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également pures de l'enthousiasme d'une admiration passionnée et des préventions aveugles des détracteurs injustes; là, les Métamorphoses, ce vaste et majestueux monument, sont placées par les juges les plus compétens à ce rang élevé d'où rien désormais ne saurait les faire descendre. Ovide n'y apparaît plus comme un génie céleste, mais bien comme un poète qui, venu après Lucrèce, Virgile et Horace, jette encore un vif éclat sur les lettres latines, et laisse une impérissable empreinte dans la carrière nouvelle qu'il s'est frayée.

Si je ne crains pas de tracer quelques lignes sur les Métamorphoses, après tant de maîtres habiles, ce n'est donc point pour entrer en lice avec eux : ils ont vu tout ce qu'ils pouvaient découvrir du point où ils s'étaient placés; et chez eux le talent de l'écrivain est à la hauteur des lumières de la critique. Je n'ai d'autre ambition que de hasarder quelques aperçus sur lesquels leur regard ne s'est pas arrêté je veux parler du caractère philosophique de cet ouvrage.

Il importe peu de décider à quel genre les Métamorphoses appartiennent: sont-elles un poëme didactique, ou bien faut-il les ranger parmi les poëmes cycliques? La solution me paraît assez indifférente, à cause de son inévitable stérilité. Ce qui importe dans l'examen d'un poëme philosophique, c'est, avant tout, de saisir dans quel esprit il a été conçu; c'est de découvrir, sous la forme qui enveloppe la pensée première du poète, comment, à diverses époques et par des procédés qui ont pu se révéler ailleurs et dans d'autres temps, le génie met au jour, comme par un fatal retour, l'état moral et religieux des peuples, séparés souvent par l'intervalle des lieux et des siècles.

Quand on compare la marche de l'esprit philosophique chez les Grecs et les Latins, peut-on ne pas être frappé d'un phénomène qui, au premier coup d'œil, doit paraître étrange?

Au milieu des systèmes divers et des dissentimens prononcés qui partagent le monde savant sur les origines des populations primitives de la Grèce et sur les progrès de la civilisation dans cette contrée célèbre ', un fait me paraît incontestable : ce sont les si

• Cf. Lévesque, Études de l'histoire ancienne, tome 11, p. 77 et suiv.; NIEBUHR, roemische Gesch., tome 1, p. 32; HERBERT MARSH, Hora Pe

tuations sociales par lesquelles les Grecs passèrent successive

ment.

D'abord ils sont barbares: puis ils arrivent à l'état de civilisation; et ces deux situations peuvent, si l'on veut, être désignées par les dénominations de Pélasges et d'Hellènes.

Les noms ont pu fournir matière à discussion, mais il n'en est pas de même des choses.

L'état primitif de barbarie est attesté par les historiens nationaux'. Quant à l'état de civilisation, il se révèle par les révolutions politiques: sa marche progressive ne saurait être révoquée en doute, alors même que les uns considèrent la religion et la civilisation de la Grèce comme indigènes, tandis que les autres n'y voient que des importations orientales 3.

La poésie chez les Grecs unit long-temps ses chants aux accords de la musique, pour célébrer les dieux et dévoiler les mystères de l'avenir. Chantres, ministres des autels et prophètes, les premiers poètes parurent, lorsque d'abord les colonies sorties de l'Égypte, de la Phénicie et de la Phrygie, et ensuite les Crétois, les Thraces et les Hellènes avaient tour-à-tour répandu sur le sol de la Grèce divers élémens de civilisation.

Des fables entourent les noms mythiques de Linus, Amphion, Musée, Orphée, Thamyris, etc.; mais l'histoire philosophique mentionne les travaux attribués à plusieurs d'entre eux 4, Ce fait

lasgica, pars prior; LARCHER, Chronol. d'Hérodote, ch. vIII, p. 215; RAOUL-ROCHETTE, Hist. des colonies grecques, tome 1, p. 146 et suiv.; MANNERT, Geogr. der Griechen und Rom., vol. VIII; FRÉRET, Mémoires de l'Académie des Inscriptions, tome xLvít, passim.

THUCYDIDE, liv. 1, ch. 1-18.

