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XXXIII. Des Portraits.

C'est ordinairement dans les panégyriques et dans les oraisons funèbres que les prédicateurs tracent les portraits des contemporains fameux qui ont été les rivaux, les émules, les amis de l'homme dont ils célèbrent les vertus. Ces morceaux, où l'on attend le panégyriste et où la critique épie le jugement et le talent de l'orateur, sont ordinairement jugés avec d'autant plus de sévérité, qu'ils annoncent toujours des prétentions. L'auditeur ne les écoute point avec intérêt si une heureuse précision ne les grave aussitôt dans sa mémoire, si chaque coup de pinceau ne forme un grand trait, si l'homme qu'on juge n'est déjà célèbre, enfin s'ils ne rassemblent pas des idées frappantes dans un très-court espace.

Lorsque Massillon prêcha son sermon analysé dans l'article précédent, sur l'assomption de la sainte Vierge, aux religieuses de Chaillot, devant la reine d'Angleterre, il crut devoir placer, de courtoisie, dans ce discours le portrait du prince d'Orange, comme un moyen adroit et convenable de plaire à l'épouse du roi détrôné par lui, Jacques II, en présence de laquelle il parlait. Son talent le servit fort mal dans cette occasion. Il parut oublier, en ajoutant aux prétéritions de la plus injuste partialité, les pléonasmes d'une élocution déclamatoire, et surtout en déguisant mal la flatterie sous le voile de la détraction, qu'il serait jugé lui-même un jour sur cette même diatrible à laquelle il abaissait son ministère. Massillon ne nous présente qu'une seule pensée pour peindre Guillaume III, et après l'avoir exprimée dès sa première phrase, sans approfondir le caractère du stathouder, sans grouper et même sans saisir les plus mémorables résultats de son histoire.

Voici donc ce portrait, si diffus et si peu connu : « Pour

On ne l'avait encore cité dans aucun recueil lorsque je l'insérai pour la première fois, tel qu'il est ici, dans cet Essai sur l'Éloquence, imprimé en 1780, et tel qu'il se trouve dans toutes les éditions suivantes.

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l'usurpateur, qui s'est élevé par des voies injustes, qui a dépouillé l'innocent et chassé l'héritier légitime pour se << mettre à sa place, et se revêtir de sa dépouille, hélas ! sa gloire sera ensevelie avec lui dans le tombeau, et sa mort développera la honte de sa vie. C'est alors que, la digue qu'opposaient aux discours publics ses succès et sa puis"sance étant ôtée, on se vengera sur sa mémoire des fausses louanges qu'on avait été contraint de donner à sa personne; « c'est alors que, tous les grands motifs de crainte et d'espé«rance n'étant plus, on tirera le voile qui couvrait les « circonstances les plus honteuses de sa vie. On découvrira le motif secret de ses entreprises glorieuses que l'adulation «< avait exaltées, et on en exposera l'indignité et la bassesse. « On regardera de près ces vertus héroïques que l'on ne con«naissait que sur la bonne foi des éloges publics, et on n'y << trouvera que les droits les plus sacrés de la nature et de la société foulés aux pieds. On le dépouillera alors de cette gloire barbare et injuste dont il avait joui; on lui rendra l'infamie et la mauvaise foi de ses attentats, qu'on avait bien voulu se cacher à soi-même. Loin de l'égaler aux héros, on l'appellera un fils dénaturé, un de ces hommes <«< dont parle saint Paul, sans culte, sans affection et sans principes; sa fausse gloire n'aura duré qu'un instant, et son opprobre ne finira qu'avec les siècles : la dernière postérité << ne le connaîtra que par ses crimes, que par la piété filiale « foulée aux pieds à la face des rois et des nations qui ont << eu la lâcheté d'applaudir à son usurpation; enfin, que par

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l'attentat qui lui a fait détrôner un père et un roi juste, « pour se mettre à sa place. Les histoires, fidèles dépositaires << de la vérité, conserveront jusqu'à la fin son nom avec sa honte; et le rang où il s'est élevé aux dépens des lois de << l'honneur et de la probité, le faisant entrer sur la scène de l'univers, ne servira qu'à immortaliser son ambition et son ignominie sur la terre. »

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Cette amplification, ou plutôt cette diffamation inexcusable dans la bouche d'un orateur chrétien, qui ne doit offenser

personne, était beaucoup plus propre à consoler la reine d'Angleterre qu'à faire connaître le prince d'Orange; elle peut servir d'exemple pour prouver que Massillon s'étendait trop sur la même idée, et abusait étrangement de sa facilité, en se livrant quelquefois à des répétitions fastidieuses; mais écartons pour le moment cette discussion critique, à laquelle nous ne serons que trop obligé de revenir.

