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grâces, la majesté de son maintien lui donnaient assez d'avantages réels pour qu'elle dédaignât la puérile importance du cérémonial.

Qu'est-ce donc en effet que l'étiquette ? Rien qu'une image du respect involontaire que les hommes accordent au courage, au génie, à la gloire, à la vertu. La véritable politesse dédaigne le cérémonial, et la vraie grandeur peut s'en passer. On vantait la noble familiarité d'Henri IV : il est certain qu'il avait fait d'assez grandes choses, pour être affable et simple. Le souvenir de ses actions l'élevait, plus encore que son rang, au-dessus des autres hommes; le roi rappelait sans cesse le chevalier; on lui voyait encore au côté l'épée qu'il portait à Coutras, et tous les Français reconnaissaient la main généreuse qui avait nourri Paris rebelle. Les prestiges de l'étiquette étaient nécessaires à Louis XV; Louis XIV eût pu s'en passer : assez de gloire environnait un trône resplendissant de l'éclat des armes, des lettres et des beaux-arts. Mais il voulait être encore plus qu'un grand roi : ce demi-dieu, violemment ramené, par ses revers et ses infirmités, aux douleurs de la condition humaine, s'efforça de cacher les outrages de la maladie, de la fortune et des ans, sous la pompe vaine du cérémonial. Il faut bien pardonner aux

princes d'être les régulateurs de l'étiquette, puisqu'ils en sont les premiers esclaves.

En France, depuis le berceau jusqu'à la tombe, malades ou bien portans, à table, au conseil, à la chasse, à l'armée, au milieu de leur cour, ou dans leur intérieur, les princes étaient soumis au cérémonial. Ses lois indiscrètes les suivaient jusque dans les mystères du lit nuptial. Qu'on juge ce qu'une princesse, élevée dans la simplicité des cours d'Allemagne, jeune, vive, aimante et franche, devait éprouver d'impatience contre des usages tyranniques qui, ne lui permettant pas un seul instant d'être épouse, mère, amie la réduisaient au glorieux ennui d'être toujours reine! La femme respectable que sa charge plaçait auprès d'elle, comme un ministre vigilant des lois de l'étiquette, au lieu d'en alléger le poids, lui en rendait le joug insupportable. Encore n'était-ce que demi-mal, quand ces lois vénérables n'atteignaient que les personnes du service : la reine prenait le parti d'en rire. Je veux laisser madame Campan raconter, à ce sujet, une anecdote qui la concerne.

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Madame de Noailles, dit-elle dans un fragment manuscrit, était remplie de vertus : je ne pourrais prétendre le contraire. Sa piété, sa charité, des mœurs à l'abri du reproche, la ren

daient digne d'éloges; mais l'étiquette était pour elle une sorte d'atmosphère : au moindre dérangement de l'ordre consacré, on eût dit qu'elle allait étouffer, et que les principes de la vie lui' manquaient.

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Un jour je mis, sans le vouloir, cette pauvre dame dans une angoisse terrible; la reine recevait je ne sais plus qui: c'était, je crois, de nouvelles présentées; la dame d'honneur, la dame d'atours, le palais était derrière la reine. Moi j'étais auprès du lit avec les deux femmes de service. Tout était bien, au moins je le croyais. Je vois tout-à-coup les yeux de madame de Noailles attachés sur les miens. Elle me fait un signe de la tête, et puis ses deux sourcils se lèvent jusqu'au haut de son front, redescendent, remontent; puis de petits signes de la main s'y joignent. Je jugeais bien, à toute cette pantomime, que quelque chose n'était pas comme il fallait; et tandis que je regardais de côté et d'autre, pour me mettre au fait, l'agitation de la comtesse croissait toujours. La reine s'aperçut de tout ceci, elle me regarda en souriant; je trouvai moyen de m'approcher de S. M., qui me dit alors à mi-voix : Détachez vos barbes, ou la comtesse en mourra. Tout ce mouvement venait des deux épingles maudites qui retenaient mes

barbes, et l'étiquette du costume disait : Barbes pendantes. »

Ce fut cependant ce dédain des graves inutilités de l'étiquette qui devint le prétexte des premiers reproches adressés à la reine. De quoi n'était pas capable, en effet, une princesse qui pouvait se résoudre à sortir sans paniers, et qui, dans les salons de Trianon, au lieu de discuter la question de la chaise et du tabouret, invitait tout le monde à s'asseoir (1)? Le parti anti-autrichien, toujours mécontent, toujours haineux,

(1) On ne pardonnait pas même à la reine la suppression des usages les plus ridicules. Les respectables douairières, qui avaient passé leur innocente jeunesse à la cour de Louis XV, et même sous la régence, voyaient un outrage aux mœurs dans l'abandon des paniers. Madame Campan elle-même dit quelque part dans ses Mémoires, et presque avec regret, que les grandes fraises et les vertugadins, en usage à la cour des derniers Valois, n'étaient point adoptés sans motif; que ces ajustemens, indifférens en apparence, éloignaient bien réellement toute idée de galanterie.

Quoiqu'une semblable précaution puisse paraître au moins singulière à la cour dissolue d'Henri III, je ne prétends pas nier l'efficacité des vertugadins. Je citerai seulement sur ce sujet une petite anecdote rapportée par La Place.

<< M. de Fresne Forget, étant chez la reine Margue

surveillait sa conduite, grossissait ses plus légers torts, et calomniait ses plus innocentes démarches. « Ce qui au premier coup-d'œil (dit Mont

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joye, dont certes les opinions ne sont pas suspectes) semble inexplicable, et navre de douleur, c'est que les premiers coups portés à » la réputation de la reine sont sortis du sein » de la cour. Quel intérêt des courtisans pou⚫ vaient-ils avoir à désirer sa perte qui entraî» nait celle du roi; et n'était-ce pas tarir la » source de tout le bien dont ils jouissaient, et » de celui qu'ils pouvaient espérer ? »

Mais ces biens, ces faveurs n'étaient plus l'héritage exclusif de quelques familles puissantes.

rite, lui dit un jour qu'il s'étonnait comment les hommes et les femmes, avec de si grandes fraises, pouvaient manger du potage sans les gâter, et surtout comment les dames pouvaient être galantes avec leurs grands vertugadins. La reine alors ne répondit rien; mais quelques jours après, ayant une très-grande fraise et de la bouillie à manger, elle se fit apporter une cuiller qui était fort longue, de façon qu'elle mangea sa bouillie sans salir sa fraise. Surquoi, s'adressant à M. de Fresne: « Eh bien! lui dit-elle en riant, vous voyez bien qu'avec un peu d'intelligence on trouve remède à tout. -Oui da! Madame, lui répondit le bon homme; quant au potage, me voilà satisfait. » (Tom. II, pag. 350 du Recueil de La Place.)

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