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Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées

1

Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées,
Pourvu qu'ils sachent plaire au plus puissant des rois,
Qu'à Chantilly Condé les souffre quelquefois; 1
Qu'Enghien en soit touché; que Colbert et Vivonne,2
Que la Rochefoucauld, Marsillac et Pomponne,3
Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer,
A leur traits délicats se laissent pénétrer?

Et plût au ciel encor, pour couronner l'ouvrage, 100 Que Montausier voulût leur donner son suffrage!

premier aumônier de Madame, duchesse d'Orléans, reçu le 10 de mai 1651 à l'Académie française; né à Paris ou à la Rochelle en 1620, mort le 6 de mai 1693. Indépendamment des Vies des hommes illustres de Plutarque, il a traduit l'Histoire de la Republique de Venise, de Nani. C'est le frère de Gédéon Tallemant des Réaux, l'auteur des Historiettes, et le cousin de l'abbé Paul Tallemant, aussi de l'Académie française. (M. CHÉRON.)

1. Louis II de Bourbon, prince de Condé, surnommé le Grand Condé, né en 1621, mort en 1686. Il passa le commencement et la fin de sa vie dans son château de Chantilly. Son fils, Henri-Jules de Bourbon, né en 1643, mort en 1709, porta, jusqu'à la mort de son père, le titre de duc d'Enghien. (M. CHÉRON.)

2. Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, ministre et secrétaire d'État, commandeur et grand trésorier des ordres du roi, contròleur général des finances, surintendant des bâtiments, arts et manufactures de France, né à Paris le 21 d'août 1619, mort à Paris le 6 de septembre 1683. Pour Vivonne, voir épître IV. (M. CHÉRON.)

3. François VI, duc de la Rochefoucauld, chevalier des ordres du roi et gouverneur du Poitou, né le 15 de décembre 1613, mort à Paris le 17 de mars 1680; c'est l'auteur des Maximes. Son fils, François VII, grand veneur de France, grand maître de la garde-robe du roi et chevalier de ses ordres, né le 15 de juin 1634, mort le 12 de janvier 1714; il porta, jusqu'à la mort de son père, le titre de prince de Marcillac. — Simon Arnauld, marquis de Pomponne, fils de Robert Arnauld d'Andilly et petit-fils d'Antoine Arnauld, né en 1618, mort à Fontainebleau le 26 de septembre 1699. Il fut successivement ambassadeur en Suède, secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères et ministre d'État. (M. CHÉRON.)

4. A la suite de la publication de cette épître, Montausier se réconcilia avec Boileau. Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier, pair de France, etc.,

C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits: Mais pour un tas grossier de frivoles esprits, Admirateurs zélés de toute œuvre insipide,

1

Que, non loin de la place où Brioché 1 préside, 5 Sans chercher dans les vers ni cadence ni son, Il s'en aille admirer le savoir de Pradon! 2

et mari de Julie d'Angennes, demoiselle de Rambouillet, né en 1610, mort le 17 de mai 1690. (M. CHÉRON.)

Cf. HORACE, livre I, satire X, v. 79-92:

Men' moveat cimex Pantilius? aut crucier, quod
Vellicet absentem Demetrius, aut quod ineptus
Fannius Hermogenis lædat conviva Tigelli?
Plautius et Varius, Mecænas, Virgiliusque,
Valgius, et probet hæc Octavius optimus, atque
Fuscus; et hæc utinam Viscorum laudet uterque!
Ambitione relegata, te dicere possum,
Pollio; te, Messala, tuo cum fratre; simulque
Vos, Bibule et Servi, simul his te, candide Furni;
Complures alios, doctos ego quos et amicos

Prudens prætereo; quibus hæc, sint qualiacum.que,
Arridere velim: doliturus si placeant spe

Deterius nostra. Demetri, teque, Tigelli,

Discipularum inter jubeo plorare cathedras.

1. Fameux joueur de marionnettes, logé proche des comédiens. (BoiLEAU, 1713.) Jean Brioché demeurait près du Pont-Neuf, au bout de la rue Guénégaud; le théâtre où fut jouée la Phèdre de Pradon était vis-à-vis l'autre extrémité, rue Mazarine. (BROSSETTE.)

2. Un jour, au sortir d'une des tragédies de Pradon, M. le prince de Conti, l'aîné, lui dit qu'il avait mis en Europe une ville d'Asie. « Je prie Votre Altesse de m'excuser, répondit Pradon, car je ne sais pas très-bien la chronologie. »>

« Il faudrait relire ici en entier l'Épître à Racine après Phèdre (1677), qui est le triomphe le plus magnifique et le plus inaltéré de ce sentiment de justice, chef-d'œuvre de la poésie critique, où elle sait être tour à tour et à la fois étincelante, échauffante, harmonieuse, attendrissante et fraternelle. Il faut surtout relire ces beaux vers au sujet de la mort de Molière sur lesquels a dû tomber une larme vengeresse, une larme de Boileau. Et quand il fait, à la fin de cette épître, un retour sur lui-même et sur ses ennemis Et qu'importe, etc., etc., quelle largeur de ton, et, sans une seule image, par la seule combinaison des syllabes, quelle majesté! - Et dans ces noms qui suivent, et qui ne semblent d'abord qu'une simple énumération, quel choix, quelle gradation sentie, quelle plénitude poétique! Le roi d'abord à part et seul dans un vers; Condé de même, qui le méritait

bien par son sang royal, par son génie, sa gloire et son goût fin de l'esprit; Enghien, son fils, a un demi-vers; puis vient l'élite des juges du premier rang, tous ces noms qui, convenablement prononcés, forment un vers si plein et si riche, comme certains vers antiques. Mais dans le nom de Montausier, qui vient le dernier à titre d'espoir et de vou, la malice avec un coin de grâce reparaît. Ce sont là de ces tours délicats de flatterie, comme en avait Boileau; ce satirique, qui savait si bien piquer au vif, est le même qui a pu dire:

