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Et Fléchier, commensal journalier de Bossuet, son collaborateur dans l'éducation du dauphin, ne met pas en scène un seul instant dans cet éloge solennel deux interlocuteurs si dignes l'un de l'autre ! Et Fléchier ne rappelle pas à ses auditeurs ces entretiens savants et intimes dans lesquels Turenne cherchait la lumière; où Bossuet, pénétré de respect et d'admiration pour lui, guidait et soutenait ses premiers pas dans les sentiers de la foi, en portant devant lui le flambeau de la vérité qu'il faisait luire jusqu'au fond de cette grande âme! Et Fléchier ne le venge pas publiquement de son silence et de sa modestie ! que dis-je ? il ne sait l'en venger qu'à ses propres dépens, par un languissant remplissage qui énerve son discours! Et il ne soulève pas même ce voile d'humilité qu'il aurait dû déchirer devant tant de vertu, de génie et de renommée, pour la gloire de la religion, pour la gloire de Bossuet, pour la gloire du moins de Turenne, son héros, que le ciel et la terre avaient réunis sous ses yeux, et présentaient tous ensemble à l'admiration publique, dans ce jour solennel de justice, pour les associer aux honneurs d'un si beau triomphe! Et au moment où il célèbre cette conversion si ardemment désirée et si longtemps attendue, un orateur tel que Fléchier ne prend pas l'initiative sur l'histoire, en anticipant sur son témoignage, en liant, comme elle l'a fait, une pareille conquête au chef-d'œuvre de l'EXPOSITION DE LA For, si digne d'en assigner l'époque à la postérité ! Et il ne consacre pas du sceau de la religion le souvenir à jamais mémorable de cette victoire de Bossuet sur Turenne, qui seule aurait suffi pour les immortaliser tous les deux ! Et le panégyriste national de ce grand homme n'évoque point son ombre auguste et chérie ! et il ne la montre pas s'élevant de son cercueil toute rayonnante de splendeur et de gloire, pour recevoir ce noble symbole de la première des dignités militaires, que son royal disciple dans la science des combats lui avait offert, et qu'il ne voulut jamais échanger contre son honneur et sa conscience, en faisant à l'ambition le sacrifice de sa religion paternelle ! Et plus timide que Mascaron sur le

vœu et les regrets que la reconnaissance avait inspirés à Louis XIV, Fléchier ne va pas chercher dans le fond du cœur même de ce monarque, pour la produire au grand jour et l'en faire jouir, une pensée si digne de la justice et de la munificence du trône! Et Fléchier ne profère pas non plus un seul mot sur ce refus héroïque de l'épée de du Guesclin, qu'il fallait faire briller de tout son éclat aux yeux de ses auditeurs du haut de la chaire, ou plutôt qu'il fallait déposer solennellement avec respect, au nom du roi lui-même, sur le mausolée de Turenne, sans craindre d'être ni démenti ni désapprouvé, en le proclamant connétable de France au milieu de ses funérailles! Est-il possible, hélas ! que l'esprit symétrique de Fléchier, séduit par des antithèses éblouissantes, ou resserré dans l'alignement d'une diction cadencée, nombreuse et sonore, n'ait pas senti tout ce qu'un pareil tableau offrait de neuf, de sublime et même d'unique à l'éloquence sacrée ! On dira tant qu'on voudra que toutes ces réticences ne pouvaient faire aucun tort à l'immense renommée de Bossuet et de Turenne. Certes j'en conviens hautement, et sans aucune inquiétude pour tant de gloire; mais en est-ce moins une perte pour la célébrité de Fléchier, qui n'a pas su partager un si magnifique triomphe en le solennisant d'une manière digne de lui?

XXXI. De saint Vincent de Paul.

De tous les sujets d'éloges que l'histoire moderne de la religion a fournis aux orateurs sacrés, le plus riche et le plus favorable à l'éloquence est, ce me semble, le panégyrique de saint Vincent de Paul, homme d'une sublime vertu et jusqu'à nos jours d'une chétive renommée, le meilleur citoyen que la France ait eu, l'apôtre de l'humanité qui, après avoir gardé les troupeaux durant son enfance, a laissé dans sa patrie un grand nombre d'établissements plus utiles aux malheureux que les superbes monuments de Louis XIV, son souverain.

La vie de Vincent de Paul offre aux orateurs autant de

variété que d'intérêt. Il fut successivement esclave à Tunis, précepteur du cardinal de Retz, curé de village, aumônier général des galères, principal de collége, chef des missions, et adjoint au ministère de la feuille des bénéfices. Il institua en France les séminaires, les missionnaires lazaristes, les filles de la charité, dont l'héroïsme se dévoue au soulagement des malheureux; il fonda des hôpitaux pour les captifs, pour les malades, pour les enfants trouvés, pour les orphelins, pour les fous, pour les forçats et pour les vieillards. Sa généreuse commisération s'étendit sur tous les genres de malheurs dont l'espèce humaine est accablée, et l'on trouve des institutions de sa charité dans toutes les provinces de cet empire.