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Voulez-vous voir maintenant comment Bossuet a peint le protecteur Cromwell, bien autrement odieux que le prince d'Orange? Comparez à cette stérile abondance de l'évêque de Clermont l'énergique impétuosité de l'évêque de Meaux; rien ne marque mieux la différence de leur génie 2. « Un « homme s'est rencontré d'une profondeur d'esprit incroyable, hypocrite raffiné autant qu'habile politique, capable de tout entreprendre et de tout cacher, également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre; qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil ou par prévoyance; mais, au reste, si vigilant et si prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occasions qu'elle lui a présentées; enfin un de ces esprits remuants et audacieux qui << semblent être nés pour changer le monde. »

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Massillon effleure les choses et épuise les mots : Bossuet, comme on vient de voir, fait précisément le contraire, et il n'est pas possible de prononcer un jugement plus digne de fixer l'opinion de la postérité. C'était elle seule, et non pas les cours de France ou d'Angleterre, que ce grand homme se représentait devant la justice de ses pensées, quand il en sut anticiper ainsi l'arrêt. On a loué cent fois, et avec toute raison, le bon goût, le mouvement rapide, la verve, la vérité, la concision, la profondeur et l'énergie de ce portrait oratoire, où l'on ne trouve ni antithèses ni exagération. Mais quel est le rhéteur plus éclairé et plus hautement équitable qui, élevant son admiration pour l'orateur vers un autre

<< Nemini dantes ullam offensionem, ut non vituperetur ministerium nostrum. » Il Corinth. VI, 2.

2 Oraison funèbre de la reine d'Angleterre.

genre de merite, beaucoup plus frappant dans ce tableau, en ait fait jusqu'à présent honneur à sa mémoire?

L'oraison funèbre de Henriette de France, reine de la Grande-Bretagne, eût été pour un panégyriste vulgaire une belle occasion d'environner le nom de Cromwell du souvenir de ses crimes et de ses vices. Bossuet, au contraire, n'en relève aucun autre que son hypocrisie, qui fut le mode trop habituel de son caractère pour qu'on pût l'oublier, et dont il ne montre même que le raffinement comme une espèce d'habileté politique; il ne lui fait point d'autre reproche; il s'interdit envers lui, non-seulement l'outrage, mais la censure; il ne veut montrer enfin dans le protecteur qu'un génie extraordinaire, et l'un de ces esprits remuants et audacieux qui semblent nés pour changer le monde.

La modération de Bossuet est très-remarquable dans l'éloge funèbre de la veuve de Charles Ier, prononcé en 1669, onze années après la mort de Cromwell, et dix ans après le rétablissement de Charles II sur le trône, c'est-à-dire quand depuis deux lustres révolus la mémoire de Cromwell était livrée au jugement de l'histoire, et que son cadavre avait été exhumé, traîné sur la claie dans les rues de Londres, pendu et enterré au pied du gibet.

Ce morceau, qui vient de nous fournir une si frappante leçon de justice et de circonspection oratoire, est tellement connu que je ne l'aurais point cité si ce rapprochement n'eût formé un contraste instructif entre Bossuet et Massillon. Mais je dois ici rendre hommage à l'illustre évêque de Clermont. Nous avons de lui un second portrait du prince d'Orange, absolument différent du premier, que j'ai déjà mis sous les yeux du lecteur. « Du fond de la Hollande, dit-il dans « l'oraison funèbre du dauphin, en ne parlant plus cette fois << devant la reine d'Angleterre, du fond de la Hollande sort « un prince profond dans ses vues, habile à former des ligues et à réunir les esprits, plus heureux à exciter les «< guerres qu'à combattre, plus à craindre encore dans le « secret du cabinet qu'à la tête des armées, un ennemi que

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<< la haine du nom français avait rendu capable d'imaginer de grandes choses et de les exécuter, un de ces génies qui sem<< blent nés pour mouvoir à leur gré les peuples et les souverains, un grand homme enfin, s'il n'avait jamais voulu < être roi. »

Ce second portrait du prince d'Orange, dont la fin paraft imitée de celui de Cromwell, peut en quelque sorte servir d'errata au premier, et plus il mérite d'éloges, plus aussi il vient à l'appui de mes observations. Si je n'avais voulu qu'indiquer un superbe modèle aux orateurs, j'aurais préféré de beaucoup au portrait de Cromwell celui du cardinal de Retz, par Bossuet, dans l'oraison funèbre de Le Tellier. je ne connais rien de plus parfait en ce genre, parmi les anciens et parmi les modernes. « Mais puis-je oublier celui que je vois << partout dans le récit de nos malheurs? cet homme si fidèle << aux particuliers, si redoutable à l'État, d'un caractère si haut qu'on ne pouvait ni l'estimer, ni le craindre, ni l'aimer, << ni le hair à demi; ferme génie que nous avons vu en ébran« lant l'univers, s'attirer une dignité qu'à la fin il voulut quit. ter, comme trop chèrement achetée, tant il connut son « erreur et le vide des grandeurs humaines! Mais pendant qu'il voulait acquérir ce qu'il devait un jour mépriser, il re« mua tout par de secrets et puissants ressorts; et après que << tous les partis furent abattus, il sembla encore se soutenir ་ seul, et seul encore menacer le favori victorieux de ses << tristes et intrépides regards.

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Ce dernier trait eût été envié de Tacite. On ne pouvait peindre avec plus d'énergie et de vérité la haine implacable que le cardinal de Retz, trop fier pour se réconcilier avec son ennemi premier ministre, manifesta toujours contre Mazarin tout-puissant sur les marches du trône. C'est ainsi qu'ayant à montrer un factieux sans objet, doué d'un génie remuant et d'un grand caractère, Bossuet le juge en peu de mots, mais pleins de vigueur et d'énergie, avec la sagacité d'un moraliste, la verve d'un orateur, la profondeur d'un publiciste, et l'impartialité d'un historien.

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