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intérêt; c'est elle qui doit à la fois dévoiler le secret de sa vie, guider le plan et tracer la marche de son éloge. Oui, c'est cette chaîne non interrompue de misères et d'angoisses qu'il faut suivre avec lui dans les sentiers laborieux de ses désastres et de sa renommée, puisqu'en l'appelant pendant quarante années à l'école du malheur, des événements si instructifs et si divers éclairent et développent sa sensibilité, annoncent ou du moins lui suggèrent et préparent de loin ses grands établissements; et qu'en paraissant terminer ainsi à chaque pas sa carrière, ils mûrissent, au contraire, sa destinée, tiennent tous les auditeurs d'un pareil discours, dirai-je dans un désespoir progressif ou bien dans un ravissement continuel? jusqu'au moment où une prospérité inattendue et presque incroyable, qui devient la dernière comme la plus redoutable épreuve et le plus beau triomphe de sa vertu, facilite les prodiges de sa charité, amène toutes les merveilles de sa vie publique, dont tant de situations et de revers ont été les préludes et les plus éloquentes leçons, et révèle enfin les intentions du ciel dans ce long cours de tribulations, que les souvenirs de son ministère vont signaler par autant de monuments de bienfaisance.

Ainsi conduits à leur insu par une marche si dramatiquement oratoire, les auditeurs de ce panégyrique partageraient avec effroi et avec délices les rigueurs et les triomphes de la destinée de saint Vincent de Paul, en épuisant tour à tour les charmes variés d'une pareille composition oratoire, dont ils ne soupçonneraient peut-être pas les ressorts; mais d'émotions en émotions ils pourraient entrevoir de loin, dans la première moitié de sa vie, la main cachée et toute-puissante, qui ne saurait en régler ainsi les épreuves sans faire pressentir d'avance les grands desseins qu'on verrait se développer en action dans le tableau non moins étonnant de son ministère public. Tel serait le nouveau genre d'intérêt dont il me semble que l'histoire de cet homme extraordinaire pourrait devenir une source abondante, et jusqu'à présent inconnue dans la carrière de l'éloquence.

XXXII. Des panégyriques de la sainte Vierge.

Cette digression sur les panégyristes français prouve que jusqu'à présent Vincent de Paul, beaucoup moins bien apprécié que tous nos grands hommes, n'a pas été plus heureux en tributs d'éloges que les autres saints: il en a été ainsi de la mère du Sauveur elle-même. En effet, nos orateurs sacrés du premier rang, qui sont généralement restés audessous de leur renommée en louant les héros de la religion, ne se montrent guère plus éloquents ou mieux inspirés en célébrant les grandeurs de la sainte Vierge. Les différentes solennités qui lui sont consacrées par le culte public appellent ce panégyrique dans nos chaires cinq ou six fois chaque année, et un retour si fréquent d'hommages pieux nous a valu quelques beaux sermons sur quelques-unes de ces fêtes particulières, spécialement l'un des ouvrages les plus approfondis, les plus étonnants et les plus parfaits de Bourdaloue, sur la corruption de l'homme, pour le jour de la Conception. Mais ce ne sont guère que des discours d'une moralité relative au mystère; et un sujet si souvent traité sous tant de rapports n'a fourni encore à la chaire aucun panégyrique dont elle puisse enrichir la collection de ses chefsd'œuvre. C'est même une opinion assez généralement établie, et très-décourageante pour les jeunes prédicateurs, que nous n'en aurons jamais aucun; que nous ne pouvons même pas en avoir; que le sujet est trop stérile en événements historiques pour soutenir l'étendue, l'intérêt et la pompe d'un éloge public; enfin qu'une pareille composition oratoire, comme le pensait Massillon, après plusieurs essais infructueux, n'est facile que pour des prédicateurs sans talent, dont on n'attend rien, qui se contentent de tout, ne voient rien au delà de leurs idées, et se flattent d'avoir fait un panégyrique en délayant des événements dépourvus d'intérêt dans un vide continuel de lieux communs 1.

Lettre de Massillon, écrite en 1758, au père Renaud, de l'Oratoire, qui venait de remporter le prix d'éloquence à l'Académie française.

Nos orateurs les plus distingués ne traitaient presque plus un éloge si difficile, qu'aucun exemple de succès ne recommandait à leur émulation; un éloge enfin dont Massillon désespérait encore pour l'éloquence, à la fin de sa vie, et contre lequel s'élevaient des préventions qui semblaient consacrées par l'autorité réunie de sa renommée, de son talent et de son expérience. On aurait dû en faire l'essai, au lieu d'y renoncer entièrement sur parole. Cette épreuve, qu'il aurait fallu subir au moins une fois pour sa propre instruction, n'eût-ce été que dans le dessein de mettre plus d'ordre et de profondeur dans ses études, aurait expliqué promptement et peut-être même fécondé la stérilité apparente du sujet.

