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prise une jeune fille, à cette époque de la vie où les plaisirs, la parure, sont les plus grandes occupations de son sexe, rêver dans la solitude qu'elle était Clélie fendant les eaux du Tibre, ou Cornélie qui se parait des Gracques aux yeux des dames romaines.

Les circonstances développent et révèlent tout-à-coup les inclinations naissantes. A douze ans, mademoiselle Genet ne rencontrait point, à la promenade ou dans les rues, de pensions de petites filles, qu'elle n'ambitionnât le rang, le titre et l'autorité de leur maîtresse. Le séjour de la cour avait détourné, mais non changé ses idées et ses goûts. Plus âgée, capable d'étendre le cercle de ses projets, et de placer plus haut le but de ses espérances, elle enviait à madame de Maintenon, parvenue au degré le plus élevé du pouvoir, non les succès de son ambitieuse hypocrisie, non ces grandeurs dont elle avait sitôt senti le vide et la lassitude, non l'honneur mystérieux d'un hymen royal et clandestin, maist la gloire d'avoir fondé Saint-Cyr.

On va voir bientôt que, pour réaliser ses projets, madame Campan ne disposait ni de l'autorité, ni des trésors de Louis XIV. Un mois après la chute de Robespierre, dit-elle dans un écrit du plus haut intérêt, je pensai qu'il fallait vivre

et faire vivre une mère âgée de soixante-dix ans, mon mari malade, mon fils âgé de neuf ans, et une partie de ma famille ruinée. Je n'avais plus rien au monde qu'un assignat de 500 francs. J'avais signé pour trente mille francs de dettes pour mon mari. Je choisis Saint-Germain pour y établir une pension: cette ville ne me rappelait pas, comme Versailles, et les temps heureux et les premiers malheurs de la France, et m'éloignait de Paris où s'étaient passés nos horribles désastres, et où résidaient des gens que je ne voulais pas connaître. Je pris avec moi une religieuse de l'Enfant-Jésus, pour donner la garantie non douteuse de mes principes religieux (1). Je n'avais pas le moyen de faire imprimer mon prospectus; j'en écrivis cent, et les envoyai aux gens de ma connaissance qui avaient survécu à nos affreuses crises.

» Au bout d'un an j'avais soixante élèves; bientôt après cent. Je rachetai des meubles; je payai mes dettes. J'étais heureuse d'avoir trouvé

(1) La maison d'éducation de Saint-Germain fut la première dans laquelle on osa se permettre d'ouvrir un oratoire. Le Directoire, mécontent, ordonna qu'il fût fermé sur-le-champ.

cette

ressource si éloignée de toute intri

gue (1).

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Aux talens, à l'expérience, aux excellens principes de madame Campan, appartiennent sans doute les succès brillans et rapides qu'obtint l'institution de Saint-Germain. Toutefois on doit convenir qu'elle était merveilleusement favorisée par l'opinion. Rechercher, accueillir, seconder tous ceux qui avaient approché de la cour, c'était alors braver, humilier le pouvoir régnant; et l'on sait si l'on s'est refusé jamais un pareil plaisir en France. J'étais bien jeune alors, et cette disposition des esprits, dans ceux qui m'entouraient, ne m'échappait point. Toutes les fortunes avaient changé de mains, tous les rangs se trouvaient confondus par l'effet des secousses de la révolution : la société était comme une bibliothèque dont on aurait replacé les livres au hasard, après en avoir arraché les titres. Le grand seigneur ruiné dînait à la table de l'opulent fournisseur, et la marquise, brillante d'esprit et de grâces, était assise au bal à côté de l'épais parvenu. A défaut des distinctions et

(1) Ce fragment est extrait d'un Mémoire dont Napoléon, dans les cent jours, a ordonné le dépôt aux archives du ministère des relations étrangères.

des dénominations anciennes que proscrivait le Directoire, l'élégance des manières et la politesse du langage formaient une espèce d'aristocratie peu commune. La maison de Saint-Germain, dirigée par une femme qui avait le ton, le maintien, les habitudes et la conversation de la meilleure société, devenait, pour les jeunes personnes, autant l'école du monde que l'école

du savoir.

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Un homme de lettres, ami de madame de Beauharnais, continue madame Campan dans ■ le manuscrit que j'ai sous les yeux, lui parla

» de ma maison. Elle m'amena sa fille Hortense » de Beauharnais, et sa nièce Émilie de Beau

>>

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»

harnais. Six mois après elle vint me faire part de son mariage avec un gentilhomme corse, élève de l'Ecole-Militaire et général. » Je fus chargée d'apprendre cette nouvelle à sa fille qui s'affligea long-temps de voir sa » mère changer de nom. J'étais aussi chargée de surveiller l'éducation du jeune Eugène de Beauharnais, placé à Saint-Germain dans la pension où était mon fils,

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»

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» Mes nièces, mesdemoiselles Auguié, étaient avec moi, logées dans la même chambre que mesdemoiselles de Beauharnais. Il s'établit une grande intimité entre ces jeunes per

»

»

» sonnes. Madame de Beauharnais partit pour l'Italie, en me laissant ses enfans. A son retour, après les conquêtes de Bonaparte, ce général » fut très-content des progrès de sa belle-fille, » m'invita à dîner à la Malmaison, et vint à » deux représentations d'Esther à ma maison » d'éducation (1). »

Une anecdote qui est presque historique, et que je tiens des amis de madame Campan, se lie au souvenir d'une de ces représentations. Madame la duchesse de Saint-Leu représentait Esther le rôle d'Elise était rempli par : l'intéressante et malheureuse madame de Broc. Comme dans la pièce de Racine, même conformité d'âge et de penchans, même amitié les unissaient. Napoléon, alors consul, ses capitaines, les ministres, les premiers personnages de l'État, se trouvaient à cette représentation. On y remarquait aussi le prince d'Orange que l'espoir de revoir la Hollande, et de faire revivre les droits de sa maison, avait, à cette époque, conduit en France. La tragédie d'Esther était exécutée par les élèves, avec les choeurs en musique: on sait que dans ceux qui terminent le

(1) Autre fragment du même Mémoire.

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