçu de la nature l'inépuisable présent du génie; crois que le véritable enthousiasme n'est autre chose que l'inspiration sublime d'une imagination vivement exaltée, toujours unie à la raison, qu'elle ne sacrifie pas, mais qu'elle enflamme en lui donnant l'intérêt et l'accent d'un sentiment passionné. Crois surtout, sans l'apprendre par ta propre expérience, que l'épilepsie du cerveau ne fut et ne sera jamais la verve oratoire. Veux-tu savoir ce qui est froid? c'est tout ce qui est exagéré, tout ce qui est obscur, tout ce qui est surchargé de fleurs et d'antithèses, tout ce qui est entortillé, tout ce qui est vide de sens, tout ce qui annonce de la recherche, des efforts, de la prétention au bel esprit, tout ce qui est écrit sans imagination et sans âme; et surtout rien n'est plus froid qu'une fausse chaleur.

C'est à des caractères bien différents que l'on reconnaît le vrai talent de l'éloquence. L'orateur qui le possède sait, sans se montrer jamais commun, être toujours simple; il évite tout ce qui est ampoulé, vague, affecté; et il veut à la fois plaire à la raison, toucher le cœur et charmer l'oreille. Maître de ses expressions comme de ses pensées, il s'élève, il s'attendrit, il se passionne, quand son sujet demande tour à tour de la noblesse, de la sensibilité, de la véhémence. Une matière bien préparée fait affluer sous ses pinceaux cette richesse de couleurs qu'Horace promet aux compositions ainsi mùries

1. Some drunken prose.

dans l'esprit de l'écrivain. Je veux, dit Quintilien, que l'on soigne toutes ses expressions, mais que la principale sollicitude ait pour objet essentiel le fond des choses 1.

Pour écarter de ses discours le remplissage de la déclamation, il faut donc qu'un orateur réfléchisse longtemps avant d'écrire; car ce n'est jamais à la suite d'une méditation profonde qu'on se livre à ce luxe stérile des mots, dans lequel un critique habile démêle aussitôt un simple jeu mécanique de la plume; ce n'est point après un pareil travail préparatoire, comme on peut s'en assurer par soi-même, que l'esprit, vague et détendu, se tourmente à pure perte pour trouver les expressions et les tournures les plus propres à bien rendre ce qu'on veut dire. Pourquoi ne découvre-t-on rien dans certains moments? Parce qu'on ne sait réellement ni où l'on veut aller ni ce qu'on cherche. C'est ici une poétique d'expérience qu'on apprend tous les jours dans l'art et l'habitude d'écrire. On se croit dans une léthargie de stérilité: on est seulement au milieu d'un désert et d'un nuage. Vous vous plaignez d'éprouver à chaque membre de vos périodes une nouvelle difficulté pour rendre exactement votre pensée? Quand votre plume s'arrête, ne poursuivez plus l'expression qui la fuit; remontez plutôt à votre première intention oratoire; demandez vous-même à votre esprit ce qu'il se propose de développer, et son hésitation vous apprendra qu'il ne le sait pas bien. Les mots, dit Horace, viennent se présenter d'euxmêmes à l'écrivain qui a bien médité son sujet.

Cui lecta potenter erit res,

Nec facundia deseret hunc, nec lucidus ordo.

L'orateur ne doit plus avoir rien à chercher quand il cède au besoin de jeter sur le papier les richesses conquises dans ses méditations solitaires. La composition décharge sa mémoire, et la soulage en débarrassant son esprit ainsi fécondé, au lieu d'être pour lui un effort, une fatigue, ou même un

« Curam ergo verborum, rerum volo esse sollicitudinem. » Quintil. Præmiorum, lib. 7.

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