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était très-alarmé. Il craignait, d'après le caractère connu de Louis XV, tous les inconvéniens qui pourraient en résulter, si le duc d'Aiguillon venait à percer ce voile jusqu'alors impénétrable à ses yeux. Sa Majesté le rassura en lui disant les précautions prises et l'ordre formel donné de sa part au prince Louis, pour garder sur cet objet le secret le plus inviolable. Cet ordre fut en effet transmis par le prince de Soubise avec les témoignages les plus flatteurs et les plus honorables de la satisfaction et de la bienveillance du roi.

>> Depuis cette découverte, tous les quinze jours, un courrier extraordinaire partait pour les nouveaux envois avec les mêmes formes et les mêmes précautions. L'absence et les voyages de l'ambassadeur, et même son retour, n'interrompirent point, pendant un an que je restai seul chargé des affaires du roi, et n'apportèrent point d'obstacles au départ de courriers si intéressans. L'homme masqué semblait même redoubler de zèle à chaque rendez-vous. »

Note (C), page 129.

<«< A une grande défiance de ses propres forces, dit l'abbé Georgel, à un abandon total de volonté dans les affaires du gouvernement de son royaume, Louis XV joignait une excessive curiosité de connaître le secret des intrigues de sa cour, les propos de Paris, la vie privée de ses ministres, et leur conduite dans les relations de leur ministère. Indépendamment du lieutenant de police, il avait à Versailles et à Paris des agens secrets. Laroche, un de ses valets de chambre, était l'intermédiaire de cette inquisition clandestine : l'intendant de la poste aux lettres, Jeannet, et, après lui,

le baron d'Ogny, avaient, tous les dimanches, un travail avec Sa Majesté pour lui rendre compte de ce qu'ils avaient découvert par l'ouverture des lettres. Ces deux hommes de confiance intime faisaient des extraits, pour le roi, des lettres qu'ils jugeaient à propos de décacheter. Les ministres eux-mêmes étaient soumis à cette inconcevable inquisition. On sent tout le danger d'un pareil ministère, quand, ou l'animosité, ou l'intérêt personnel, ou enfin des considérations particulières, dirigeaient de tels extraits. Vingt commis, inconnus à l'administration, étaient, nuit et jour, secrètement occupés à intercepter les lettres et à faire les extraits. C'est par ce moyen que Louis XV découvrit la correspondance du comte d'Argenson avec une de ses maîtresses favorites, et dans laquelle co ministre, si favorisé de son maître, s'exprimait avec peu de retenue et de respect sur le caractère du roi. Sa disgrâce subite et inattendue suivit de près la violation du secret des lettres.

» Par une suite de son caractère défiant et curieux, ce monarque s'était aussi ménagé, près des cours de l'Europe, un ministère secret absolument ignoré du ministre des affaires étrangères. Le roi, pour qui ce mystère était une véritable jouissance, voulait, de cette manière, juger la conduite de son ministre dans les différentes cours, et comparer les rapports que celui-ci faisait avec ceux que lui transmettait son ministère secret les agens et les correspondans de cette ténébreuse politique étaient soudoyés par le roi luimême sur sa cassette particulière. Ils étaient du choix du ministre secret qui travaillait directement avec Sa Majesté, et lui répondait de la discrétion des personnes à qui, par son intermédiaire, ses instructions étaient

confiées. Le voile le plus épais couvrait cette obscure diplomatie. Le ministre secret arrivait chez le roi par des détours connus du valet de chambre de confiance, qui l'introduisait aux jours et heures convenus.

>> On donnait, pour cette correspondance, la préférence, soit à un ambassadeur, soit à un secrétaire, quand on avait la certitude de leur discrétion; mais si l'on croyait leur en devoir dérober à tous deux la connaissance, on prenait des mesures pour faire arrivcr et séjourner près d'eux les suppôts de cette ligue antiministérielle. C'est ainsi que, pendant l'ambassade du prince de Rohan, le comte de Broglie fit voyager en Allemagne le jeune comte de Guibert, qui, sous divers prétextes, fit de longs séjours à Vienne.

>> Dans les recherches que j'ai été à portée de faire sur cette étrange politique de Louis XV, il m'a été assuré, par des personnes bien instruites, qu'elle lui avait été suggérée par le vieil abbé de Broglie, oncle du maréchal et du comte..>>

A ces renseignemens curieux, il faut joindre ceux que donne l'abbé Soulavie sur le ministère secret de Louis XV, sur l'espionnage des cours et la violation du secret des lettres. Par ce qu'on vient de lire, on reconnaîtra que l'abbé Soulavie était souvent bien instruit, et quelquefois véridique les deux témoignages se prêtent un appui mutuel.