2 OTFR. MULLER, Gesch. Hell. Stemme und Stæd.

3 FRID. CREUZER, Symbolik und Mythologie der Alten Voelker; ouvrage si habilement refondu et si heureusement importé dans notre littérature par les doctes travaux de M. Guigniaut, directeur de l'école Normale, sous le titre de Religions de l'antiquité, considérées principalement dans leurs formes mythologiques et symboliques. Le savant auteur français, liv. v, ch. 4, renvoie à la note re sur ce livre, § 1, où tous les faits primitifs de l'histoire grecque seront éclaircis, discutés et classés.

4 Suivant Diogène de Laërte, liv. 1, ch. 42, Linus de Chalcis avait écrit sur la cosmogonie. Le même historien parle d'une Théogonie de Musée; et

né prouve-t-il pas qu'à cette époque mystérieuse la poésie couvrait de ses chants naissans les spéculations des sages sur la nature et son auteur suprême?

Plus tard, la poésie ionienne remplaça la poésie sacrée. Alors apparaissent les poëmes homériques, où les fictions sont si riches et si variées. Bientôt après nous trouvons les poëmes hésiodiques; et, dans les uns comme dans les autres, mais surtout dans les derniers, les dogmes de la philosophie naturelle sont cachés sous les traditions mythologiques.

Enfin, avec Thalès et l'école ionienne, elle se dégage de tous les voiles pour aborder sans détour les phénomènes de la nature et les plus profonds mystères de notre être. A la même époque, le sage de Samos, Pythagore, fonde dans la Grande-Grèce un institut où la philosophie s'élance vers les questions les plus élevées 3.

Suidas (in Oápivpis) attribue à Tamyris une Théogonie, qui n'était probablement qu'un fragment de son poëme sur la Guerre des Titans contre les dieux, cité par Plutarque dans son traité de la Musique, et dont Henri Étienne nous a conservé des fragmens (in Poesi philosophica).

Quant à Orphée, quelqu'opinion que l'on adopte sur les Orphiques (Cf. SCHOELL, Hist. de la littér. grecque, tome 1, p. 38-46), si des faussaires forgèrent des ouvrages sous son nom, le témoignage de Pausanias (liv. 11, ch. 26, et liv. IX, ch. 27 et 30) atteste l'existence de ses écrits authentiques.

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! Deux grandes questions ont été agitées au sujet des poëmes d'Homère. A-t-il mis par écrit l'Iliade et l'Odyssée ? Ces deux poëmes sont-ils entièrement de lui, ou se composent-ils d'ouvrages de plusieurs mains, réunis par les soins d'un habile critique? Ce n'est pas le moment d'entrer dans une discussion à ce sujet. Pour prévenir toutes les objections, et laisser à chacun son libre arbitre, je me sers de la dénomination de poëmes homériques, quel qu'en puisse être l'auteur,

2 On a prétendu aussi que les poésies d'Hésiode ont été arrangées et falsifiées par des mains étrangères. Je me sers de la dénomination de poëmes hésiodiques, par les mêmes considérations qui m'ont fait employer tout-à-l'heure celle de poëmes homériques.

3 L'année de la naissance de Pythagore est fort incertaine, et il y a entre les diverses fixations une différence de soixante-trois ans d'un extrême à l'autre. La Nauze et Fréret (Mém. de l'Acad. des Inscript. et Belles-Lettres, vol. xiv, p. 575 et 472) la placent à olympiade xxxv, 1, c'est-à-dire l'an 640 avant J.-C.; Larcher, à ol. XLIII, I, c'est-à-dire l'an 608 av. J.-C.; Rich. Bentley, à

Dans la Grèce, la philosophie naturelle emprunta donc, dès le principe, le langage de la poésie et s'enveloppa du voile des traditions religieuses: elle eut recours aux fictions, afin de ne pas éblouir le vulgaire, et ne se dépouilla que lentement de son caractère théologique.

Chez les Latins, au contraire, elle n'emprunte d'abord le sublime langage des Muses que pour répandre des dogmes opposés au culte des dieux; et c'est lorsqu'ils ont reçu les plus violentes atteintes, qu'Ovide vient ressusciter l'histoire mythologique avec ses antiques symboles, et les revêtir de tout l'éclat du génie poétique.

Dans deux littératures, dont l'une est la fille de l'autre, celte marche inverse serait-elle un accident fortuit? Ne doit-elle pas être plutôt attribuée à de puissantes causes morales et politiques ?

