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le protégeait, le recevait quelquefois, plaisantait de ses visions, et l'écoutait pourtant avec une sorte d'intérêt. « Dites-moi, lui demandat-elle un jour, si mon Antoinette doit être heureuse?» Gassner pâlit et garda le silence. Pressé de nouveau par l'impératrice, et cherchant alors à donner une expression générale à l'idée dont il semblait fortement occupé : Madame, répondit-il, il est des croix pour toutes les épaules (1).

Ces mots suffisaient pour frapper l'imagination des Allemands: des traditions conservées dans le pays, et dont on occupe l'enfance; un esprit tourné vers la recherche et la croyance de ce qui est vague et mystérieux; une disposition naturelle à la mélancolie, semblent les préparer à recevoir plus vivement ces impressions de crainte et ces avertissemens secrets. Marie-Antoinette, on le verra dans ces Mémoires, était loin de repousser et de vaincre les mouvemens d'une terreur involontaire. Goëthe, son compatriote, le célèbre auteur de Werther, s'abandonnait, plus encore que tout autre, à l'influence

(1) Jean-Joseph Gassner, né à Bratz, sur les frontières du Tyrol, était un thaumaturge célèbre qui croyait de bonne foi guérir une foule de maladies par la seule imposition des mains.

de ces pressentimens dont la raison a souvent peine à triompher. L'arrivée de la jeune princesse en France avait été pour lui l'occasion d'un sinistre présage.

Goëthe, jeune alors, achevait ses études à Strasbourg. On avait élevé, dans une île, au milieu du Rhin, un pavillon destiné à recevoir Marie-Antoinette et sa suite. « J'y fus admis, » dit Goëthe dans ses Mémoires. En y entrant, » mes yeux furent frappés du sujet représenté » sur la tapisserie qui servait de tenture au pavillon principal. On y voyait Jason, Créüse » et Médée, c'est-à-dire l'image du plus fu» neste hymen dont on ait gardé la mémoire. » A la gauche d'un trône, l'épouse entourée d'amis, de serviteurs désespérés, luttait contre une mort affreuse. Jason, sur l'autre plan, re» culait saisi d'horreur, à la vue de ses enfans égorgés, et la furie s'élançait dans les airs sur » son char traîné par les dragons. (1)..

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Sans être superstitieux, on est frappé de cet étrange rapport. L'époux, l'épouse, les enfans furent atteints; la fatale destinée parut s'accomplir en tous points. Marie-Thérèse aurait pu

(1) Mein Leben. Ma vie, par Goëthe, publiée à Tuhingen, chez Cotta.

répéter ces beaux vers que le père de Creüse adresse à sa fille expirante, dans la Médée de Corneille :

Ma fille, c'est donc là ce royal hyménée

Dont nous pensions toucher la pompeuse journée!
La parque impitoyable en éteint le flambeau,
Et pour lit nuptial, il te faut un tombeau!

Si l'on cherchait un funeste augure, il n'en faudrait point d'autre que les fêtes du mariage à Paris. On connaît l'événement de la place Louis XV; on sait comment l'incendie des échafauds destinés au feu d'artifice, l'imprévoyance des magistrats, la cupidité des malfaiteurs, la marche meurtrière des voitures, préparèrent, augmentèrent le désastre; comment la jeune dauphine, qui arrivait de Versailles, par le Cours-la-Reine, heureuse, brillante, parée, pour jouir de la joie de tout un peuple, s'enfuit éperdue, les yeux noyés de larmes, poursuivie de cette affreuse image, et croyant toujours entendre les cris des mourans.

Puisque j'ai dû parler de ce cruel événement, qu'on me permette de raconter rapidement une des scènes qu'il présenta. Au milieu de cette foule agitée, presséc en sens contraire, foulée sous les pieds des chevaux, précipitée dans les fossés qui bordaient la rue Royale et la place, se

trouvaient un jeune homme et sa maîtresse. Elle était belle; ils s'aimaient depuis plusieurs années ; des raisons de fortune avaient retardé leur mariage; le lendemain ils devaient être unis. Protégeant son amie, marchant devant elle, la couvrant de son corps, long-temps le jeune homme soutint ses pas et son courage. Mais, de moment eu moment, le tumulte, les cris, l'effroi, les périls allaient croissant. Je succombe, ditelle, mes forces m'abandonnent, je ne saurais avancer plus loin. Il reste encore un moyen, s'écrie l'amant au désespoir : Placez-vous sur mes épaules. Il sent qu'on a suivi son conseil, et le désir de sauver ce qu'il aime, double son ardeur et ses forces. Il résiste aux chocs les plus violens. Ses bras roidis devant sa poitrine lui frayent péniblement un passage; il lutte, il se dégage enfin. Arrivé à l'une des extrémités de la place, après avoir déposé sur un banc son précieux fardeau, haletant, épuisé, mourant de fatigue, mais ivre de joie, il se retourne.... ce n'était pas elle! une autre plus agile avait profité du conseil : son amie n'était plus!

La sensibilité, la bienfaisance de Marie-Antoinette adoucirent les malheurs qu'elle ne pouvait réparer. Madame Campan se trouvait placée dès-lors assez près d'elle pour apprécier tous

les mouvemens de son cœur généreux. Les noces du dauphin avaient été célébrées au mois de mai 1770. Aucun des princes ses frères n'étant encore marié, la dauphine n'eut d'abord de société intime que celle de Mesdames. La plus affable de ces trois princesses était madame Victoire; aussi était-ce chez elle que Marie-Antoinette aimait à venir habituellement. Elle Ꭹ rencontrait presque toujours mademoiselle Genet; ses talens, joints à la conformité d'âge, attirèrent l'attention de Marie-Antoinette. Souvent mademoiselle Genet l'accompagnait sur la harpe ou sur le piano, quand elle voulait chanter les airs de Grétry. La dauphine assistait aussi fréquemment aux lectures qui se faisaient chez la princesse; elle appréciait déjà l'onction du Petit-Carême, ou la brillante imagination d'un poëte qui consacra plus tard des vers touchans à ses malheurs.

A la cour, où la faveur conduit à la fortune, on remarqua la bienveillance dont Mesdames et la dauphine honoraient mademoiselle Genet. On parla de l'établir, et bientôt après elle épousa M. Campan, dont le père était secrétaire du cabinet de la reine (1). Louis XV dota la mariée

(1) MM. Campan, originaires de la vallée de Cam

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