«La maison d'Autriche était parvenue à se procurer la communication de nos dépêches politiques du nord et du midi; mais le prince Louis de Rohan, notre ambassadeur, habile dans le secret des ruelles, avait réussi de même à se procurer des copies des lettres intimes de l'empereur au roi de Prusse, et de celles du prince de Kaunitz au comte de Mercy, ambassadeur de

Marie-Thérèse à Versailles. Les deux cours dépensaient des sommes prodigieuses, non pour se rapprocher, vers la fin du règne du feu roi, mais pour s'épier, se sonder, se connaître, surtout relativement aux affaires de Pologne.

>> Le prince Louis, depuis cardinal de Rohan, était parvenu, à cet égard, à des découvertes importantes. Il avait fait passer à sa cour les pièces secrètes relatives aux entrevues de Frédéric et de Joseph II à Neiss et Neustadt, en se procurant, à prix d'argent, des intelligences directes dans sa chancellerie. Le prince de Kaunitz, qui en entretenait lui-même à Versailles, dans notre cabinet, parvint jusqu'à la source de la trahison de ses bureaux, et fit noyer un commis dans le Danube. Le prince Louis, sans s'en étonner, en gagna d'autres dans les bureaux du prince de Kaunitz et jusque dans l'intérieur des appartemens de l'impératrice et de son fils. Il apprit que l'Autriche allait s'unir à la Russie contre la Porte et la France, et eut le bonheur de prévenir ces désastres que l'Autriche pouvait préparer à notre alliée. Le prince Louis réussit à intercepter les lettres de Kaunitz au comte de Mercy, ambassadeur autrichien en France; il apprit par-là que la cour de Vienne s'était procurée des copies des dépêches du prince de Rohan au duc d'Aiguillon. Le comte de Mercy payait à la cour, auprès de Louis XV, et dans les bureaux du duc d'Aiguillon, des traîtres qui préféraient les récompenses pécuniaires du prince de Kaunitz à la satisfaction sentimentale qu'éprouve un bon Français dans sa fidélité. Louis XV, indigné, ordonna à chacun de ses ministres, séparément, de lui faire connaître par écrit leurs soupçons, pour parvenir à dévoiler ce courtisan

autrichien.

» Le prince Louis, de son côté, se procura des copies de la correspondance du prince de Kaunitz avec l'ambassadeur autrichien à Pétersbourg. La politique de la maison d'Autriche avec Catherine II y était encore mise au jour. Le comte de Mercy, qui eut communication de ces pièces envoyées par Rohan à Louis XV, en -avertit Marie-Thérèse; et Rohan avertit sa cour que le prince de Kaunitz, dépaysé, avait porté la précaution au point de faire changer les serrures de son cabinet, ne confiant qu'à son secrétaire exclusivement le dépôt des dépêches les plus séric uses. Ces anecdotes diplomatiques démontrent les défiances et les sollicitudes des deux cours de Vienne et de Versailles, pendant le ministère du duc d'Aiguillon, et motivent le courroux ultérieur de Marie Antoinette contre lui, quand elle fut devenue reine de France.

» Le 10 janvier 1774, le prince Louis avertit la cour que le prince de Kaunitz était parvenu à acheter les chiffres de sa correspondance avec le roi et avec nos ambassadeurs à Constantinople, Stockholm, Dantzick, Pétersbourg. Il fit plus : il prouva à Louis XV que la cour de Vienne avait le déchiffrement de toutes les dépêches entre le duc d'Aiguillon et les ministres de tontes les cours de l'Europe. Pour le prouver, il envoya, par extrait, des copies des lettres du duc d'Aiguillon à Berlin, à Munich, à Dresde, à Pétersbourg. Il apprit que les bureaux d'interception étaient à Liége, à Bruxelles, à Francfort, à Ratisbonne, et que le mécanisme de nos chiffres était tel aujourd'hui, que les déchiffreurs autrichiens parvenaient, sans beaucoup de diffi*culté, à mettre au net nos dépêches. « De mon cabinet,

disait le prince Louis, je lis toutes les correspondances dont je viens de parler; j'apprends les secrets que

T. I.

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