Vincent de Paul avait exercé pendant quelque temps un ministère de zèle et de charité sur les galères. Il y vit un jour un malheureux forçat condamné à trois années de fers pour s'être livré, une seule fois, à la contrebande, et qui paraissait inconsolable d'avoir laissé dans la plus affreuse misère sa femme et ses enfants. Vivement touché de sa situation, il offrit de se mettre à sa place, et l'échange fut accepté. Ce héros de la charité fut donc enchaîné dans la chiourme des galériens; et ses pieds restèrent enflés pendant le reste de sa vie du poids de ces fers honorables qu'il avait portés. On sent tout ce qu'un pareil trait doit inspirer à un orateur, et combien il resterait au-dessous de son ministère, au-dessous même de son art, s'il le racontait sans attendrir sensiblement ses auditeurs.

Lorsque ce grand homme vint à Paris on vendait les enfants trouvés dans la rue Saint-Landry, comme un vil bétail. Ces infortunés, que le gouvernement abandonnait à la pitié, ou plutôt à la barbarie publique, périssaient presqu'en totalité; et ceux qui échappaient par hasard à tant de dangers étaient quelquefois introduits furtivement, par les complots de la cupidité, dans des familles opulentes, pour en supplanter les héritiers légitimes.

Vincent de Paul donna l'exemple en fournissant d'abord des

fonds assurés pour nourrir douze de ces malheureux enfants : bientôt sa charité obtint des soulagements à tous ceux qu'on trouvait exposés aux portes des églises; mais cette nouvelle ferveur qu'inspire toujours un nouvel établissement s'étant refroidie, les secours manquèrent entièrement, et les outrages faits à l'humanité allaient recommencer. Le père nourricier des orphelins ne se découragea point. Bien loin de désespérer de la Providence, ii convoqua une assemblée extraordinaire : il fit placer dans son église de Saint-Lazare un très-grand nombre de ces pauvres enfants prêts à expirer, entre les bras des filles de la charité; et montant aussitôt en chaire, il prononça, les yeux baignés de larmes, cette allocution pleine d'âme, qui fait autant d'honneur à son éloquence qu'à son zèle, et que je vais transcrire de l'histoire de sa vie, composée par M. Abely, évêque de Rhodez :

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«< Or sus, mesdames, la compassion et la charité vous ont << fait adopter ces petites créatures pour vos enfants. Vous avez « été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon << la nature les ont abandonnées. Voyez maintenant si vous << voulez aussi les abandonner pour toujours. Cessez à pré<< sent d'être leurs mères, pour devenir leurs juges; leur vie << et leur mort sont entre vos mains. Je m'en vais donc, sans délibérer, prendre les voix et les suffrages. Il est temps de prononcer leur arrêt, et de décider irrévocablement si vous « ne voulez plus avoir pour eux des entrailles de miséricorde. « Les voilà devant vous! Ils vivront si vous continuez d'en prendre un soin charitable; et, je vous le déclare devant Dieu, << ils seront tous morts demain si vous les délaissez. » On ne devait répondre, on ne répondit à cette pathétique exhortation que par des pleurs et des largesses; et le même jour, au même instant, dans la même église, l'hôpital des Enfants-Trouvés de Paris fut fondé par acclamation et doté de quarante mille livres de rente.

Voilà l'homme qui ne jouit d'aucune réputation en France, et surtout en Europe! Le voilà cet homme qui, au jugement de ses détracteurs, n'eut que du zèle sans talent! Honnis

soient les cœurs durs qui pourraient méconnaître encore un si grand bienfaiteur de l'humanité! Eh! qui voudrait donc désormais parmi nous de la gloire, si Vincent de Paul n'était pas compté parmi les hommes dont s'honore le plus notre nation ! Sa vie fut un tissu magnifique de bonnes œuvres, et nous en jouissons avec la plus honteuse ingratitude. Il vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-cinq ans il était très assoupi la veille de sa mort; l'un de ses missionnaires lui ayant demandé la cause de ce sommeil continuel, il répondit en souriant: C'est le frère qui vient en attendant la sœur. C'était un souvenir touchant de situation qui rappelait à son âme parfaitement résignée la belle expression de Virgile, consanguineus lethi sopor. Jamais on n'a mieux pardonné à la nature la nécessité de mourir.

Le malheur de saint Vincent de Paul, si toutefois c'en est un que d'être peu loué et même peu connu, son malheur, dis-je, fut de n'être point célébré, au moment de sa mort, le 27 septembre 1661, par cet éloquent Bossuet, dont la louange imprimait aussitôt le sceau de la gloire, et qui composait à la même époque ses premières oraisons funèbres. Mais l'honneur le plus solennel d'un éloge public est dû aux établissements charitables de Vincent de Paul encore plus qu'à ses vertus ; et l'orateur qui saura le présenter dignement, au nom de la religion, à l'amour, à l'admiration et à la reconnaissance de ses concitoyens, aura bien mérité de la patrie, dont il acquittera l'une des dettes les plus sacrées.

En effet, jusqu'à présent saint Vincent de Paul compte quelques panégyristes, et n'a point encore d'orateur'. Son éloge a presque toujours été traité sur le même plan. Cette marche banale, qui ne ralliait pas l'ensemble de sa vie à une conception principale, à une idée assez dominante et assez féconde pour former le point lumineux de tout le discours, a dû autant en affaiblir l'effet qu'elle en facilitait la composition. On ne saurait trop se méfier de tous ces plans de routine qui,

J'écris ceci en 1779.

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