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Ce fameux cardinal de Retz excellait lui-même dans l'art de peindre les grands hommes. Tous les portraits qui composent la galerie si estimée du premier et du meilleur volume de ses Mémoires sont autant de chefs-d'oeuvre; j'en excepte pourtant celui d'Anne d'Autriche, que l'écrivain trace en homme de parti, aveuglé par la haine, et dès lors non-seulement privé par sa passion de la perspicacité de son esprit, mais encore si préoccupé, ou plutôt tellement exagéré dans ses préventions, qu'à l'entendre, lorsque cette princesse pleurait de colère, elle dardait ses larmes sur le visage des personnes dont elle était entourée'.

On ne saurait admirer le crayon sublime de Bossuet dans les portraits oratoires qu'il nous a tracés de ses contemporains sans désirer de savoir comment il fut peint lui-même, quelques années après sa mort, dans la chaire chrétienne, qu'il avait tant illustrée par son génie. Heureusement le peintre n'était pas indigne du modèle. Voici donc l'aspect imposant sous lequel Massillon sut le présenter à l'admiration publique, dans la première partie de l'oraison funèbre du dauphin, dont l'évêque de Meaux avait été le précepteur :

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« Quel soin, dit-il, que celui de former la jeunesse des sou<< verains! Quel ouvrage! Mais aussi quel homme la sagesse « du roi ne choisit-elle pas pour élever son fils unique! Un « homme d'un génie vaste et heureux, d'une candeur qui caractérise toujours les grandes âmes et les esprits du premier << ordre; l'ornement de l'épiscopat, et dont le clergé de France << s'honorera dans tous les siècles; un évêque au milieu de la «cour; l'homme de tous les talents et de toutes les sciences, « le docteur de toutes les Églises; la terreur de toutes les «sectes; le Père du dix-septième siècle, et à qui il n'a manqué que d'être né dans les premiers temps pour avoir été << la lumière des conciles, l'âme des Pères assemblés, avoir « dicté des canons et présidé à Nicée et à Éphèse. Massillon, je l'avoue, ne pouvait descendre à aucuns dé

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Voyez, à la fin du volume, la note no 6.

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tails en indiquant les différents objets de tous ces titres de gloire; mais il est remarquable qu'étant lui-même un grand orateur, et devant attacher la plus haute importance aux triomphes de la parole, il s'est néanmoins abstenu, je ne sais pourquoi, de placer le mot éloquence à côté de son nom corrélatif (en langue de grammaire), Bossuet, dont Quintilien aurait pu dire avec vérité, comme d'Homère et de Cicéron : Quand je lis ses ouvrages, il me semble que je me trouve dans le temple de Delphes, et que j'y entends parler un dieu plutôt qu'un homme. On croirait que les dieux l'ont accordé à la terre afin que l'éloquence vint faire l'essai de toutes ses forces dans sa bouche : son nom est pour la postérité moins le nom d'un homme que celui de l'éloquence elle-même2.

Les portraits oratoires tracés avec un burin vigoureux et placés à propos animent puissamment un discours, et produisent toujours un grand effet. L'éloquence doit les composer de traits caractéristiques et d'idées frappantes, qui, en se mêlant à des faits connus, forment, pour ainsi dire, un corps et non pas simplement des membres isolés, offrent un tableau ressemblant, parlent à l'imagination, peignent au lieu de raconter, et intéressent tout l'auditoire, qui veut entendre un orateur, et non pas un froid historien. Mais ces morceaux brillants doivent être courts, pour se faire remarquer et retenir aisément par cette précision sans laquelle il ne saurait y avoir ni profondeur ni énergie. C'est la grande et belle manière de Bossuet et de Tacite. Je ne multiplierai point ici les citations de l'évêque de Meaux; et il me suffira d'en choisir une seule de l'historien romain, qui excelle en ce genre. Ce grand peintre est aussi concis dans ses descriptions ou dans ses tableaux historiques que dans ses portraits. Voici la couleur sombre et sublime qu'il emploie pour nous représenter la

« Ut mihi non hominis ingenio, sed quodam Delphico videatur oraculo instinctus Homerus. Lib. X, cap. 1.

2 Dono quodam providentiæ genitus, in quo totas vires suas eloquentia experiretur: apud posteros consecutus, ut Cicero jam non hominis sed elo quentiæ nomen habeatur. » Ibid.

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consternation de Rome et de l'empereur Galba au moment où Othon est sur le point d'y arriver : « Galba était entraîné çà « et là par les flots opposés de la multitude; les palais et les a temples étaient pleins : partout l'aspect du deuil; le peuple, << la populace même, étaient sans voix; mais tous les visages << étaient immobiles de stupeur, toutes les oreilles épiaient le << moindre bruit. Il n'y avait ni tumulte ni calme; mais c'était « ce silence qui signale les grandes frayeurs et les grandes « colères '. »

