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de plus grands malheurs. Jupiter avait vu lo revenir d'auprès du fleuve qui lui donna le jour : « Jeune beauté digne de Jupiter, et dont la couche doit rendre heureux je ne sais quel mortel, va dans les bois jouir de la fraîcheur, lui dit-il, en lui montrant l'ombrage des arbres touffus: la chaleur est vive, et le soleil, monté au plus haut point de sa course, darde ses rayons du milieu du ciel. Si tu crains de pénétrer seule dans la demeure des animaux sauvages; protégée par un dieu, tu pourras t'avancer en sûreté jusqu'au fond des bois je ne suis pas un dieu vulgaire; ma main porte le sceptre puissant des cieux; c'est moi qui lance la foudre vagabonde : ne me fuis pas.» Elle fuyait en effet; déjà les pâturages de Lerne et les plaines de Lyrcée, parsemées d'arbres, étaient loin d'elle, En ce moment, Jupiter enveloppe au loin la terre d'un nuage, dérobe Io à tous les yeux, l'arrête dans sa fuite et triomphe de sa pudeur.

Cependant Junon abaisse ses regards sur la campagne : un nuage passager a répandu les ombres de la nuit au milieu du jour : elle s'étonne; elle voit que ce n'est pas une vapeur sortie d'un fleuve ou de la surface humide de la terre. Et son époux, où est-il? Elle cherche d'un œil inquiet; car elle sait combien de fois il fut coupable d'amours illégitimes. Elle ne peut le trouver dans le ciel : «Je m'abuse, ou je suis outragée, » dit-elle alors; et, du haut de l'empyrée, elle s'élance sur la terre, et commande aux nuages de se dissiper. Jupiter avait prévu l'arrivée de son épouse, et déjà la fille d'Inachus était changée en une brillante génisse: elle est encore belle sous cette forme; Junon l'admire, quoiqu'à regret. A qui appartient-elle ? de quel pays est-elle et de quel

Bos quoque formosa est: speciem Saturnia vaccæ,

Quanquam invita, probat: nec non et cujus, et unde, Quove sit armento, veri quasi nescia, quærit.

Jupiter e terra genitam mentitur, ut auctor

Desinat inquiri: petit hanc Saturnia munus.

Quid faciat? crudele, suos addicere amores;
Non dare, suspectum : pudor est, qui suadeat illinc;
Hinc dissuadet amor : victus pudor esset amore;
Sed, leve si munus sociæ generisque torique
Vacca negaretur, poterat non vacca videri.

Pellice donata, non protinus exuit omnem
Diva metum ; timuitque Jovem, et fuit anxia furti;
Donec Arestoridæ servandam tradidit Argo.
Centum luminibus cinctum caput Argus habebat :
Inde suis vicibus capiebant bina quietem :
Cetera servabant, atque in statione manebant.
Constiterat quocumque modo, spectabat ad Io :
Ante oculos Io, quamvis aversus, habebat.
Luce sinit pasci: quum Sol tellure sub alta est,
Claudit, et indigno circumdat vincula collo.
Frondibus arboreis, et amara pascitur herba :
Proque toro, terræ, non semper gramen habenti,
Incubat infelix; limosaque flumina potat.

Illa etiam supplex Argo quum brachia vellet

Tendere, non habuit, quæ brachia tenderet Argo;

