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constance, d'Aiguillon, dur, ingrat, absolu, tyrannique, ne montra jamais, soit dans son commandement, soit au ministère, de l'autorité que ses rigueurs. On lui crut des talens, parce qu'il avait l'esprit de l'intrigue et beaucoup d'ambition; mais le partage de la Pologne, exécuté sous ses yeux, a flétri pour jamais sa politique et son nom. Courtisan délié, méchant homme, ministre inhabile, il fut l'objet de la haine publique qu'il voulut braver, et qui l'accabla.

Le duc d'Aiguillon n'avait pas compris que la force n'est qu'un des moindres ressorts du pouvoir, quand le pouvoir n'est pas soutenu par la confiance que donnent des lumières, de grands services rendus, et surtout des succès éclatans. L'exemple de son grand-oncle le trompait. En opprimant les grands, Richelieu servait la France, son génie faisait excuser son despotisme. L'abaissement de l'Autriche, l'humiliation de l'Espagne, l'ordre violemment rétabli dans l'État, les lettres en honneur, le commerce encouragé, pouvaient absoudre son administration des actes tyranniques dont on a droit de l'accuser. Il donnait aux mesures du gouvernement quelque chose de la hauteur de son caractère. On le craignait sans doute, mais on était forcé de l'admirer; et ce n'est qu'à la gloire qui

les éblouit, au bonheur dont on les fait jouir, que les peuples, ou trompés ou reconnaissans, pardonnent les atteintes portées à leurs droits.

On a reproché au duc de Choiseul d'avoir abandonné le système de politique extérieure conçu par le cardinal de Richelieu; il me semblerait plus juste de reprocher au duc d'Aiguillon d'avoir voulu, plus tard, le suivre sans le comprendre. Depuis Louis XIII, la France et l'Autriche, l'une s'élevant toujours, l'autre s'affaiblissant au contraire, avaient changé de position. La maison de Bourbon, sous Louis XV, régnait à Naples, à Madrid, comme à Versailles, La gloire des armes ou la prévoyance des traités avaient donné successivement à la France l'Alsace, la Franche-Comté, la Flandre et la Lorraine. La magnanime Marie-Thérèse venait à peine de raffermir sur sa tête une couronne mutilée; l'héritière de Rodolphe de Habsbourg avait plié son orgueil jusqu'à flatter la vanité bourgeoise de Jeanne Poisson, marquise de Pompadour, en l'appelant son amie. Une puissance guerrière, s'élevant tout-à-coup auprès de l'Autriche, excitait sa jalousie, occupait son attention et ses forces. Le duc de Choiseul, alors ministre, pouvait donc porter plus loin ses regards.

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Depuis la bataille de Pultava, la Russie, reléguée long-temps dans les glaces du Nord, comptait au nombre des États de l'Europe. Quatre femmes, placées successivement sur le trône des czars, avaient consolidé l'ouvrage d'un grand homme. Un système d'agrandissement suivi, et, ce qui est peut-être plus extraordinaire, annoncé sans mystère, se réalisait avec rapidité. Aujourd'hui que la Russie n'a pris des arts et de la civilisation de l'Europe que ce qui peut accroître ses forces militaires, et non ce qui pourrait amollir ses soldats; aujourd'hui que ses peuples, nés sur un sol ingrat, sous un ciel rigoureux, ont respiré l'air doux et pur de nos contrées; si ce puissant colosse qui déjà presse l'Europe au centre, pouvait encore, de ses bras étendus, toucher de la Baltique à la Méditerranée, quel refuge, quel rempart resterait à l'indépendance des nations menacées? elles n'en auraient point d'autres que la coalition des États du Midi; et c'était là précisément l'objet du pacte de famille, conçu avec prudence, consommé avec adresse par le duc de Choiseul, et que fortifiait l'alliance avec l'Autriche. Au lieu d'en accuser la légèreté du ministre, il me semblerait aujourd'hui plus juste d'en faire honneur à sa prévoyance; cependant l'alliance avec l'Au

triche était alors le prétexte accoutumé des attaques dirigées contre lui.

J'aurais voulu éviter ces détails; mais les divisions qu'enfanta la rivalité des deux ministres tiennent de trop près à l'histoire des temps dont madame Campan va parler. Le duc de Choiseul avait pour lui les parlemens, les philosophes et l'opinion. Le parti du duc d'Aiguillon comptait pour soutien les dévots et madame Du Barry. Les deux factions se disputèrent les dernières volontés de Louis XV expirant; elles troublèrent les premières années du règne de Louis XVI, et l'on verra bientôt quelle funeste influence la haine du parti anti-autrichien exerça sur la destinée de la jeune Marie-Antoinette.

L'idée d'unir la fille de Marie-Thérèse au petit-fils de Louis XV avait été conçue par le duc de Choiseul, avant sa disgrâce. Il cimentait par ce mariage l'alliance des deux États, et croyait se préparer la faveur d'un nouveau règne. Ainsi se trouvait justifié le sens de ce vers latin, suivant lequel l'Autriche doit plus espérer de l'hymen que des armes (1). L'âge, la beauté,

(1) Bella gerant alii, tu, Felix Austria, nube. Je ne crois pas que les Turcs soient grands diseurs de

les talens, le caractère de la jeune princesse étaient l'objet de tous les entretiens, En la voyant quitter sa famille pour aller prendre place sur les premiers degrés du trône le plus éclatant de l'Europe, qui eût osé former un doute sur son bonheur ? Marie-Thérèse, heureuse et désolée, ne concevait pour sa fille chérie d'autres chagrins que ceux de leur séparation; et pourtant des voix prophétiques semblaient menacer déjà son avenir.

Madame Campan racontait souvent une anecdote que lui avait apprise le gouverneur des enfans du prince de Kaunitz. Il y avait à Vienne à cette époque un docteur Gassner, qui y était venu chercher un asile contre les persécutions d'un des électeurs ecclésiastiques, son souverain. Gassner, doué d'une imagination très-exaltée, croyait avoir des inspirations. L'impératrice

bons mots; mais ils sont peut-être plus instruits qu'on ne le pense généralement, des intérêts des puissances chrétiennes, des vues, des moyens et des ressources de leurs cabinets. On prétend que le grand-seigneur, en recevant le décret de la Convention qui prononça en France l'abolition de la royauté, ne put s'empêcher de dire La république du moins n'épousera pas une archiduchesse. Le mot est bien français pour être turc; mais il est gai, c'est assez pour qu'on le cite.

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