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adresse à Priam la plus sage, la plus tendre des consolations, et lui donne le repas de l'hospitalité. Priam, l'œil attaché sur Achille, ne cesse point d'admirer son air noble, sa taille majestueuse qui le rendait semblable aux immortels. Le héros contemple le fils de Dardanus avec la même surprise; charmé de la douceur vénérable de son front, il prête l'oreille aux discours pleins de sagesse du vieillard. Cette grande scène, cette savante peinture du cœur humain, se terminent par la promesse d'Achille au vieux monarque de l'Asie, de lui accorder tout le temps nécessaire aux funérailles d'Hector, et de suspendre pendant douze jours la reprise des hostilités entre les deux peuples.

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Hector a cessé de vivre, Achille a déposé sa colère Troie touche à sa ruine inévitable, l'action est arrivée au dénouement, et le drame est fini. La peinture de la ruine d'llion nous rappelle encore un sacrifice offert par le génie sur l'autel de la raison. Pour admettre ce magnifique épisode dans le poème, il faudrait peindre le trépas d'Achille; il faudrait montrer le superbe vainqueur d'Hector caché dans l'ombre d'un tombeau comme sa victime. Grâce à une combinaison de génie, Homère laisse devant nos yeux Achille dans l'éclat de sa gloire, et debout en face de Troie, veuve du grand Hector.

Si cette rapide analyse est encore insuffisante pour prouver ou l'attention d'Homère à renfermer l'Iliade dans les bornes du sujet, ou son habileté à tracer et à soutenir des caractères en les opposant les uns aux autres dans le mouvement des passions, peut-être

trouvera-t-on plus loin des réflexions qui acheveront d'établir la supériorité d'Homère dans ces deux grandes parties de la composition épique.

La nature a fait Homère; Homère et la nature ont fait Virgile: élevé dans le culte de ce grand poëte, nourri de la sève de son génie, rempli d'admiration pour ses chefs-d'œuvre qu'il avait étudiés dans Athènes, le sanctuaire des Muses, il s'était senti tourmenté de bonne heure de ce besoin d'imitation qui tient à l'amour de la gloire, à la puissance des grandes impressions, à la faculté de les conserver dans son âme, à l'art de les féconder par le talent, et à la conscience intime et secrète de quelques supériorités particulières qui manquent au modèle. Les églogues et les géorgiques portent également la vive empreinte des souvenirs de la guerre civile; mais à l'époque où l'Eneide fut conçue, la paix régnait partout, et Rome commandait à l'univers. Au comble de la gloire, elle avait cueilli les palmes de l'éloquence: celles de l'épopée lui manquaient encore. Virgile vit éclater la secrète jalousie de son siècle; il entendit Tucca, Pollion, Varius, Mécène, et Auguste lui-même, demander un rival d'Homère, comme on avait un rival de Démosthène; il fut saisi du désir de devenir l'Homère des latins en donnant un poëme national aux vainqueurs de la Grèce. Un jour cette noble émulation, qui ne le quittait plus, excite, enflamme son enthousiasme, et le jette dans une longue suite de réflexions, entre lesquelles il s'arrête enfin à quelques idées principales.

Quel est le fondement du plus grand des deux poëmes d'Homère? La ruine de l'empire d'Asie détruit par la juste vengeance de la Grèce, ardente à punir un attentat contre l'hymen et l'hospitalité? Cependant Troie n'a pas péri tout entière. On dit que nous descendons des débris de son peuple venu en Italie avec ses dieux. Relevons Ilion de ses cendres; faisons le renaître sous de meilleurs auspices. Rattachons à l'antiquité de Troie la naissance de la race de Romulus et la fondation de la ville éternelle; aussi bien le respect des Romains pour la patrie d'Hector, qu'ils regardent comme leur berceau, fait partie de la religion des Romains. Mais le héros de mon poëme? La tradition parle et m'autorise. Enée a conduit nos ancêtres et bâti une nouvelle Troie dans le Latium; je choisirai le fils d'Anchise; il a long-temps erré sur la terre et sur les mers; je pourrai lui donner les adversités, la patience d'Ulysse ; il sera le héros du malheur pour mériter de devenir le favori des dieux. Ainsi mon poëme s'embellira d'abord des fictions de l'Odyssée ; mais il faut plus qu'Ulysse pour remplir une autre Iliade; le descendant de Vénus a-t-il assez de grandeur et de renommée pour présider à une action épique. Quel rôle joue cet allié du vieux monarque de l'Asie? Quel appui prête-t-il au peuple troyen? Interrogeons Homère et les autres poëtes ses successeurs.