On sait sous quelles inspirations fut composé le poëme sur la Nature des choses. « Le temps où nous vivons, les évènemens dont nous sommes témoins, exercent une influence absolue sur notre esprit Lucrèce, profondément sensible, juste et modéré, en observant les crimes odieux dont ses contemporains se souillaient impunément, fut sans doute persuadé que les dieux ne daignaient pas régir les hommes. Simple, noble et bon comme la nature dont il est le peintre, ce sage chercha dans le sein de cette mère commune le refuge qu'il ne trouvait point sous l'empire de ces dieux, emblème de toutes les passions. Implacable ennemi du crime et de l'imposture, Lucrèce n'élève sa voix consolante et mélodieuse que pour inviter les hommes à suivre la vertu. Ses guides fidèles sont la sagesse, l'ordre et la modération; et s'il condamne à un

ol. XLIII, 4, c'est-à-dire 605 av. J.-C.; Ch. Meiners, Gesch. der Künste und Wissenchaften in Griechenland und Rom, à ol. XLIX, 2, c'est-à-dire l'an 683 av. J.-C.; et Dodwel, de Veter. Græc. Romanorumque cyclis, p. 137, à ol. LII, 2, c'est-à-dire l'an 572 av. J.-C. Eusèbe fixe la mort de Pythagore à ol. LXXI, 1, c'est-à-dire l'an 496 av. J.-C.

Or, de l'an 640 av. J.-C. jusqu'à l'an 496 av. J.-C., l'école ionienne produisit Thalès, né ol. xxxv, 2, l'an 639 av. J.-C.; Anaximandre, né ol. XLIII, 3, l'an 610 av. J.-C.; Anaxagoras et Anaximène de Milet, nés ol. LXX, 1, l'an 500 av. J.-C. Ainsi, la naissance et le développement de l'école ionienne, la création et les progrès de l'école italique, furent contemporains.

noble repos ces dieux chimériques, il respecte en eux l'idée de la divinité : c'est, pour ainsi dire, en se prosternant à leurs pieds qu'il les dépouille de leur empire; il fait plus, il reconnaît, dans la régularité et dans l'énergie de la nature, une puissance secrète, une âme universelle qui répond à l'idée que nous nous formons de l'Être-Suprême, etc.» (DE PONGERVILLE, Réflexions sur le poëme et le système de Lucrèce, en tête de sa traduction, p. 12 et 13.).

Ces. spéculations profondes du célèbre interprète de Lucrèce mettent dans tout son jour la pensée du chantre immortel de la Nature des choses..

Ainsi, chez les Latins, la philosophie se montre hardie dès ses premiers pas elle veut subjuguer la nature, et lui demande son secret sur la formation de l'univers et sur le souverain Être. Lucrèce, son noble représentant, est un esprit cultivé par les enseignemens puisés à Athènes dans l'école de Zénon : emporté vers les plus hautes pensées par tout l'élan de son énergie morale, il cherche la solution d'un problème incessamment offert à ses habitudes méditatives par une contradiction révoltante entre le désordre politique où gémit sa patrie, et l'harmonie qu'il voit régner dans la nature, reflet invariable de la divine sagesse.

Son poëme porte un coup terrible aux traditions populaires, oy plutôt il reproduit l'incurable discrédit qui, de jour en jour, les poussait vers une ruine certaine. Lorsque Octave, devenu Auguste, s'efforça, pour mieux assurer sa domination, de conserver en apparence toutes les formes de la constitution républicaine, il dut vouloir aussi soutenir d'une main tutélaire les autels chancelans des anciens dieux. Je ne dis point qu'il ait suggéré à Ovide l'idée des Métamorphoses : je ne pourrais appuyer une telle assertion d'aucun document historique. Mais n'est-il pas vraisemblable qu'entouré des hommes supérieurs de son temps, il dut songer au moyen d'asseoir son empire sur les antiques bases de toutes les traditions nationales? Ne trouvons-nous pas dans l'Énéide des traces fréquentes et visibles d'une intention politique? Le désir de flatter l'amour-propre national ne s'y révèle-t-il pas dans divers passages qu'il me paraît inutile de citer, parce qu'ils sont connus de mes lecteurs ? Cependant, l'Eneide fut-elle composée par l'ordre d'Auguste? Non, sans doute; mais, à la

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