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hétérodoxe. Entre les mains de Richter, l'univers est un jouet frivole dont il brise et réunit tour à tour les fragmens; ses idées les plus métaphysiques revêtent un costume bouffon; il prête une marotte au Temps et à l'Espace. Débauche immense et incroyable, anarchie sans frein, Atelier magique, Forge cyclopéenne, où, au milieu des vapeurs et de la fumée, vous voyez apparaître de petites caricatures humaines, finement esquissées, telles que celle de Schmelzle l'aumônier; puis des formes vagues, sombres, inouïes, tantôt éclatantes, tantôt lugubres; puis des traits de sensibilité profonde, tels que nous les avons admirés dans Siebenkæse, l'histoire déchirante d'un pauvre étudiant qui s'est marié par amour.,

Jean-Paul ressemblerait à Rabelais, s'il n'y avait pas chez l'auteur allemand une puissance d'émo-. tion, une sympathie avec l'humanité qui manquait. au grand comique du seizième siècle,au Pantagruel des bouffons. Richter est aussi profondément sensible à la beauté, à la grâce, à l'harmonie, qu'il est frappé de la laideur, Accessible à l'ironie, une tendresse de cœur intime l'associe à toutes les actions humaines, à toutes les mélodies de la nature. I

nous intéresse même à la poltronnerie de Schmelzle et à la vanité de sa femme Teutoberga. Quand il a présenté l'humanité sous son aspect ridicule, il nous contraint à la plaindre et à l'aimer, toute ridicule et toute vicieuse qu'elle soit.

Dans l'histoire de l'aumônier esthétique, il se moque évidemment de tout son pays, de tant de travaux qui n'aboutissent à rien, de tant de rêveries scientifiques, républicaines, teutoniques; mais comparez cette douce ironie à celle de Swift et de Voltaire. Si l'on suivait jusqu'au bout la chaîne logique des idées, si l'on croyait aveuglément à Voltaire et à Swift, qui nous présentent le monde comme une prison remplie d'esclaves qui s'entretuent, on n'aurait qu'un parti à prendre : quit. ter bien vite cette caverne de brigands. Richter ne nous désespère pas ainsi. Comme eux, il aime à pénétrer dans les profondeurs, il analyse lés détails, il cherche le ridicule du sublime et le sublime du ridicule. Voilà l'homme : ange et démon, néant et génie, ver de terre et intelligence, objet de compassion et de risée, le voilà; pleurez, raillez, plaignez-le, méprisez-le, pardonnez-lui. Sous ce rapport, Richter se rappro

che de Cervantes; chez eux point de mépris, point de haine, ils ont un sourire et des larmes ; leur gaieté émane d'une sensibilité vraie. Ne croyez pas qu'ils dédaignent leurs héros ; ne voyez-vous point qu'ils les aiment avec tendresse, et qu'il y a dans leur moquerie un mélange de pitié et de douleur ?

Si l'on considère Jean-Paul sous le rapport de l'art et de l'exécution, il reste inférieur à Cervantes. La fusion, l'ensemble, la cohérence, manquent aux productions de Richter. Leur lecture laisse une impression confuse et hétérogène ; le Voyage de l'aumônier Schmelzle est une de celles où l'unité, la grande loi des œuvres de l'esprit, est le moins hardiment violée. De ce chaos de pensées et de sentimens jaillissent, comme d'un fer embrasé, des milliers d'étincelles ardentes, sublimes, comiques; mais c'est un chaos. Le style de ces incroyables œuvres est lui-même un phénomène : une forêt vierge, dont toutes les branches entrelacées forment un inextricable rempart, vous offrent un obstacle invincible. Langage, métaphores, orthographe, tout se revêt chez Jean-Paul de cet habit de saturnales. Il a des

phrases de trois pages sans virgule et des mots de trois lignes sans trait d'union. Il a des parenthè ses qui enfantent des sous-parenthèses, mères à leur tour de petites parenthèses. Il vous jette des allusions sans nombre à ce que vous ne savez pas, à ce que vous ne saurez jamais, à une ligne égarée d'un auteur hébreu inconnu, à une expérience de physique tentée par un savant d'Odessa. Le ciel, la terre et l'enfer sont convoqués dans une période de Jean-Paul; non seulement les mots, mais les idées se heurtent chez lui d'une manière inouïe. Saillies épigrammatiques lancées au milieu d'une narration sentimentale; allusion grossière, licencieuse, au milieu d'une idée profonde ou mystique; mélange sans égal de calembourgs, de jurons, d'images gracieuses, de rébus, de citations savantes, de dissonances, de fantaisies. Il n'y a pas jusqu'à la géographie européenne que notre auteur travestit à son gré. Il invente des altesses, crée des marquisats, plante des rois à la Rabelais sur des trônes fictifs, fait des ministres pour se moquer d'eux, s'embarque dans des digressions qui usurpent des volumes, et fait un volume d'un

erratum.

Nous avons vu dans les aventures de l'aumônier Schmelzle des cités inconnues, Haarhaar, Scheerau, Flachsenfingen. Les traités sérieux que Richter a composés (car il a écrit des ouvrages sérieux) sont eux-mêmes enveloppés de ces formes fantastiques et partout, au milieu d'extravagances si répulsives, vous trouvez le même caractère, une tendresse secrète, un besoin de bienveillance et d'amour, une religion de cœur, une sympathie universelle, cachées sous le grotesque le plus bizarre. Ce parfum de bonté et de sensibilité devient enchanteur par le contraste; les scènes de la vie bourgeoise la plus humble vous émeuvent ; les caricatures les plus grossières vous touchent : le sublime et le pathétique sont pris à rebours. Homère et Eschyle frappent le cœur d'une émotion grandiose, en faisant descendre du ciel les dieux sur la terre. Sterne, Cervantes, Richter, Crabbe, obtiennent le même résultat, en creusant pour ainsi dire les affections les plus communes, les scènes les plus vulgaires, pour y trouver l'émotion, le pathétique, l'intérêt, la philosophie, la profondeur.

Qu'un tel écrivain puisse être lu et goûté en

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