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Louis XIV dit aussitôt : Je connais bien ces deux hommes-là.

Il faut donc rentrer ainsi en soi-même pour être éloquent. Aussi les premières productions d'un jeune orateur sont-elles ordinairement trop recherchées, parce que son esprit, toujours tendu, fait des efforts continuels, sans oser s'abandonner jamais à la simplicité de la nature, jusqu'à ce que l'expérience lui apprenne que pour atteindre au sublime il est bien moins nécessaire d'exalter son imagination que de se recueillir profondément en soi-même et dans son sujet. Si vous avez médité les livres saints; si vous avez étudié les hommes; si vous avez bien lu les moralistes, qui ne sont pour vous que des historiens; si vous vous êtes familiarisé avec la langue des orateurs, peignez-nous ensuite vos propres combats, vos faiblesses, vos inclinations, vos inconséquences : c'est le secret de la nature humaine que vous allez nous révéler. Faites sur vous-même l'épreuve de votre éloquence. Devenez, pour ainsi dire, l'auditeur de vos propres discours; et, en anticipant ainsi sur l'effet qu'ils doivent produire, vous tracerez, sans les altérer jamais, des caractères frappants; vous nous subjuguerez par une suite de ces mouvements et de ces tableaux qui entraînent l'auditoire, dont le silence attentif et profond atteste que l'orateur est dans le vrai, et qu'il a saisi l'accent et la langue de la nature. Vous verrez que, malgré les nuances qui les distinguent, tous les hommes se ressemblent intérieurement, et que leurs vices sont uniformes, parce qu'ils dérivent toujours ou de la faiblesse, ou de l'intérêt, ou de l'orgueil, et surtout de l'orgueil; car la première et la plus dominante de nos passions n'est pas l'intérêt personnel, dans le sens qu'on attache vulgairement à ce mot, mais l'amour-propre, qui en triomphe presque toujours. Enfin, vous ne mettrez rien de vague dans vos peintures; et plus vous aurez approfondi les sentiments de votre propre cœur, mieux vous retracerez l'histoire du cœur humain.

V. De la manière de préparer les compositions oratoires.

Ces principes généraux sont insuffisants. Il faut donc passer aux détails, et appliquer les règles de l'art à la composition d'un discours. C'est une grande et dangereuse entreprise, dit l'orateur romain, d'oser parler seul au milieu d'une nombreuse assemblée qui vous entend discuter les plus importantes affaires; car il n'y a presque personne qui ne remarque plus finement et avec plus de rigueur les défauts que les beautés de nos discours; et on nous juge toutes les fois que nous parlons en public. En effet, outre le talent naturel que l'éloquence exige, et auquel le travail ne supplée jamais, tout orateur qui veut satisfaire son auditoire est obligé d'ajouter à l'instruction qu'il a puisée dans ses études préliminaires une connaissance très-approfondie du sujet qu'il se propose de traiter, et qu'il est et doit être supposé connaître mieux que ses auditeurs. Plus il l'aura étudié à loisir, plus il s'assurera d'avantages sur eux et de confiance en lui-même pour en faire l'objet d'un discours public. Qu'il le médite donc longtemps, s'il veut en pénétrer tous les principes et en découvrir tous les rapports. C'est par ce travail préalable que l'on fait amas, selon l'expression de Cicéron, d'une forêt d'idées et de choses, qui, en s'accumulant, donnent à l'orateur je ne sais quelle impatience d'écrire, ou plutôt un invincible besoin de déclamer seul, dans le silence même des nuits, ses heureuses et soudaines inspirations, et qui rendent ensuite la matière plus abondante, et la composition plus riche, plus rapide et plus pleine. Mais, pour n'être point appauvri ou détourné par d'importunes réminiscences après ces instants de création, il faut écrire à mesure que l'on produit, et tenir ainsi son imagination toujours en haleine et toujours

1 « Magnum quoddam est onus atque munus suscipere atque profiteri se esse, omnibus silentibus, unum maximis de rebus, magno in conventu hominum, audiendum. Adest enim fere nemo quin acutius atque acrius vitia in dicente quam recta videat : quoties enim dicimus, toties de nobis judicatur. » Brutus, 27, 425.

2 « Silva rerum ac sententiarum comparanda est. » De Orat. 29.

libre dans son essor, en ne l'exposant à aucune distraction par les dépôts divers qu'elle serait chargée de surveiller, si elle les confiait à la mémoire. Ce sont deux facultés qu'on ne peut employer à la fois sans les affaiblir l'une et l'autre; et de là vient que pour improviser avec succès il faut s'abandonner à la verve du moment, et se défendre en toute rigueur de préparer d'avance une seule phrase. Quand on a ainsi rapproché les principales preuves, qui sont comme les matériaux de l'édifice, on se rend bientôt maître de son sujet : on en fait aisément la distribution oratoire, et l'on entrevoit déjà de loin l'ensemble du discours à travers ces idées détachées, qui deviendront des masses régulières dès qu'une combinaison oratoire les réunira. Cette ordonnance coûte peu à l'orateur; car le discours, dit Fénelon, est la proposition développée, et la proposition est le discours en abrégé1.

