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et Mars combattent avec fureur; Achille seul paraît plus terrible que les immortels. L'armée troyenne recule en désordre devant le héros; Ilion, son monarque et son peuple tremblent devant lui. La dernière heure des Phrygiens serait arrivée, si Apollon ne venait les secourir. Malgré l'épouvante générale, malgré les avis de Priam et les larmes d'Hécube, Hector veut rester hors des murs; il veut vaincre ou mourir. Achille survient; à la démarche formidable du vainqueur, à la flamme des éclairs que lancent les armes divines, Hector, troublé comme si quelque divinité funeste paraissait à ses regards, éprouve une terreur subite et jusqu'alors inconnue à son âme : il recule, il abandonne les portes; il fuit même. Toutefois c'est le brave qui cède un moment à l'ascendant d'un plus brave encore nous le verrons s'arrêter pour combattre, et sans doute une lutte terrible va s'élever entre les deux rivaux. Déjà Hector a évité la lance terrible de son rival; déjà il fait voler avec force contre lui un trait rapide et sûr. Cependant, déçu dans son attente, il demande un javelot à Déiphobe son frère ; mais Pallas, cachée sous les traits de ce guerrier, a trompé Hector. Seul et sans secours, il se sent abandonné par les dieux; il ne voit autour de lui que la mort et Achille semblable à l'un de ces géants de gloire et de génie devant lesquels la terre garde le silence de l'effroi. Tant de sinistres présages n'accablent pas le courage d'Hector; presque sous la main des cruelles destinées, il tente un généreux effort, et rêve encore les récompenses de la gloire en levant avec violence

son épée contre Achille. Il n'y a qu'un moment, le fils de Thétis était près de périr dans les eaux du Xanthe comme un pâtre obscur; maintenant, voilà le fils de Priam en face d'Achille, comme nous verrons son père sous le glaive de Pyrrhus! Tels sont les hasards de ce grand jeu de la fortune qu'on appelle la guerre! Ainsi les plus grandes destinées peuvent aboutir tout à coup à une fin misérable! Achille triomphe; Hector tombe: victime offerte à Patrocle, c'est Patrocle qui le tue par la main d'Achille. Achille immolant Hector presque sans défense, insultant à un noble rival, refusant la sépulture à un guerrier vaillant et religieux qu'il honorait, outrageant le cadavre sacré d'un héros, est l'Oreste de l'amitié.

Le fils de Thétis, tout couvert des ses armes, revient avec ses chers Thessaliens honorer les mânes de Patrocle et lui présenter les dépouilles d'Hector; on l'entraîne au festin des rois; mais s'il y assiste par déférence, il ne veut pas essuyer le sang et la poussière du combat avant d'avoir déposé son ami dans la tombe. La nuit vient: Achille étendu sur la terre, au bord des ondes qui baignent le rivage, mêle ses gémissements à ceux de ses guerriers. Rien de plus touchant que sa tristesse en rendant les honneurs suprêmes à son ami; de plus tendre que les dernières paroles qu'il prononce sur la victime. « Renfermons, dit-il, ces restes précieux dans une urne d'or jusqu'à ce que je sois caché moi-même aux royaumes sombres; je ne veux point aujourd'hui un grand tombeau pour Patrocle; une médiocre sépulture doit lui suffire. Vous, qui me survi

vrez, Grecs belliqueux, élevez un vaste monument lorsque vous me laisserez ici, en désertant ce rivage avec vos vaisseaux. » Est-ce donc là le cruel vainqueur d'Hector? Oui, c'est lui! Et voilà l'homme, assemblage inconcevable de barbarie et de pitié, de vengeance et de tendresse, de délire et de raison!

