Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

LETTRE XI.

La Directrice de la Maison d'Écouen à madame de...

Écouen, ce 18 avril 1808.

Vous avez si bien défini, Madame, les motifs qui ont fait interdire aux élèves de la maison confiée à mes soins les correspondances confidentielles avec leurs jeunes amies, que je n'ai rien à vous dire pour • motiver cette décision: mais vous rendez si intéressantes les relations que notre aimable Élisa désire établir avec mademoiselle Zoé M....., que je m'engage de tout mon cœur à faire parvenir les lettres des deux amies, sans les lire. Je sais tout ce qu'un enfant gâté dira ou inventera sur la tenue et les règlemens de notre maison; mais je sais si bien ce qui lui sera répondu, que je n'en ai aucune inquiétude. Si la tendresse maternelle, qui prend trop souvent le caractère de la faiblesse, était toujours dirigée par la justesse d'esprit, on n'aurait rien à craindre, pour les élèves, des fausses confidences qui alarment mal à propos les familles. Trop souvent, une petite fille qui n'apprend pas, dit qu'on ne lui donne pas de leçons; une friande, privée de sucreries, assure qu'elle est mal nourrie; une mé

chante ou une menteuse, qui mérite de sévères réprimandes, se plaint d'être maltraitée.

A dix-huit ans, elle pensera autrement, et rougira si on lui donne à lire ce que son inconséquence lui a fait écrire à treize. Elle estimera, comme femme de mérite, l'institutrice qui, avec fermeté, exige de ses élèves de remplir tous leurs devoirs, et regardera comme une femme dénuée de toutes les qualités qui distinguent notre sexe, celle qu'elle appelait dans sa première jeunesse toute bonne et toute aimable, parce qu'elle cédait à ses caprices et favorisait sa paresse.

Je suis entrée dans des détails dont votre excellent esprit, Madame, vous fera saisir la vérité; mais je ne suis pas moins persuadée que le commerce de lettres entre Zoé et Élisa ne peut être qu'extrêmement utile à la première. Vous pouvez donc, Madame, lui adresser ses lettres sous mon couvert. J'ai l'honneur d'être, etc.

.

LETTRE XII.

Élisa à Zoé.

Chabeuil, ce 15 avril 1810.

Tu es en route, ma chère Zoé; tes larmes cesseront. Le grand air, la vue des différentes provinces que tu vas traverser, les soins qu'amène un long voyage, tout cela doit naturellement te distraire, et je ne suis pas la première à dire que de deux amies qui se séparent, la plus à plaindre n'est pas celle qui s'éloigne.

Je songe souvent aux dangers que tu peux courir pendant ton séjour à Écouen, et aux avantages que tu en peux retirer. Zoé, pense à ton retour à Valence, songe au moment où tu te retrouveras dans ta famille; vois les amis de ton père empressés à venir te féliciter, si des notes avantageuses ont précédé ton retour. Je me plais à porter ton esprit sur les idées qui peuvent te donner du courage. Mais, ma bonne Zoé, des notes favorables, des éloges, ne s'accordent, dans les grands établissemens, qu'à celles qui les méritent réellement. Le Grand-Chancelier ni la Directrice ne peuvent louer sans motifs s'ils le faisaient, le reste des élèves et toutes les dames se récrieraient contre leur partialité.

er

Avant peu j'aurai des lettres de toi; j'espère qu'elles se succéderont; tu aimes à écrire, et tu sais quel plaisir tu me procures. Nous partirons pour Fréville le 1o mai, et nous y resterons jusqu'à la petite Fête-Dieu. Mon oncle désire nous garder pour cette époque; la pompe de cette cérémonie l'occupe infiniment; chaque année, je lui porte quelque broderie ou quelques vases garnis de fleurs de ma façon; il aime à prier pour son enfant chéri au pied d'un autel orné de ses mains. Il m'entretiendra beaucoup de toi : la visite que tes parens lui firent, il y a cinq ans, est un moment de bonheur dont il parle souvent; c'était aussi dans le temps de la Fête-Dieu; il rétablissait alors son église; la tristesse que lui avait laissée l'époque des persécutions n'avait pas encore été effacée par des temps plus heureux. Ton père portait cet uniforme de général français devant lequel mon oncle avait été forcé de fuir en Allemagne; cette vue lui donnait de tristes souvenirs : mais lorsque le général, couvert de ces mêmes broderies qui avaient peu de temps auparavant causé l'effroi de mon oncle, se mit à marcher à la suite de la procession, avec sa contenance noble et martiale, et qu'en se retournant pour bénir le peuple, mon oncle vit ton père à genoux, pénétré de cette humilité chrétienne que les chevaliers des temps passés alliaient si bien à la valeur, les yeux de mon vénérable oncle se remplirent de larmes, tous les malheurs de son exil s'effacèrent en un instant de sa mémoire, et, re

gardant le ciel, il s'écria: « Religion sainte, les >> braves s'humilient et vous implorent depuis que Napoléon a relevé vos autels au pied desquels on prie pour lui. »

[ocr errors]
[ocr errors]

Adieu, ma Zoé; j'attends ta première lettre d'Écouen avec impatience; on doit me l'envoyer à Fréville.

[graphic]
« ZurückWeiter »