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jusqu'à la reine, ou au moins d'établir quelques probabilités qui pussent l'autoriser à le faire croire : elle prit pour amant Gabriel de Saint - Charles, intendant des finances de Sa Majesté, charge dont les priviléges se bornaient à jouir, le dimanche, des entrées de la chambre de la reine. Madame de Villers venait tous les samedis à Versailles avec M. de Saint-Charles, et logeait dans son appartement; M. Campan s'y trouva plusieurs fois elle peignait assez bien, elle le pria de lui rendre le service de présenter à la reine un portrait de Sa Majesté qu'elle venait de copier. M. Campan connaissait la conduite de cette femme, et la refusa. Peu de jours après, en entrant chez la reine, il vit sur le canapé de Sa Majesté le portrait qu'il avait refusé de lui présenter; la reine le trouva mal peint, et donna l'ordre de le faire reporter chez la princesse de Lamballe qui le lui avait envoyé. Madame de Villers était parvenue à faire réussir son projet par l'entremise de la princesse. Le peu de succès du portrait ne détourna pas l'intrigante de suivre le

dessein qu'elle avait de se faire croire admise dans l'intimité de la reine; elle se procura facilement, chez M. de Saint-Charles, des brevets et des ordonnances signés par Sa Majesté ; elle s'appliqua à imiter son écriture, et composa un grand nombre de billets et de lettres écrites par Sa Majesté dans le style le plus familier et le plus tendre. Pendant plusieurs mois elle les montra sous le plus grand secret à plusieurs amis particuliers ; puis elle se fit écrire de même, par la reine, pour des acquisitions d'objets de fantaisie dont elle la priait de se charger; sous prétexte de vouloir exécuter fidèlement les commissions de Sa Majesté, elle faisait lire les lettres aux marchands, et parvint à faire dire, dans beaucoup de maisons, que la reine avait pour elle des bontés particulières. Cette femme agrandit son projet, et se fit demander la reine de lui trouver à empar prunter 200,000 francs dont elle avait besoin, ne voulant pas faire au roi la demande de fonds particuliers. Cette lettre, montrée à M. Béranger, fermier-général, produisit son effet ; il se trouva heureux de pouvoir

rendre ce service à sa souveraine, et s'empressa de remettre les 200,000 francs à madame de Villers. Quelques doutes suivirent ce premier mouvement; il les communiqua à des gens plus instruits que lui de ce qui se passait à la cour; on augmenta ses inquiétudes : il alla trouver M. de Sartine qui dévoila toute l'intrigue; la dame fut envoyée à Sainte-Pélagie, et l'infortuné mari ruiné par le remboursement de la somme empruntée et le paiement des bijoux faussement achetés au nom de la reine : les lettres imitées furent envoyées à Sa Majesté ; je les ai comparées en sa présence avec sa propre écriture, on n'y remarquait qu'un peu plus d'ordre dans les caractères.

Cette fourberie, découverte et punie avec prudence et sans passion, ne produisit pas plus de sensation dans le monde que celle de l'inspecteur Goupil.

Si l'esprit d'indépendance répandu dans la nation avait déjà dépouillé le trône de quelques-uns de ses rayons fascinateurs; si un parti, formé au sein même de la cour, cherchait à faire tomber une princesse au

trichienne, sans songer que les coups portés contre elle ébranlaient d'autant le trône, on pensera, je dois le dire, que c'était à cette princesse à veiller sur ses moindres démarches, à rendre sa conduite inattaquable; mais que l'on n'oublie pas sa jeunesse, son inexpérience, son isolement. Non, elle n'était pas coupable; l'abbé de Vermond était toujours le seul guide de la reine; en àge et en droit de lui représenter combien étaient graves les suites de ses moindres légèretés, il ne le fit pas; elle continua à chercher, sur le trône, les plaisirs de la société privée, et ce goût n'alla même qu'en augmentant.

Un an après la nomination de madame la princesse de Lamballe à la place de surintendante de la maison de la reine, les bals et les quadrilles amenèrent la liaison de la reine avec la comtesse Jules de Polignac. Elle inspira à Marie-Antoinette un véritable intérêt. La comtesse n'était pas riche, et vivait habituellement à sa terre de Claye. La reine s'étonna de ne l'avoir point vue plus tôt à la cour. L'aveu que son peu de

fortune l'avait même privée de paraître aux fêtes des mariages des princes, vint encore ajouter à l'intérêt qu'elle inspira.

La reine était sensible et aimait à réparer les injustices du sort. La comtesse avait été attirée à la cour par la soeur de son mari, madame Diane de Polignac, qui avait été nommée dame de madame la comtesse d'Artois. La comtesse Jules aimait véritablement la vie paisible; l'effet qu'elle produisit à la cour la toucha peu; elle ne fut sensible qu'à l'attachement que la reine lui témoignait. J'eus occasion de la voir dès le commencement de sa faveur; elle passa plusieurs fois des heures entières avec moi, en attendant la reine. Elle m'entretint avec franchise et ingénuité de tout ce qu'elle entrevoyait, d'honorable et de dangereux à la fois, dans les bontés dont elle était l'objet. La reine recherchait les douceurs de l'amitié; mais ce sentiment déjà si rare, peutil exister dans toute sa pureté entre une reine et une sujette, environnée d'ailleurs de piéges tendus par l'artifice des courtisans? Cette erreur bien pardonnable fut

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