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II.

Etudes sur Jean-Paul (1).

Man, thou pendulum betwixt a smile and a tear.

Homme !... goutte d'eau suspendue entre une larme et un sourire!

BYRON.

SI.

Le Ménage de Jean-Paul,

Voici une grande salle enfumée; vous la pren

driez pour une halle que les marchands ont aban

(1) Jean-Paul-Frédéric Ricther, écrivain allemand, surnommé l'Unique, Der Einzige.

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donnée. Au centre est un vaste poêle, avec deux niches propres à s'asseoir en hiver, pour y fumer, y sommeiller ou y rêver. Tout vous rappelle les intérieurs de Stein. Les solives noires sillonnent le plafond jaune. Des pigeons domestiques voltigent çà et là, en murmurant leur roucoulement mélancolique. Une vieille femme, armée de ses lunettes, tricote des bas auprès du poêle : une jeune femme fait la cuisine près de la grande fenêtre à gauche; le cliquetis des ustensiles de ménage se mêle, sans s'accorder, avec la voix sourde et monotone des pigeons qui ramassent, en caquetant, leur grain sur le carreau. Il y a une petite table de bois blanc vers la droite, et un large coffre de chêne tout à côté.

L'homme assis à cette petite table, c'est JeanPaul-Frédéric Richter, génie admirable, un Sterne si vous voulez, un Rabelais s'il vous plaît encore, quelque chose de plus ou de moins que tout cela, le plus original des écrivains modernes. Il est enveloppé d'une grosse redingote dont la boutonnière est ornée d'une fleur des champs. Observez ses traits, c'est une étude physiognomonique curieuse: rien ne s'y accorde; ils sont gigantesques et irrégu

liers; le feu jaillit de ses yeux mal fendus; et sur cette figure osseuse, vous trouvez un mélange de bonhomie et de fougue. Il tire à chaque instant du coffre ouvert à ses pieds de petits morceaux de papier, qu'il arrange et rattache bout à bout: citations, rêveries, extraits, recherches d'érudition, rognures, recoupes, amalgame de toutes les études, fragmens de mille couleurs, arlequinade savante, mystique, rêveuse, cynique, mélancolique. C'est ainsi qu'il compose ses ouvrages! Et ses ouvrages ne seront pas oubliés.

Les Allemands l'ont surnommé l'unique, JeanPaul Der Einzige.

Ils ont eu raison. Son isolement est tel que, dans toutes les langues de l'Europe, pas une traduction de ses œuvres n'a été tentée. Madame de Staël a esquissé son portrait littéraire ; on y remarque plus d'éclat que de fidélité. Lui-même s'en est plaint avec assez d'amertume. « Ah! madame, s'écrie-t-il avec une bonhomie railleuse, laissez-moi barbare; vous me faites trop beau!» Un fragment traduit par elle, et qui se trouve dans l'Allemagne ; un petit recueil de pensées publiées à Paris; quelques fragmens insérés dans

la Revue de Paris; voilà tout ce que l'on connaît en France de Jean-Paul-Frédéric Ricther, auteur de soixante volumes qui étincellent de génie. Les traducteurs ont reculé devant ce phénomène complexe. Jamais on ne vit style pareil. C'est un chaos de parenthèses, d'ellipses, de sous-entendus; un carnaval de la pensée et du langage; une population de mots nouveaux qui viennent sous le bon plaisir de l'auteur, prendre droit de bourgeoisie dans le discours; des périodes de trois pages, composées de cent phrases singulièrement juxta-posées, et se heurtant sans s'éclairer; images sur images, empruntées aux arts, aux métiers, à l'érudition la plus obscure. Dans ce labyrinthe, point de fil d'Ariane pour vous guider; une géographie toute nouvelle ; des villes qui n'ont existé nulle part; Haarau, Haarau, Scheerau, Blinloch, Flachsenfingen; un lexique, une grammaire, une esthétique imaginaires; des princes dont on n'a jamais entendu parler, et qui viennent, comme dit Molière, montrer le bout de leur nez on ne sait pourquoi; des conseillers d'État qui arrivent on ne sait d'où, et se laissent patiemment railler; le tout curieusement entrelacé, bardé de

citations, d'interjections, d'exclamations, de calembourgs, d'épigrammes, mêlé d'élans inattendus, de scènes pathétiques, de feuilles blanches, de digressions qui s'enflent démesurément, d'épisodes qui envahissent le sujet. Jean-Paul ne procède que par dissonances. Il ne sait ou ne veut point les sauver. Avant de le traduire, force est de le comprendre, et ce n'est pas le plus facile.

Ce philosophe, ce poète, ce bouffon, ce moraliste, dont le génie est un hiéroglyphe confus et continuel, nous essaierons de pénétrer dans sa pensée, de lui demander ses secrets. Nous extrairons de ses œuvres nombreuses tout ce qui peut faciliter la connaissance d'un si bizarre auteur: Titan de la plaisanterie et Rabelais de la métaphysique. On verra combien de sensibilité, de tendresse, de grâce, de profondeur, se cache sous ses arabesques extravagans. On reconnaîtra dans la tumultueuse farce de ses ouvrages, úne bienveillance universelle, un amour sincère des hommes, une éloquence forte et sympathique, une poésie touchante. Au milieu de la brume épaisse qui recouvre tous ses écrits, au sein de leur confuse ardeur, parmi les longs éclats de rire dont

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