Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

lasser des mêmes éloges; les ennemis paraissent avec des armes toutes nouvelles, tandis que les amis ont émoussé les leurs, en les faisant inutilement briller autour du char de triomphe. On se demande pourquoi l'amitié a moins de persistance que la haine; c'est qu'il y a plusieurs manières de renoncer à l'une, et que pour l'autre le danger et la honte sont partout ailleurs que dans le succès. Les amis peuvent si aisément attribuer à la bonté de leur âme l'exagération de leur enthousiasme, à l'oubli qu'on a fait de leurs conseils, les derniers revers qu'on a éprouvés; il y a tant de manières de se louer en abandonnant son ami, que les plus légères difficultés décident à prendre ce parti: mais la haine, dès ses premiers pas, engagée sans retour, se livre à toutes les ressources des situations désespérées; de ces situations dont les nations, comme les individus, échappent presque toujours, parce que l'homme faible même ne voit alors de secours possible que dans l'exercice du courage.

En étudiant le petit nombre d'exceptions à l'inconstance de la faveur publique, on est étonné de voir que c'est à des circonstances, et jamais au talent seul, qu'on doit les rapporter. Un danger présent a pu contraindre le peuple à retarder son injustice; une mort prématurée en a quelquefois précédé le moment; mais la réunion des observations, qui font le code de l'expérience, prouve que la vie si courte des hommes est encore d'une plus longue durée que les jugements et les affections de leurs contemporains. Le grand homme qui arrive à la vieillesse doit parcourir plusieurs époques d'opinions diverses ou contraires. Ces oscillations cessent avec les passions qui les produisent; mais on vit au milieu d'elles, et leur choc, qui ne peut rien sur le jugement de la postérité, détruit le bonheur présent qui est exposé à tous les coups. Les événements du hasard, ceux qu'aucune des puissances de la pensée ne peut soumettre, sont cependant placés, par la voix publique, sur la responsabilité du génie. L'admiration est une sorte de fanatisme qui veut des miracles; elle ne consent à accorder à un homme une place audessus de tous les autres, à renoncer à l'usage de ses propres lumières pour le croire et lui obéir, qu'en lui supposant quelque chose de surnaturel qui ne peut se comparer aux facultés humaines. Il faudrait, pour se défendre d'une telle erreur, être modeste et juste, reconnaître à la fois les bornes du génie et sa supériorité sur nous; mais dès qu'il devient nécessaire de raisonner sur les défaites, de les expliquer par des obstacles, de les excuser par des malheurs, c'en est fait de l'enthousiasme : ila, comme l'imagination, besoin d'être frappé par les objets extérieurs; et la pompe du génie, c'est le succès. Le public se plaît à donner à celui qui possède; et, comme ce sultan des Arabes qui s'éloignait d'un ami poursuivi par l'infortune, parce qu'il craignait la contagion de la fatalité, les revers éloignent - les ambitieux, les faibles, les indifférents, tous ceux enfin qui trouvent, avec quelque raison, que l'éclat de la gloire doit ■ frapper involontairement; que c'est à elle à commander le tribut qu'elle demande; que la gloire se compose des dons de la nature et du hasard; et que personne n'ayant le besoin d'admirer, celui qui veut ce sentiment ne l'obtient point de la volonté, mais de la surprise, et le doit aux résultats du talent, bien plus qu'à - la propre valeur de ce talent même.

Si les revers de la fortune désenchantent l'enthousiasme, que sera-ce s'il s'y mêle des torts, qui, cependant, se trouvent souvent réunis aux qualités les plus éminentes ! Quel vaste champ pour les découvertes des esprits médiocres! comme ils sont sûrs d'avoir prévu ce qu'ils comprennent encore à peine! comme le parti qu'ils auraient pris eût été meilleur ! que de lumières ils puisent dans l'événement! que de retours satisfaisants dans la critique d'un autre! Comme personne ne s'occupe d'eux, personne ne songe à les attaquer: eh bien, ils prennent ce silence pour le garant de leur supériorité: parce qu'il y a une bataille perdue, ils pensent qu'ils l'ont gagnée: et les revers d'un grand homme se changent en palmes pour les sots. Quoi done! l'opi-nion se composerait-elle de leurs suffrages?.... Oui, la gloire contemporaine leur est soumise, car c'est l'enthousiasme de la - multitude qui la caractérise; le mérite réel est indépendant de tout, mais la réputation acquise par ce mérite n'obtient le nom de gloire qu'au bruit des acclamations de la foule. Si les Romains sont insensibles à l'éloquence de Cicéron, son génie nous reste; mais où, pendant sa vie, trouvera-t-il sa gloire? Les drai point de la faire paraître dans toute la séduction de son éclat. Le digne et sincère amant de la gloire propose un beau traité au genre humain; il lui dit : « Je consacrerai mes talents à « vous servir; ma passion dominante m'excitera sans cesse à « faire jouir un plus grand nombre d'hommes des résultats << heureux de mes efforts; le pays, le peuple qui m'est inconnu, << aura des droits aux fruits de mes veilles; tout ce qui pense « est en relation avec moi; et, dégagé de la puissance envi« ronnante des sentiments individuels, c'est à l'étendue seule de < mes bienfaits que je mesurerai mon bonheur: pour prix de « ce dévouement, je ne vous demande que de le célébrer; char« gez la renommée d'acquitter votre reconnaissance. La vertu, « j'en conviens, sait jouir d'elle-même; moi, j'ai besoin de vous « pour obtenir le prix qui m'est nécessaire pour que la gloire « de mon nom soit unie au mérite de mes actions. Quelle franchise, quelle simplicité dans ce contrat! comment se peut-il que les nations n'y soient jamais restées fidèles, et que le génie seul en ait accompli les conditions?