Au moment où j'indique cette méthode de travail, je m'y conforme, et j'en recueille le fruit. Le dépôt de mes notes et de mes idées de réserve est sous mes yeux. Ces réflexions détachées que me suggéraient mes lectures, sur les principes ou sur les compositions de l'art oratoire, et que je jetais dans ce cahier, sans ordre et sans liaison, viennent se placer ici d'elles-mêmes sous ma plume. Si toutefois, malgré ces provisions, vous éprouvez en écrivant la lassitude et les langueurs d'une imagination refroidie, sortez aussitôt de votre retraite, et ne perdez pas plus de temps, selon le langage des anciens, à vouloir écrire malgré Minerve. Une conversation de choix est un stimulant plus prompt et plus actif qu'aucune lecture qui serait de commande et non pas d'instinct Allez donc vous délivrer de cette sécheresse d'esprit dans les entretiens d'un ami éclairé qui partage vos études. Sa présence et vos entretiens intimes agrandiront la sphère de vos conceptions solitaires. La stérilité, qui n'est que le sommeil du talent, cessera bientôt. L'inspiration vous sera rendue. Vous trouverez, dans un instant de verve, ces rai

Lettre sur l'éloquence.

sons, ces images, ces pensées fécondes que vous cherchiez vainement quand vos ressorts intellectuels étaient détendus. Vous vous écrierez alors comme le favori des Muses, au moment où son génie poétique revient l'inspirer Deus! ecce Deus! et dans cet accès d'effervescence et d'enthousiasme, votre imagination électrisée enrichira vos tableaux d'une multitude de traits heureux qui auraient échappé à vos méditations dans la solitude du cabinet.

VI. Du plan d'un discours.

Avez-vous ainsi creusé les principes, et vu le fond de votre sujet? C'est ici que l'art commence. Il est temps de fixer votre plan; et c'est presque toujours la partie qui coûte le plus de travail à l'orateur, et qui a le plus d'influence sur le succès de son discours. Toute sa gloire dépend de cette première ordonnance du tableau. Le plan doit ouvrir un champ vaste et fécond à l'éloquence. S'il est trop circonscrit, il vous met hors de votre matière, au lieu de vous fixer au centre du sujet. C'est ainsi que Cheminais, séduit par le cliquetis d'une antithèse brillante, se borne, dans son sermon sur l'ambition, à présenter l'ambitieux esclave et l'ambitieux tyran; sans s'apercevoir combien il s'appauvrit en se renfermant dans ces deux coins trop resserrés, où il ne peut plus peindre les sacrifices, les bassesses, les injustices d'un autre genre, que coûte cette malheureuse passion, et tous les étranges mécomptes auxquels ses mauvais calculs livrent ordinairement ses victimes. Il ne faut qu'une erreur pareille dans le plan, erreur qui est l'équivalent d'un mauvais choix de sujet, pour ôter à un discours comme à un drame toute espèce d'intérêt, et pour égarer et entraîner à une chute inévitable le même orateur, le même poëte, dont le talent, mieux dirigé, s'est signalé par des chefs-d'œuvre dans la même carrière. Ce danger est principalement réservé aux beaux-arts d'invention, surtout à l'éloquence et à la poésie; et c'est aussi ce qui rend nos succès plus difficiles, plus incertains, et par conséquent plus honorables. Un écrivain ne court jamais le

même risque dans les ouvrages d'un ordre inférieur, qui n'exigent que du travail, de la raison, ou même que de l'esprit et du goût.

Plus un orateur méditera son plan, plus il abrégera sa composition. Laissons donc blâmer la méthode des divisions comme une contrainte funeste à l'éloquence, et adoptons-la néanmoins sans craindre qu'elle ralentisse la rapidité des mouvements oratoires, en les dirigeant avec plus de régularité. Le génie a besoin d'être guidé dans sa route, ou de se guider lui-même, en nous disant d'où il vient et où il va ; et la règle qui lui épargne des écarts le contraint pour le mieux servir, quand elle lui donne de salutaires entraves; car le génie n'en est que plus ferme et plus grand lorsqu'il marche avec ordre, éclairé par la raison et dirigé par le goût. L'au diteur qui ne sait où l'on veut le conduire est bientôt distrait ; et le plan est tellement nécessaire pour fixer son attention, qu'il ne faut plus délibérer si l'orateur doit l'indiquer. Ce plan, aussi indispensable pour composer avec méthode que pour être entendu avec plaisir, est-il mal conçu, obscur, indéterminé, il y aura dans les preuves une confusion inévitable, une fatigante divagation, et du mouvement sans progrès. Les objets ne seront point nettement séparés, et les raisonnements s'entre-choqueront, au lieu de se prêter une force corrélative et un appui réciproque. Plus on creuse son plan, plus on étend son sujet. Des rapports qui paraissaient d'abord assez vastes pour présenter la matière du discours dans toute son étendue, forment à peine une sousdivision assez riche quand on sait généraliser et développer ses idées. Loin donc, loin d'un orateur chrétien ces plans éblouissants par une singularité sophistique, ou par une antithèse stérile, ou par un paradoxe subtil! Loin ces plans qui ne sont ni assez clairs pour être retenus, ni assez importants pour mériter d'être remplis, et qui ne présentent qu'une vaine abstraction sans intérêt! Loin ces plans fondés, ou sur des épithètes sans fécondité, qui n'ouvrent aucune route à l'éloquence, ou sur des aperçus sans étendue, plus propres

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