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Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil;

En vain, malgré les vents, aux bords de l'Hespérie,

Énée enfin porta ses dieux et sa patrie :

Sans le secours des vers, leurs noms tant publiés
Seroient depuis mille ans avec eux oubliés. 1

Non, à quelques hauts faits que ton destin t'appelle,
Sans le secours soigneux d'une muse fidèle,
Pour t'immortaliser tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit ouvre-lui tes trésors.
En poëtes fameux rends nos climats fertiles:
Un Auguste aisément peut faire des Virgiles.
Que d'illustres témoins de ta vaste bonté
Vont pour toi déposer à la postérité!

2

Pour moi qui, sur ton nom déjà brûlant d'écrire,
Sens au bout de ma plume expirer la satire,
Je n'ose de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois, si quelqu'un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,
Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage;
Et comme tes exploits, étonnant les lecteurs,

1. J.-B. Rousseau, dans son ode au prince Eugène (liv. II, ode II), a dit de même :

Mais combien de grands noms, couverts d'ombres funèbres,
Sans les écrits divins qui les rendent célèbres,

Dans l'éternel oubli languiroient inconnus !

Non, non, sans le secours des Filles de Mémoire
Vous vous flattez en vain, partisans de la gloire,
D'assurer à vos noms un heureux souvenir :
Si la main des neuf sœurs ne pare vos trophées,
Vos vertus étouffées

N'éclaireront jamais les yeux de l'avenir.

Voir aussi Horace, liv. IV, ode VIII.

2.

Sint Mecænates, non deerunt, Flacce, Marones.
Virgiliumque tibi vel tua rura dabunt.

(MARTIAL, 1. VIII, épigr. LV.)

Seront à peine crus sur la foi des auteurs,

15 Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,

On dira quelque jour, pour les rendre croyables :
Boileau, qui, dans ses vers pleins de sincérité,
Jadis à tout son siècle a dit la vérité,

Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,
A pourtant de ce roi parlé comme l'histoire. *

1

1. Voici comment Pradon appréciait ce passage: « Il semble que Boileau fait un grand effort pour louer le roi et qu'il lui a fait grâce en ne le déchirant pas... Son 186 vers est surtout fort insolent: On dira quelque jour. »

2. Boileau lut à Louis XIV les quarante derniers vers de cette épître la première fois qu'il lui fut présenté : « Voilà qui est très-beau, dit le prince, cela est admirable. Je vous louerois davantage si vous ne m'aviez pas tant loué. Le public donnera à vos ouvrages les éloges qu'ils méritent; mais ce n'est pas assez pour moi de vous louer. Je vous donne une pension de deux mille livres; j'ordonnerai à Colbert de vous la payer d'avance, et je vous accorde le privilége pour l'impression de tous vos ouvrages. »

ÉPITRE II.1

A M. L'ABBÉ DES ROCHES. 2

A quoi bon réveiller mes muses endormies
Pour tracer aux auteurs des règles ennemies? 3
Penses-tu qu'aucun d'eux veuille subir mes lois,
Ni suivre une raison qui parle par ma voix?
50 le plaisant docteur, qui, sur les pas d'Horace,
Vient prêcher, diront-ils, la réforme au Parnasse!
Nos écrits sont mauvais; les siens valent-ils mieux ?
J'entends déjà d'ici Linière furieux

5

4

Qui m'appelle au combat sans prendre un plus long terme. 10 De l'encre, du papier! dit-il ; qu'on nous enferme!"

1. Composée en 1669, pour y intercaler l'apologue de l'huître, publiée en 1672. Voir l'Avertissement de l'épître I.

2. Jean-François - Armand Fumée Des Roches descendait d'Armand Fumée, premier médecin de Charles VII; il mourut en 1711, âgé d'environ soixante-quinze ans. C'est à lui que Gabriel Guéret a dédié son Parnasse réformé.

3. Boileau travaillait déjà à son Art poétique.

4. Voir l'épitre I, v. 21.

5. Voir la satire IX; depuis la composition de cette satire, Linière avait fait une critique offensante de l'épître IV, écrite avant celle-ci.

6.

Crispinus minimo me provocat : Accipe, si vis,
Accipe jam tabulas; detur nobis locus, hora,
Custodes; videamus uter plus scribere possit.

(HORACE, 1. I, sat. IV, v. 14-16.)

Molière, les Femmes scvantes, acte III, scène v.

VADIUS.

Je te défie en vers, prose, grec et latin.
TRISSOTIN. Eh bien, nous nous verrons seul à seul chez Barbin.