XXXIV. Des Compliments.

Puisque la discussion des différentes règles auxquelles l'art de l'éloquence assujettit les orateurs chrétiens me conduit à tous ces détails, je ne dois pas m'élever vers de plus grands objets sans m'arrêter encore quelques instants à un autre épisode de nos compositions oratoires, qui offre quelques affinités de style et de coloris avec les panégyriques, et surtout avec les portraits: je veux parler des compliments par lesquels nous sommes quelquefois obligés dans la chaire de commencer ou de finir nos discours. L'usage établi ne permet plus aux ministres de l'Évangile d'annoncer la parole sainte en présence des maîtres du monde sans brûler devant eux quelques grains d'encens. Les rois sont donc bien à plaindre d'être poursuivis par l'adulation jusque dans ces mêmes temples où ils viennent s'instruire de leurs devoirs et s'humilier de leurs fautes! Mais les orateurs chrétiens, qui devraient parler alors comme la conscience, inspirent un tout autre sentiment que la pitié quand ils se rangent eux-mêmes dans la foule des flatteurs. Ce qui doit, sinon les excuser, les consoler du moins, c'est la certitude que des éloges commandés à celui qui les prononce ne sauraient enorgueillir les

1 « Agebatur huc et illuc Galba, vario turbæ fluctuantis impulsu, completis undique basilicis et templis, lugubri prospectu. Neque populi aut plebis ulla vox; sed attoniti vultus, et conversæ ad omnia aures. Non tumultus, non quies, sed quale magui metus et magnæ iræ silentium est. »> Tacit. Histor. lib. I, cap. 40.

hommes puissants auxquels on les adresse. Mais que l'on ne passe pourtant jamais les bornes du respect que l'on se doit à soi-même dans ces compliments d'étiquette, car la religion ne permet ces louanges qu'en épargnant à la vérité l'humiliation d'en rougir ou de les désavouer. Ah! que l'on reconnaisse donc toujours un apôtre ennemi du mensonge jusque dans ces hommages commandés par la bienséance; et n'avilissons point un ministère si auguste par des éloges exagérés, qui ne sauraient tromper jamais ni le grand qui les reçoit, ni l'orateur qui les prodigue, ni l'auditeur qui les entend, ni le Dieu qui les juge. L'adulation outrée déplaît à tout le monde, et sert même très-mal la vanité qui la souffre. Louer les princes des vertus qu'ils n'ont pas, dit le duc de La Rochefoucauld, c'est leur dire impunément des injures; c'est du moins compromettre leur amour-propre, et oublier étrangement les égards qui leur sont dus en public. Eusèbe nous raconte dans la vie de Constantin 1, que cet empereur eut le bon sens d'imposer silence à un prédicateur qui, en sa présence, avait la bassesse d'imiter dans un sermon la fiction de Virgile pour l'apothéose d'Auguste, en annonçant à Constantin qu'après sa mort il serait associé au fils de Dieu pour gouverner l'univers.

J'aime dans Bossuet cette noble franchise avec laquelle il exprime sa réserve dans la louange, de peur de déplaire, et surtout de s'avilir en paraissant vouloir flatter. On sent dans ses compliments je ne sais quelle respectable austérité apostolique, et une répugnance invincible pour l'adulation. Un prédicateur ordinaire qui eût été chargé de prêcher la profession de madame de La Vallière en présence de la reine Marie-Thérèse, n'aurait peut-être pas manqué de saisir cette occasion pour faire amplement les honneurs d'une si éclatante expiation, à l'épouse pieuse et délaissée de Louis XIV. « Il « est juste, lui dit Bossuet, il est juste, madame, que, faisant « par votre état une partie si considérable des grandeurs du

Lib. 4, cap. 4.

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monde, vous assistiez quelquefois aux cérémonies où l'on apprend à les mépriser. » L'orateur, en montrant ainsi autant de tact que de délicatesse et de mesure, se renferme aussitôt dans son sujet, et ne songe plus à cette princesse que pour en écarter avec respect le souvenir dans la suite de son discours. Il eût été indécent de ne point faire mention de la reine qui présidait à la cérémonie, et dont les spectateurs épiaient tous les regards; mais il eût été maladroit et barbare de lui offrir, même de loin, comme un triomphe digne d'elle, les pleurs volontaires d'une si touchante victime.

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L'aversion de Bossuet pour la flatterie est encore plus frappante dans l'oraison funèbre du grand Condé. M. le duc de Bourbon conduisait le deuil à cette pompe funèbre, qui fut célébrée dans l'église de Paris, et le sujet que traite Bossuet semble lui coûter un effort ou même un excès d'indiscrétion, pour faire en quelque sorte malgré lui un éloge sublime du fils, en racontant les détails de l'agonie et de la mort du père. Ce compliment est amené avec un naturel, c'est-à-dire avec un art inimitable. << Comme le prince donnait des ordres particuliers, dit-il, et de la plus haute importance, puisqu'il y allait de sa conscience et de son << salut éternel, averti qu'il fallait écrire et ordonner dans les « formes... Quand je devrais, monseigneur, renouveler vos douleurs, et rouvrir toutes les plaies de votre cœur, je ne << tairai pas ces paroles qu'il répéta si souvent qu'il vous connaissait, qu'il n'y avait sans formalité qu'à vous dire <«< ses intentions, et que vous iriez encore au delà. Monseigneur, qu'un père vous ait aimé, je ne m'en étonne pas : << c'est un sentiment que la nature inspire; mais qu'un père « si éclairé vous ait témoigné cette confiance jusqu'au dernier « soupir, qu'il se soit reposé sur vous de choses si importantes, et qu'il soit mort tranquillement sur cette assurance, << c'est le plus beau témoignage que votre vertu pût remporter; et, malgré tout votre mérite, Votre Altesse n'aura de moi aujourd'hui que cette louange.

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Fénelon n'a jamais affaibli en chaire les saintes maximes

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