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non admis dans cette intimité, devinrent autant d'ennemis jaloux et vindicatifs.

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Il fallut donner une existence convenable à la comtesse. La place de premier écuyer en survivance du comte de Tessé, accordée au comte Jules, à l'insu du titulaire, mécontenta les Noailles. Cette famille venait récemment d'éprouver un autre désagrément; la nomination de la princesse de Lamballe ayant, en quelque sorte, nécessité la retraite de madame la comtesse de Noailles, dont le mari fut fait à cette époque maréchal de France. La princesse de Lamballe, sans se brouiller avec la reine, fut alarmée de l'établissement de madame la comtesse Jules à la cour, et ne fit point, comme Sa Majesté l'avait espéré, partie de cette société intime qui fut composée successivement de mesdames Jules et Diane de Polignac, d'Andlau, de Châlon; de MM. de Guignes, de Coigny, d'Adhémar, de Besenval, colonel en second des Suisses, de Polignac, de Vaudreuil et de Guiche : le prince de Ligne et M. le duc de Dorset, ambassadeur d'Angleterre, y furent aussi admis..

La comtesse Jules fut long-temps sans tenir un grand état à la cour. La reine se borna à lui donner un très-bel appartement au haut de l'escalier de marbre. Le traitement de premier écuyer, les faibles émolumens du régiment de M. de Polignac, unis à leur modique patrimoine, et peut-être quelques pensions, faisaient alors toute la fortune de la favorite. Je n'ai jamais vu la reine lui faire de présens d'une valeur réelle; je fus frappée même d'entendre un jour S. M. raconter avec plaisir que la comtesse avait gagné dix mille francs à la loterie : elle en avait, ajoutait la reine, un trèsgrand besoin.

Les Polignac n'étaient done point établis à la cour avec une splendeur qui pût légitimer aucun mécontentement. Les Noailles avaient peut-être lieu d'être blessés dans cette occasion: ils avaient quelques droits sur la survivance du comte de Tessé : le rétablissement de la place de surintendante avait aussi été un désagrément pour la comtesse de Noailles qui, s'étant trouvée avoir une supérieure, avait pris sa retraite. Cette

famille, prépondérante à la cour, ne fut pourtant pas la seule que là fortune du comte de Polignac indisposa contre Marie-Antoinette. Ce qu'un courtisan voit obtenir à d'autres lui semble toujours pris sur son bien, c'est une règle. Dans cette occasion cependant on envia moins le matériel des grâces accordées aux Polignac, que l'intimité qui allait s'établir entre eux, leurs cliens et la reine. On vit, dans le cercle de la comtesse Jules, une porte ouverte pour obtenir la faveur, les grâces, les ambassades. Ceux qui n'avaient pas l'espoir d'y entrer furent irrités.

Le salon de madame de Polignac a fait un grand tort à Marie-Antoinette; il a puissamment excité ses ennemis. Cependant, au temps dont je parle, la société de la comtesse Jules, tout occupée de consolider sa faveur, était loin de se mêler des affaires sérieuses auxquelles la jeune reine était encore étrangère. Lui plaire était le désir généralement partagé par tous les amis de la favorite. Le marquis de Vaudreuil régnait dans la société du comte et de la

comtesse Jules: c'était un homme brillant, ami et protecteur des beaux-arts. Parmi les gens de lettres et les artistes célèbres, il avait une nombreuse clientelle (1).

Le baron de Besenval avait conservé la

:

(1) M. de Vaudreuil aimait passionnément les arts et les lettres il se plaisait à les encourager plus encore en amateur qu'en homme puissant. Toutes les semaines il donnait un dîner qui était uniquement composé de littérateurs et d'artistes. La soirée se passait dans un salon où l'on trouvait des instrumens, des crayons, des couleurs, des pinceaux, des plumes, et chacun composait, peignait, écrivait selon son goût ou son talent. M. de Vaudreuil lui-même en cultivait plusieurs. Sa voix était fort agréable; il était bon musicien. Ce talent le fit rechercher dès son entrée dans le monde. La première fois qu'il fut reçu chez madame la maréchale de Luxembourg: : «< Monsieur, lui dit-elle après le souper, on dit que vous chantez fort bien; je serais charmée de vous entendre; mais, si vous avez cette complaisance pour moi, ne me chantez point d'ariettes, point de grands airs, un Pont-Neuf, un simple Pont-Neuf. J'aime le naturel, l'esprit, la gaieté. » M. de Vaudreuil demanda donc la permission de chanter un Pont-Neuf alors fort à la mode. Il ignorait que madame la maréchale de Luxembourg avait été, avant son veuvage, madame la cortesse de Boufflers. Il chanta d'une voix pleine et sonore le premier vers du couplet qui commence ainsi:

Quand Boufflers parut à la cour...

simplicité des Suisses, et acquis toute la finesse d'un courtisan français. Cinquante ans révolus, des cheveux blanchis lui faisaient obtenir cette confiance que l'âge mûr inspire aux femmes, quoiqu'il n'eût pas cessé de viser aux aventures galantes : il parlait de ses montagnes avec enthousiasme ; il eût volontiers chanté le ranz-des-vaches avec les larmes aux yeux, et était en même

Au moment même on tousse, on crache, on éternue. M. de Vaudreuil poursuit :

On crut voir la mère d'Amour.

Le bruit, l'agitation redoublent. Mais, après le troisième vers,

Chacun cherchait à lui plaire,

Monsieur de Vaudreuil s'arrête en voyant tous les yeux fixés sur lui : « Poursuivez donc, Monsieur, dit la maréchale en chantant elle-même le dernier vers:

Et chacun l'avait à son tour. »

Ce que le baron de Besenval a écrit de madame la maréchale de Luxembourg, rend l'anecdote vraisemblable. Mais, dans une circonstance aussi difficile, peut-être la maréchale faisait-elle preuve de plus de présence d'esprit que d'impudence.

M. de Vaudreuil réussit beaucoup dans le monde par son esprit et ses qualités. Il avait auprès des femmes

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