En effet, le divin législateur du christianisme n'a rien écrit pour fonder sa religion, qui est pourtant devenue le seul culte des régions les plus éclairées de l'univers. Il ne commença même qu'à sa trentième année l'exercice de sa mission par des prédications publiques; de sorte que les apôtres, l'ayant connu pour la première fois à cette époque, n'ont pu nous laisser que très-p -peu de détails dans l'Évangile sur les premiers rapports de sa vie privée. Les anciens Pères de l'Église étaient très-instruits de tout ce que la tradition orale en avait transmis aux chrétiens. Mais durant les premiers siècles de sa propagation, la loi si connue et si sage du secret, lex arcani, dut couvrir les principaux mystères de notre foi, spécialement l'incarnation et l'eucharistie, pour les soustraire aux fausses interprétations et aux calomnies des païens.

Le voile qui, à cette époque de persécutions et de suppositions également odieuses, dérobait ainsi aux regards du paganisme la personne sacrée de la mère d'un Dieu, a dû coûter ensuite de tristes et inutiles regrets à ses panégyristes. Nous ne savons plus rien de son intéressante histoire depuis la catastrophe du Calvaire, où un nouveau nuage environne encore sa solitude et ses vertus. Une tradition authentique nous apprend seulement qu'elle se retira pendant les vingt

cinq dernières années de sa vie à Éphèse, où elle mourut dans la maison du même apôtre saint Jean qui en fut évêque, longtemps après que le Sauveur du monde lui eut assigné ce disciple bien-aimé pour fils adoptif, du haut de la croix.

Le secret et le mystère durent donc envelopper les destinées de la mère du Rédempteur, jusqu'à l'heureuse époque de la liberté du christianisme dans le quatrième siècle, où l'empereur Constantin fit monter avec lui la religion chrétienne sur le trône des Césars. L'Église, toujours fidèle à ne consacrer que des faits authentiques, ne pouvant plus alors démêler avec certitude le fil de la vérité, au milieu de tous les souvenirs qui s'étaient transmis, de siècle en siècle, dans les foyers domestiques de ses enfants, relativement à la sainte Vierge, respecta comme elle le devait la circonspection des livres saints; et l'histoire de sa vie se trouva réduite pour toujours aux seuls témoignages très-laconiques de l'Évangile.

Les premiers et les plus éloquents Pères de l'Église n'ont jamais traité à fond, ni dans leurs prédications ni dans leurs autres ouvrages, ce même sujet d'éloge, dont heureusement la gloire de la reine du ciel n'a pas besoin. Ils ne parlent d'elle que par occasion, et comme dans l'effusion de la plus simple et la plus religieuse sensibilité. Saint Épiphane et saint Jean Damascène, qui se montrent ses ardents et diserts orateurs, lui ont consacré plusieurs panégyriques, sans que ces hommages solennels appuient jamais sur de nouveaux faits une si pieuse admiration. Dans le douzième siècle, le dernier Père de l'Église, saint Bernard, signala son talent sur le même sujet par plusieurs discours, dans lesquels il allie avec une grâce et un bonheur sans exemple parmi les orateurs sacrés, beaucoup d'esprit et beaucoup d'ornements à l'onction d'une douce et insinuante éloquence. Nos prédicateurs peuvent en extraire et en citer une foule de traits brillants dans l'éloge de la sainte Vierge; mais il n'en a lui-même composé aucun assez

Il est très-remarquable que sa maternité divine y fut ensuite solennellement proclamée dans le troisième concile général, par l'anathème lancé contre Nestorius.

instructif et d'un assez grand effet pour servir dignement de modèle.

Ou l'imagination s'éblouit étrangement dans une trompeuse théorie, ou il doit être aisé de prouver aux candidats de la chaire que si un véritable orateur, animé par son talent à lutter contre les difficultés qui en doublent toujours la force, veut en faire l'essai sur ce même sujet, signalé comme un écueil au milieu des naufrages, il parviendra, sans recourir aux détails languissants de morale, qui ne sont jamais que des lieux communs, à réunir très-heureusement toutes les grandeurs de la sainte Vierge dans un riche- panégyrique, sans la perdre jamais de vue, depuis le commencement de son histoire jusqu'au triomphe de son assomption. Il me paraît indubitable qu'avec un plan possible à imaginer et à remplir, mais surtout avec du génie et du travail, on lui décernerait infailliblement un éloge neuf, vrai, solide, intéressant, varié, digne enfin d'être placé parmi les beaux monuments de notre éloquence sacrée. Les innombrables allusions et les comparaisons si oratoires de l'Ancien Testament, plus riche que le Nouveau en héroïnes de vertu, montreraient par d'heureux emblèmes la première Ève réhabilitée, et la seconde mère du genre humain resplendissante de lumière et de gloire, sous les touchantes figures de Sara, de Rachel, d'Anne la prophétesse, de Débora, de la mère de Tobie, de Judith, d'Esther, de la mère des Machabées, enfin de toutes les femmes illustres du peuple de Dieu. Une mine si féconde de la plus magnifique poésie de style embellirait d'un bout à l'autre par la pompe des images et l'accord des ana logies, dans l'harmonie des deux lois, l'éloge de cette même Vierge, dont la vie se trouve déja résumée avec beaucoup d'exactitude dans les Litanies historiques composées pour leur nouveau bréviaire par les célèbres bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Ces allégories et cette correspondance de l'Écriture, si favorables aux couleurs et même aux mouvements de l'éloquence, ne fourniraient elles donc pas les ornements et les tableaux d'un panégyrique à jamais mémo

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