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qu'il fallait que chacun retournât chez soi; que les réunions devaient cesser dans le moment d'une crise aussi affreuse. Il avait fait avancer une chaise pour ma mère; elle me plaça sur ses genoux. Nous demeurions dans l'avenue de Paris, et tous le temps de notre course, j'entendais sur les trottoirs de cette avenue, des pleurs, des sanglots. Enfin, je vis arrêter un homme : c'était un huissier de la chambre du roi, qui était devenu fou et qui criait: « Oui, je les connais, ces gueux, ces scélé>> rats!» Notre chaise fut arrêtée dans cette mêlée: ma mère connaissait l'homme désolé que l'on venait de saisir; elle le nomma au cavalier de maréchaussée qui l'arrêtait. On se contenta de conduire ce fidèle serviteur à l'hôtel des gendarmes, qui était alors dans l'avenue. Dans les temps de calamités ou d'événemens publics, les moindres imprudences sont funestes. Quand le peuple prend part à une opinion ou à un fait, il faut craindre de le heurter et même de l'inquiéter. Les délations ne sont plus alors le résultat d'une police organisée, et les châtimens n'appartiennent plus à l'impartialité de la justice. A l'époque dont je parle, l'amour pour le souverain était une religion; et cet événement de l'assassinat de Louis XV amena une foule d'arrestations non motivées (1). M. de La Serre, alors gouver

(1) Louis XV était encore aimé à cette époque. Soulavie qui ́ a composé des Mémoires sur la cour de France, pendant la

neur des Invalides, sa femme, sa fille et une partie de ses gens, furent arrêtés, parce que mademoiselle de La Serre, venue le jour même de son couvent, pour passer le temps de la fête des rois en famille, dit, dans le salon de son père, quand on apporta cette nouvelle de Versailles : « Cela n'est pas sur>> prenant, j'ai entendu dire à la mère N... que cela » ne pouvait manquer, parce que le roi n'aimait » pas assez la religion. » La mère N..., le directeur et plusieurs religieuses de ce couvent furent interrogés par le lieutenant de police. Une malveillance, entretenue dans le public par les partisans de Port-Royal et par les adeptes de la nouvelle secte des philosophes, ne cachait pas les soupçons qu'ils faisaient tomber sur les jésuites; et bien certainement, quoiqu'il n'y eût pas la moindre preuve contre cet ordre, l'événement de l'assassinat du roi servit le parti qui, peu d'années après, obtint

faveur de madame de Pompadour, a placé dans cet ouvrage une notice qui lui avait été communiquée sur l'assassinat du roi. Les détails qu'elle contient s'accordent avec ceux que donne ici madame Campan sur la consternation dont les esprits étaient frappés.

A l'extrait de cette notice seront joints, dans les éclaircissemens, lettre (B), des faits curieux, racontés par madame du Hausset, sur la disgrâce momentanée de madame de Pompadour après l'assassinat de Louis XV, sur le rétablissement du roi et le triomphe de la favorite.

(Note de l'édit.)

la destruction de la compagnie de Jésus. Ce scélérat de Damiens se vengea de beaucoup de gens qu'il avait servis dans diverses provinces, en les faisant arrêter; et, quand ils lui étaient confrontés, il disait aux uns : « C'est pour me venger de vos mé» chancetés que je vous ai fait cette peur. » A quelques femmes, il dit : « Que, dans sa prison, il » s'était amusé de l'effroi qu'elles auraient. » Ce monstre avoua qu'il avait fait périr le vertueux La Bourdonnaye en lui donnant un lavement d'eau-forte. Il avait encore commis d'autres crimes. On prend trop aisément des gens à son service: de semblables exemples prouvent qu'on ne saurait mettre trop de précautions aux renseignemens nécessaires avant d'ouvrir l'intérieur de sa maison à des étrangers (1).