La louange agréable est l'âme des beaux vers.

Nous atteignons, par cette Épître à Racine, au comble de la gloire et du rôle de Boileau. Il s'y montre en son haut rang, au centre du groupe des illustres poëtes du siècle, calme, équitable, certain, puissamment établi dans son genre qu'il a graduellement élargi, n'enviant celui de personne, distribuant sobrement la sentence, classant même ceux qui sont au-dessus de lui... His dantem jura Catonem; le maitre du chœur, comme dit Montaigne; un de ces hommes à qui est déférée l'autorité et dont chaque mot porte.» (SAINTE-BEUVE, Causeries du Lundi, t. VI, p. 411.)

ÉPITRE VIII.'

AU ROI.

Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire.
Tu sais bien que mon style est né pour la satire;
Mais mon esprit, contraint de la désavouer,

Sous ton règne étonnant ne veut plus que louer.
Tantôt, dans les ardeurs de ce zèle incommode,"
Je songe à mesurer les syllabes d'une ode;
Tantôt d'une Énéide auteur ambitieux,

Je m'en forme déjà le plan audacieux :
Ainsi, toujours flatté d'une douce manie,
10 Je sens de jour en jour dépérir mon génie;

Et mes vers en ce style, ennuyeux, sans appas,

1. Pour remercier le roi de la pension qu'il lui avait donnée, Boileau avait composé cette épître en 1675, elle ne parut que dans les derniers mois de 1677. La fin de l'année 1675 avait été marquée par des revers : Turenne était mort emporté par un coup de canon et les troupes avaient été obligées de repasser le Rhin et de revenir en Alsace. Le maréchal de Créqui avait perdu la bataille de la Taverne, il s'était refugié dans la ville de Trèves, et cette ville ayant capitulé malgré lui, il avait été fait prisonnier. Ces échecs auraient rendu ridicule le premier vers de cette épître; Boileau en retarda la publication; la campagne suivante, marquée par de brillants succès, lui permit de renoncer au changement qu'il avait imaginé :

Grand roi, sois moins louable, ou je cesse d'écrire.

2. Ardeurs, désir impétueux.

Tout ce que peut le monde offrir à mes ardeurs

De mérites, d'appas, de biens et de grandeurs.

(CORNEILLE, la Suiv., acte IV, scène vi.)

« J'avois toutes les ardeurs du monde d'entrer dans votre alliance. » (MOLIÈRE, Pourceaugnac, acte III, scène Ix.)

Déshonorent ma plume, et ne t'honorent pas.

Encor si ta valeur, à tout vaincre obstinée, Nous laissoit, pour le moins, respirer une année, 15 Peut-être mon esprit, prompt à ressusciter,

1

Du temps qu'il a perdu sauroit se racquitter. '
Sur ses nombreux défauts, merveilleux à décrire,
Le siècle m'offre encor plus d'un bon mot à dire.2
Mais à peine Dinant et Limbourg sont forcés,
20 Qu'il faut chanter Bouchain et Condé terrassés. 3
Ton courage, affamé de péril et de gloire,
Court d'exploits en exploits, de victoire en victoire.
Souvent ce qu'un seul jour te voit exécuter
Nous laisse pour un an d'actions à compter.

25

4

Que si quelquefois, las de forcer des murailles,
Le soin de tes sujets te rappelle à Versailles,
Tu viens m'embarrasser de mille autres vertus :
Te voyant de plus près, je t'admire encor plus.

5

1. Expression prosaïque et sans dignité.

2. De 1683 à 1701, au lieu des vers 17 et 18, il y

avait :

Le Parnasse françois, non exempt de tous crimes,

Offre encore à mes vers des sujets et des rimes.

On fit remarquer à Boileau que le premier de ces vers étoit dur, et que c'étoit d'ailleurs trop borner la satire, que de la réduire à la censure des mauvais auteurs. Il fit plus de quarante vers avant de trouver les deux vers du texte. (Bolæana.)

3. Dinant et Limbourg furent pris en 1675. Louis XIV en personne prit Condé le 26 d'avril 1676, et Monsieur prit Bouchain le 11 de mai de la même année. (M. CHERON.)

Il y avait d'abord :

Mais à peine Salins et Dôle sont forcés,

Qu'il faut chanter Bouchain et Condé terrassés.

4.

Ce cœur nourri de sang et de guerre affamé.

(RACINE, Mithrid., II, III,

1673.)

5. Est-ce avec intention que Boileau a rendu si pénible le début de ce

vers?

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