C'est, sans doute, une jouissance enivrante que de remplir l'univers de son nom, d'exister tellement au delà de soi, qu'il soit possible de se faire illusion et sur l'espace et sur la durée de la vie, et de se croire quelques-uns des attributs métaphysiques de l'infini. L'ame se remplit d'un orgueilleux plaisir par le sentiment habituel que toutes les pensées d'un grand nombre d'hommes sont dirigées sur vous; que vous existez en présence de leur espoir; que chaque méditation de votre esprit peut influer sur beaucoup de destinées; que de grands événements se développent au dedans de vous, et commandent, au nom du peuple, qui compte sur vos lumières, la plus vive attention à vos propres pensées. Les acclamations de la foule remuent l'âme, et par les réflexions qu'elles font naître, et par les commotions qu'elles excitent: toutes ces formes animées, enfin, sous lesquelles la gloire se présente, doivent transporter la jeunesse d'espérance et l'enflammer d'émulation. Les routes qui conduisent à un si grand but sont remplies de charmes; les occupations que commande l'ardeur d'y parvenir sont elles-mêmes une jouissance; et, dans la carrière des succès, ce qu'il y a souvent de plus heureux, c'est la suite d'intérêts qui les précèdent et s'emparent activement de la vie. La gloire des écrits et celle des actions sont soumises à des combinaisons différentes; la première, empruntant quelque chose des plaisirs solitaires, peut participer à leurs bienfaits; mais ce n'est pas elle qui rend sensibles tous les signes de cette grande passion; ce n'est pas ce génie dominateur qui dans un instant sème, recueille et se couronne; dont - l'éloquence entraînante, ou le courage vainqueur décident instantanément du sort des siècles et des empires; ce n'est pas cette émotion toute-puissante dans ses effets, qui commande en inspirant une volonté pareille, et saisit dans le présent toutes les jouissances de l'avenir. Le génie des actions est dispensé d'at⚫ tendre la tardive justice que le temps traîne à sa suite; il fait - marcher sa gloire en avant comme la colonne enflammée qui jadis éclairait la marche des Israélites. La célébrité qu'on peut acquérir par les écrits est rarement contemporaine; mais alors même qu'on obtient cet heureux avantage, comme il n'y a rien d'instantané dans ses effets, d'ardent dans son éclat, une telle - carrière ne peut, comme la gloire active, donner le sentiment complet de sa force physique et morale, assurer l'exercice de toutes ses facultés, enivrer enfin par la certitude de la puissance -de son être. C'est done au plus haut point de bonheur que l'amour de la gloire puisse donner, qu'il faut s'attacher pour en mieux juger les obstacles et les malheurs.

La première des difficultés, dans tous les gouvernements où les distinctions héréditaires sont établies, c'est la réunion des circonstances qui donnent de l'éclat à la vie; les efforts que l'on fait pour sortir d'une situation obscure, pour jouer un rôle sans y être appelé, déplaisent à la plupart des hommes. Ceux que leur destinée approche des premières places, croient voir une preuve de mépris pour eux dans l'espérance que l'on conçoit de franchir l'espace qui en sépare, et de se mettre, par ses talents, au niveau de leur destinée. Les individus de la même classe que soi, qui se sont résignés à n'en pas sortir, attribuant bient plutôt cette résolution à leur sagesse qu'à leur médiocrité, appellent folie une conduite, différente, et sans juger la diversité des talents, se - croient faits pour les mêmes circonstances. Dans les monarchies aristocratiquement constituées, la multitude se plaît quelquefois, par un esprit dominateur, à relever celui que le hasard a délaissé; mais ce même esprit ne lui permet pas d'abandonner ses droits sur l'existence qu'elle a créée; le peuple regarde cette existence comme l'œuvre de ses mains; et si le sort, la superstition, la magie, une puissance, enfin, indépendante des hommes, n'entre pas dans la destinée de celui qui, dans un état monarchique, doit son élévation à l'opinion du peuple, il ne conservera pas longtemps une gloire que les suffrages seuls créent et récompensent, qui puise à la même source son existence et son éclat; le peuple ne soutiendra pas son ouvrage, et ne se prosternera pas devant une force dont il se sent le principal appui. Ceux qui, sous un tel ordre de choses, sont nés dans la classe privilégiée, ont à quelques égards beaucoup de données utiles; mais d'abord la chance des talents se resserre, et à proportion du nombre, et plus encore par l'espèce de négligence qu'inspi rent de certains avantages; mais quand le génie élève celui que les rangs de la monarchie avaient déjà séparé du reste de ses concitoyens, indépendamment des obstacles communs à tous, il en est qui sont personnels à cette situation. Des rivaux en plus petit nombre, des rivaux qui se croient vos égaux à plusieurs égards, se pressent davantage autour de vous, et lorsqu'on veut les écarter, rien n'est plus difficile que de savoir jusqu'à quel point il faut se livrer à la popularité, en jouissant de distinctions impopulaires. Il est presque impossible de connaître toujours avec certitude le degré d'empressement qu'il faut montrer à l'opinion générale: certaine de sa toute-puissance, elle en a la pudeur, et veut du respect sans flatterie; la reconnaissance lui plaît, mais elle se dégoûte de la servitude, et, rassasiée de souveraineté, elle aime le caractère indépendant et fier qui la fait douter un moment de son autorité, pour lui en renouveler la jouissance. Ces difficultés générales redoublent pour le noble, qui, dans une monarchie, veut obtenir une gloire véritable; s'il dédaigne la popularité, il est haï: un plébéien dans un état démocratique peut obtenir l'admiration en bravant la popularité; mais si un noble adopte une telle conduite dans un état monarchique, au lieu de se donner l'éclat du courage, il ne fera croire

« ZurückWeiter »