J'AI entendu plusieurs fois M. de Landsmath, écuyer, commandant de la Vénerie, qui venait souvent chez mon père, dire qu'au bruit de la

(1) Quelque temps après son assassinat, Louis XV cut, dans ses appartemens, une aventure que madame du Hausset raconte ainsi :

« Le roi entra un jour chez Madame, qui finissait de s'habiller : j'étais seule avec elle. « Il vient de m'arriver une singulière » chose, dit-il; croiriez-vous qu'en rentrant dans ma chambre » à coucher, sortant de ma garde-robe, j'ai trouvé un monsieur » face à face de moi? — Ah, Dieu! Sire, dit Madame effrayée.

nouvelle de l'assassinat du roi, il s'était rendu précipitamment chez Sa Majesté. Je ne puis répéter les

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» Ce n'est rien, reprit-il, mais j'avoue que j'ai eu une grande » surprise. Cet homme a paru tout interdit. Que faites-vous ici? » lui ai-je dit d'un ton assez poli. Il s'est mis à genoux, en me di» sant: Pardonnez-moi, Sire, et avant tout, faites-moi fouiller. » Il s'est hâté de vider ses poches ; il a ôté son habit, tout trou» blé, égaré. Enfin, il m'a dit qu'il était cuisinier de...... et ami » de Beccari qu'il était venu voir ; et que s'étant trompé d'esca» lier, et toutes les portes s'étant trouvées ouvertes, il était arrivé jusqu'à la chambre où il était, et dont il serait bien vite sorti. » J'ai sonné, et Guimard est entré, et a été fort surpris de mon » tête-à-tête avec un homme en chemise. Il a prié Guimard de » passer avec lui dans une autre pièce, et de le fouiller dans les » endroits les plus secrets. Enfin, le pauvre diable est rentré >> et a remis son habit. Guimard me dit : C'est certainement un » honnéte homme qui dit la vérité, et dont on peut, au reste, s'informer. Un autre de mes garçons de château est entré, et » s'est trouvé le connaître. Je réponds, m'a-t-il dit, de ce brave » homme qui fait, d'ailleurs, mieux que personne, du bœuf å » l'écarlate. Voyant cet homme si interdit qu'il ne savait trouver » la porte, j'ai tiré de mon bureau cinquante louis. Voilà, Monsieur, pour calmer vos alarmes. Il est sorti après s'être prosterné. » Madame se récria de ce qu'on pouvait ainsi entrer dans la chambre du roi. Il parla d'une manière très-calme de cette étrange apparition; mais on voyait qu'il se contraignait, et que, comme de raison, il avait été effrayé. Madame approuva beaucoup la gratification: elle avait d'autant plus de raison, que ce n'était pas la coutume du roi. M. de Marigny, me parlant de cette aventure que je lui avais racontée, me dit qu'il aurait parié mille louis contre le don de cinquante louis, si toute autre que moi lui eût raconté ce trait. (Journal de madame du Hausset.) (Note de l'édit.)

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expressions un peu cavalières dont il se servit pour rassurer le roi; mais le récit qu'il en faisait, lorsque l'on fut calmé sur les suites de ce funeste événement, amusa pendant long-temps les sociétés où on le lui faisait raconter. Ce M. de Landsmath était un vieux militaire qui avait donné de grandes preuves de valeur; rien n'avait pu soumettre son ton et son excessive franchise aux convenances et aux usages respectueux de la cour. Le roi l'aimait beaucoup. Il était d'une force prodigieuse, et avait souvent lutté de vigueur du poignet avec le inaréchal de Saxe, renommé pour sa grande force (1). M. de Landsmath avait une voix tonnante. Entré chez Louis XV, le jour de l'horrible attentat de Damiens, peu d'instant après, il trouva près du roi la dauphine et Mesdames filles du roi; toutes ces princesses, fondant en larmes, entouraient le lit de Sa Majesté. « Faites sortir toutes ces pleureuses, Sire, dit le vieil écuyer, j'ai besoin de vous parler seul. » Le roi fit signe aux princesses de se retirer. « Allons, dit Landsmath, votre blessure n'est rien, vous aviez force vestes et gilets. >>>

(1) Un jour que le roi chassait dans la forêt de Saint-Germain, Landsmath, courant à cheval devant lui, veut faire ranger un tombereau rempli de la vase d'un étang qu'on venait de curer; le charretier résiste, et répond même avec impertinence. Landsmath, sans descendre de cheval, le saisit par devant de son habit, le soulève et le jette dans son tombereau, (Note de madame Campan.)

le

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