Voyons qui de nous deux, plus aisé dans ses vers,
Aura plus tôt rempli la page et le revers.

Moi donc, qui suis peu fait à ce genre d'escrime,

Je le laisse tout seul verser rime sur rime,

15 Et, souvent de dépit contre moi s'exerçant,

Punir de mes défauts le papier innocent.

1

Mais toi, qui ne crains point qu'un rimeur te noircisse,
Que fais-tu cependant seul en ton bénéfice? 1
Attends-tu qu'un fermier, payant, quoiqu'un peu tard,
De ton bien pour le moins daigne te faire part?
Vas-tu, grand défenseur des droits de ton église,
De tes moines mutins réprimer l'entreprise? 2
Crois-moi, dût Auzanet t'assurer du succès, 3
Abbé, n'entreprends point même un juste procès.
N'imite point ces fous dont la sotte avarice
Va de ses revenus engraisser la justice;

Qui, toujours assignants, et toujours assignés,

1. Bénéfice, charge spirituelle accompagnée d'un certain revenu que l'église donnait à un homme qui était tonsuré ou dans les ordres, afin de servir Dieu et l'Église. Les évêchés, cures, chanoinies, chapelles, étaient les divers genres de bénéfices.

2. Des Roches avait dans le Midi deux ou trois abbayes commandataires assez considérables (d'environ 30,000 fr. de rentes). Cela sert à nous expliquer: 1o le sens de ces vers et de quelques-uns des suivants; car les droits assez obscurs de ces abbés amphibies donnaient souvent lieu à des différends avec leurs moines; 2° pourquoi Boileau lui dédia cette épître contre la chicane. B. S. P.

3. Fameux avocat au parlement de Paris. (BOILEAU, 1713.) — Barthélemy Auzanet, conseiller d'État, mort à Paris le 17 avril 1673, âgé de quatrevingt-deux ans. On a de lui: Mémoires, réflexions et arrêts sur les questions les plus importantes de droit et de coutume. Paris, N. Gosselin, 1708, in-folio. Voy. le Journal des Savants de 1708, p. 86.

4. On mettrait aujourd'hui assignant, mais on sait quel était l'usage, au XVIIe siècle, sur le participe présent; il était variable et prenait la marque du pluriel. Voir dans Rabelais ce que dit Bridoye des procès et de l'art de les laisser mûrir, et d'épuiser les parties. (Pantagruel, 1. III, ch. XLI.)

Souvent demeurent gueux de vingt procès gagnés.
Soutenons bien nos droits sot est celui qui donne.
C'est ainsi devers Caen que tout Normand raisonne. 1
Ce sont là les leçons dont un père manceau 2
Instruit son fils novice au sortir du berceau.
Mais pour toi, qui, nourri bien en deçà de l'Oise,
As sucé la vertu picarde et champenoise,
35 Non, non, tu n'iras point, ardent bénéficier,
Faire enrouer pour toi Corbin ni Le Mazier. 3
Toutefois, si jamais quelque ardeur bilieuse
Allumoit dans ton cœur l'humeur litigieuse,
Consulte-moi d'abord, et, pour la réprimer,
40 Retiens bien la leçon que je te vais rimer.

Un jour, dit un auteur, n'importe en quel chapitre,
Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une huître.
Tous deux la contestoient, lorsque dans leur chemin

1. Un Normand qui sera de Caen même, dira toujours: Je suis devers Caen, et ne dira pas: Je suis de Caen. (SAINT-MARC.) Devers, dans le sens de du côté de, était d'un usage général. Régnier, sat. X :

L'autre, se relevant, devers nous vint se rendre.

Molière (Georges Dandin) : « Tourne un peu ton visage devers moi. »
La Fontaine, fable XI, p. 14:

Pour s'enfuir devers sa tanière.

Hamilton, Gramont, 10: « Ne tournez point tant la tête devers eux. »
Voltaire Pauvre Diable,

Plus que jamais confus, humilié,
Devers Paris je m'en revins à pié.

2. On disait proverbialement : « Un Manceau vaut un Normand et demi. »Voir les Plaideurs de Racine.

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3. Deux autres avocats. (BOILEAU, 1713.) Jacques Corbin était fils d'un auteur dont Boileau parle dans l'Art poétique. Le Mazier a déjà été nommé dans la satire I.

4. M. Despréaux avait appris cette fable de son père, auquel il l'avait oui conter dans sa jeunesse; elle est tirée d'une ancienne comédie italienne. (BROSSette.)

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