sa sœur,

troupeau? Elle s'en informe, comme si la vérité ne lui était pas connue. Jupiter, pour mettre fin à ces questions, imagine de dire qu'elle est sortie de la terre : Junon la demande comme un présent. Quel parti prendre? il est cruel de livrer l'objet de son amour; mais un refus serait suspect. La honte lui suggère une résolution, l'amour l'en détourne; la honte eût cédé à l'amour; mais un don si léger, une génisse refusée à à la compagne de sa couche, peut faire croire que ce n'est pas une génisse. Maîtresse de sa rivale, Junon ne se dépouille pas de toute inquiétude; elle craint Jupiter et de nouveaux larcins, jusqu'à ce qu'elle ait préposé, à la garde d'Io, Argus, fils d'Arestor. Cent yeux couronnaient sa tête; deux se fermaient tour à tour; les autres veillaient, sentinelles toujours attentives: quelle que fût la place d'Argus, ses regards tombaient sur Io; elle était sous ses yeux, alors même qu'il se tournait du côté opposé. Le jour, il lui permet de paître : mais, quand le soleil est caché sous l'horizon, il l'enferme et attache d'indignes liens à son cou. Les feuilles des arbres et des herbes amères lui servent de nourriture: la couche où reposent ses membres fatigués, c'est la terre que le gazon ne couvre pas toujours; elle a pour boisson une eau bourbeuse. Veut-elle supplier Argus et lui tendre ses bras, elle ne les trouve plus; veut-elle se plaindre, des mugissemens s'échappent de sa bouche; elle en redoute le bruit, sa propre voix l'épouvante. Elle s'approche aussi des rives qui furent souvent le théâtre de ses jeux, des rives de l'Inachus: dès qu'elle aperçoit, pour la première fois, son bois rameux dans le miroir des eaux, elle frissonne et fuit effrayée devant son image. Les Naïades ignorent qui elle est; Inachus lui-même l'ignore : mais

Conatoque queri mugitus edidit ore;

Pertimuitque sonos; propriaque exterrita voce est.
Venit et ad ripas, ubi ludere sæpe solebat,
Inachidas ripas; novaque ut conspexit in unda
Cornua, pertimuit, seque externata refugit.

Naides ignorant, ignorat et Inachus ipse,

Quæ sit at illa patrem sequitur, sequiturque sorores, Et patitur tangi, seque admirantibus offert.

Decerptas senior porrexerat Inachus herbas;

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Illa manus lambit, patriisque dať oscula palmis;
Nec retinet lacrymas: et, si modo verba sequantur,
Oret opem; nomenque suum, casusque loquatur.
Litera pro verbis, quam pes in pulvere duxit,
Corporis indicium mutati triste peregit.

<< Me miserum! >> exclamat pater Inachus; inque gementis Cornibus, et nivea pendens cervice juvencæ,

<< Me miserum! ingeminat tune es quæsita per omnes, Nata, mihi terras? tu non inventa reperta

Luctus eras levior: retices, nec mutua nostris.
Dicta refers; alto tantum suspiria ducis

Pectore; quodque unum potes, ad mea verba remugis.
At tibi ego ignarus thalamos tædasque parabam;
Spesque fuit generi mihi prima, secunda nepotum.

De

grege nunc tibi vir, nunc de grege natus habendus. Nec finire licet tantos mihi morte dolores :

elle suit son père, elle suit ses sœurs, se laisse caresser et s'offre d'elle-même à leurs regards surpris. Le vieil Inachus cueille des herbes et les lui présente : elle lèche ses mains, couvre de baisers les bras de son père et ne peut retenir ses larmes : si la parole était encore l'interprète de ses pensées, elle implorerait son secours, elle dirait son nom et ses malheurs; mais, à défaut de paroles, des caractères tracés par son pied sur la poussière ont révélé sa triste métamorphose. « Je suis bien malheureux ! » s'écrie Inachus; et il reste suspendu aux cornes de la génisse gémissante et à son cou blanc comme la neige : « Je suis bien malheureux, s'écrie-t-il encore : es-tu bien ma fille que j'ai cherchée dans le monde entier? Avant de t'avoir trouvée, ma douleur était plus légère qu'au moment où je te revois : tu gardes le silence; ta voix ne répond pas à la mienne; seulement, du fond de ton cœur des soupirs s'échappent; et tout ce que tu peux, c'est de répondre à mes paroles par des mugissemens ; et moi, ignorant ton destin, je préparais pour toi la couche nuptiale et les flambeaux d'hyménée! j'espérais un gendre et des neveux: maintenant, c'est dans un troupeau que tu dois chercher un époux, c'est là que tu dois chercher des enfans; et la mort ne peut mettre un terme à mon chagrin immense! Quel malheur d'être dieu la mort me ferme ses abîmes; elle ne laisse à ma douleur d'autres bornes que l'éternité! » Ainsi son chagrin s'exhale. Argus, dont les yeux sont comme autant d'étoiles, éloigne Io, l'arrache des bras d'un père et l'emporte dans d'autres pâturages lui-même il occupe, à une assez grande distance, sur le sommet de la montagne, une place d'où il peut, tout assis, porter partout un regard scrutateur.

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