Fils d'Anchise et de Vénus, élevé par des nymphes, ami et compagnon de Pâris à la cour de Ménélas ',

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Enée devait commander un jour au peuple troyen. Son père régnait à Dardanie, cité voisine de Troie; un traité unissait les deux princes avec Priam; ils étaient accourus pour le secourir contre les Grecs. Enée paraît d'abord avec ses guerriers à côté d'Hector qui commande l'armée troyenne'. Dans le cours de l'action, on le voit courir au devant de Diomède pour venger Pandarus, immolé par le fils de Tydée; audace inutile! la victoire ne couronne pas ses efforts; Vénus le soustrait à une mort inévitable. Cependant le ciel honore la piété d'Enée: Diane et Latone guérissent ses blessures; il revient au combat avec fureur, renverse plusieurs Grecs, et, quoique intrépide, il cède à la nécessité en reculant devant Ménélas et Antiloque. Le dieu Mars lui-même rend un éclatant hommage au prince troyen! « Un guerrier, dit-il, que nous honorions autant que le grand Hector, Enée, fils du magnanime Anchise, ́est étendu dans la poussière; hâtons-nous de retirer de la mêlée ce valeureux compagnon de nos exploits 2. » Plus loin, le devin Hélénus s'adresse à son frère Hector et au fils d'Anchise, comme aux deux sauveurs d'Ilion 3. Docile aux avis ou aux ordres d'Hélénus, Hector entre dans Troie pour engager sa mère à présenter une offrande à Minerve, mais il laisse Enée à la tête des troupes, sans doute parce que sa confiance se

Iliade, chant 11.
Iliade, chant v.

3 Iliade, livre vi.

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repose avec sécurité sur un guerrier digne de commander après lui '. Pendant cinq chants, nous n'entendons plus parler d'Enée; il reparaît enfin lorsque le fils de Priam s'apprête à foudroyer les Grecs qui s'avancent contre lui'. Le poëte ne nomme point le prince de Dardanie pendant le cours de l'action; mais dans l'attaque furieuse des Troyens contre le rempart qui défend l'armée des Grecs, nous revoyons Enée auprès d'Hector; il est dans la mêlée principibus permixtus Achivis 3. Plus loin, Enée irrité contre Priam qui ne l'honorait point assez, restait oisif derrière l'armée averti du danger de l'époux de sa sœur, il s'élance contre les Grecs; sa seule présence fait trembler Idoménée. Ce prince, déjà fatigué par l'âge, appelle ses amis pour soutenir l'attaque impétueuse d'un guerrier plus jeune que lui, et qui se signale par de nombreux exploits 4. Enée est de nouveau absent du théâtre de la guerre : des reproches divins l'y ramènent pour justifier l'attente et seconder la fureur d'Hector. Dans l'horrible tumulte qui s'élève autour du corps de Patrocle, il contribue au triomphe des Troyens. Enée nous apparaît une dernière fois; un combat terrible s'apprête entre Achille et lui, mais l'issue du grand appareil déployé par le poëte, est une nouvelle défaite du prince

Iliade, chant vi.

a Iliade, chant XI. 3 Iliade, chant XII. 4 Iliade, chant XII.

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