Un dernier tribut attend l'ombre de Patrocle; les jeux funèbres vont s'ouvrir. La douleur d'Achille domine sur cette grande cérémonie expiatoire, et se trahit à tout moment par des accents du cœur. Achille ne veut point combattre puisqu'il a perdu Patrocle; ses coursiers, autrefois nourris par un maître si doux, ont aussi trop de tristesse pour entrer dans la lice : image naïve et touchante que Racine a trop pompeusementimitée dans Phèdre. Mais désormais plus maître de sa douleur, Achille se montre avec toute la générosité de son caractère, avec toutes les grâces de la jeunesse, et cet amour de la justice qui en est le naïf caractère, et ce respect pour les cheveux blancs qui l'inspire comme un instinct vertueux; il sourit à l'emportement d'Antiloque dans lequel il se reconnaît luimême; il console Eumèle par un présent, honore la sagesse de Nestor en lui offrant une coupe en mémoire de Patrocle que les Grecs ne reverront plus au milieu d'eux; il écoute, avec une sage complaisance, les louanges que le vieillard se donne avec trop de complaisance; sa sagesse ménage l'orgueil d'Ulysse et de Diomède en distribuant les mêmes éloges et les mêmes. prix aux deux guerriers, comme à deux rivaux dignes d'une égale récompense. Enfin, par un dernier trait

qui prouve combien son cœur est changé, il paie, avec une rare convenance, un tribut d'égards et de respect au rang et à la personne du roi des rois dernier coup de pinceau qui sert à nous rappeler que la réconciliation d'un cœur généreux ressemble au pardon de la divinité.

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Cette opposition avec les scènes précédentes est de la plus rare beauté; en retenant quelque chose de la hauteur de l'Iliade, elle émeut comme ces naïves peintures de l'Odyssée qui ont tant de charme pour les âmes tendres et simples.

Le héros est toujours occupé de son cher Patrocle: dans sa tristesse, il ne peut goûter les douceurs du sommeil; ses nuits s'écoulent dans une veille inquiète et douloureuse. Enfin il se lève, et, troublé par la douleur, porte ses pas errans le long des bords de la mer; c'est là qu'il voit toujours les premiers rayons de l'aurore s'élevant sur les flots. Bientôt un nouveau transport de fureur le saisit; il traîne indignement le corps d'Hector autour du tombeau de Patrocle. On est fâché de ce retour de férocité, mais il sert du moins à faire éclater de nouveau la pitié des dieux : ils avaient empêché le corps d'Hector d'être défiguré par la vengeance de son vainqueur; maintenant, le maître suprême de l'Olympe, après avoir loué la valeur et la piété du défenseur des Troyens, charge Thétis du soin de disposer Achille à rendre au vieux Priam le corps de son fils; Achille cède sans murmurer à la voix d'une mère et à l'ordre des dieux.

Dans la scène sublime entre Priam et lui, on

ne sait ce qu'on doit admirer le plus du père ou du heros. Les paroles du premier font tressaillir les entrailles; les paroles du second, après les pleurs que les deux rois ont versés, l'un sur Hector, l'autre sur Patrocle, respirent une philosophie courageuse, une étonnante pitié du malheur, cette mélancolie particulière à la jeunesse frappée du pressentiment de sa fin prochaine, et ce courage d'une âme forte qui ne sait pas pleurer un bien d'une aussi courte durée que la vie. Priam redemande avec les plus vives instances les restes d'Hector; à ce nom, Achille reprend un air sévère et menaçant; il rend toutefois la dépouille sacrée. Lui-même appelant ses captives, leur ordonne de laver le corps du Troyen, de le parfumer d'essences: par ses avis encore, elles ont soin d'éloigner ce spectacle des yeux de Priam, de peur qu'à l'aspect de son fils la douleur réveillée n'enflamme le courroux du vieillard et ne l'expose à la fureur d'Achille, qui pourrait immoler le père d'Hector et violer les décrets de Jupiter. Après que les captives ont exécuté ces ordres, et jeté sur Hector un manteau avec une riche tunique, Achille, le soulevant lui-même, le dépose sur un lit funèbre que ses compagnons placent sur un chariot brillant. A cette vue il pousse un profond soupir, et, appelant par son nom le guerrier qu'il avait tant aimé : « Ne t'irrite pas contre moi, Patrocle, en apprenant chez les morts que j'ai rendu le corps du noble Hector à son père; il m'a offert des dons qui ne sont pas indignes de nous, et je veux t'en offrir ta juste part. >>

Après ces paroles, Achille rentre dans sa tente; il

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