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partie du territoire d'Albe: alors le roi Latinus y entretenoit de nombreux haras. Dès qu'il se fut arrêté, et que se retournant il ne vit plus son ami: «Euryale! s'écria-t-il; ah ! malheureux, >> où t'ai-je laissé ? où te chercher? Aussitôt revenant sur ses pas à travers les détours embar rassés de cette forêt trompeuse, il remarque avec soin tous les endroits qu'il a observés sur son passage; il erre long-temps çà et là parmi ces buissons où règne le silence. Il entend des chevaux, il entend un bruit de gens qui poursuivent quelqu'un. Bientôt un cri vient frapper ses oreilles; il voit Euryale environné d'ennemis, qui, à la faveur de l'obscurité des lieux, à la faveur du trouble que lui cause cette attaque imprévue, se saisissent de lui et l'entraînent malgré sa résistance.

Que fera Nisus? Par quels efforts, avec quelles armes entreprendra-t-il de le délivrer? S'élancera-t-il de désespoir au milieu des ennemis pour terminer au plus tôt sa vie par une mort honorable? Sans perdre un instant, il s'arme d'un javelot, et le balançant d'un bras souple et nerveux, il lève les yeux vers la Lune en lui adressant cette prière : « Déesse, puissante déesse, >> secondez-moi dans ce moment cruel, ô fille >> de Latone, reine des astres, et gardienne des >> forêts. Si quelquefois Hyrtacus mon père pré>> senta pour moi ses dons sur vos autels; si >> moi-même j'y portai souvent le fruit de mes >> chasses; si je suspendis aux dômes et aux >> voûtes sacrées de vos temples les dépouilles >> des bêtes farouches; faites que je jette le >> trouble et la terreur dans ce gros d'enne>> mis, et dirigez mes traits dans les airs. »

Albani: tum rex stabula alta Latinus habebat.

Ut stetit, et frustra absentem respexit amicum:

390 Euryale, infelix quâ te regione reliqui?

Quàve sequar? Rursus perplexum iter omne revolvens
Fallacis sylvæ, simul et vestigia retro
Observata legit, dumisque silentibus errat.
Audit equos, audit strepitus, et signa sequentum.

395 Nec longum in medio tempus, cùm clamor ad aures
Pervenit; ac videt Euryalum, quem jam manus omnis
Fraude loci et noctis, subito turbante tumultu,
Oppressum rapit et conantem plurima frustra.

Quid faciat? quâ vi juvenem, quibus audeat armis

400 Eripere? an sese medios moriturus in hostes
Inferat, et pulchram properet per vulnera mortem.
Ociùs adducto torquens hastile lacerto,
Suspiciens altam Lunam, sic voce precatur:
Tu Dea, tu præsens nostro succurre labori,
405 Astrorum decus, et nemorum Latonia custos.
Si qua tuis unquam pro me pater Hyrtacus aris
Dona tulit; si qua ipse meis venatibus auxi,
Suspendive tholo, aut sacra ad fastigia fixi;
Hunc sine me turbare globum, et rege tela per auras.

410 Dixerat; et toto connixus corpore ferrum

Conjicit: hasta volans noctis diverberat umbras,
Et venit aversi in tergum Sulmonis, ibique
Frangitur, ac fisso transit præcordia ligno.
Volvitur ille vomens calidum de pectore flumen

415 Frigidus, et longis singultibus ilia pulsat.
Diversi circumspiciunt. Hoc acrior idem
Ecce aliud summâ telum librabat ab aure.
Dum trepidant, iit hasta Tago per tempus utrumque
Stridens, trajectoque hæsit tepefacta cerebro.

420 Sævit atrox Volscens, nec teli conspicit usquam
Auctorem, nec quo se ardens immittere possit.
Tu tamen interea calido mihi sanguine pænas
Persolves amborum, inquit. Simul, ense recluso,
Ibat in Euryalum. Tum verò exterritus, amens
425 Conclamat Nisus; nec se celare tenebris
Ampliùs, aut tantum potuit perferre dolorem:
Me, me, adsum qui feci; in me convertite ferrum,
O Rutuli; mea fraus omnis : nihil iste, nec ausus,
Nec potuit: cælum hoe et conscia sidera testor:

430 Tantum infelicem nimium dilexit amicum.
Talia dicta dabat; sed viribus ensis adactus
Transadigit costas, et pectora candida rumpit.
Volvitur Euryalus letho, pulchrosque per artus

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Il dit, et déployant toute sa force il fait voler la lance meurtrière: le trait fend rapidement l'ombre de la nuit, vient frapper Sulmon dans le dos, s'y brise, et le fer lui traverse le cœur avec les éclats du bois. Il tombe saisi du froid de la mort, vomissant un fleuve de sang, qui bouillonne en sortant par secousse de sa poitrine. On se retourne, on regarde de tout côté. Nisus animé par le succès tient déjà le second trait prêt à partir. Pendant que chacun s'agite, la javeline vient frapper Tagus avec un horrible sifilement, lui perce les deux tempes, et lui demeure enfoncée dans le cerveau.

Volscens en fureur, ne voit nulle part ni qui a lancé le trait, ni sur qui il pourra décharger sa colère. « En attendant, dit-il, c'est dans ton >> sang que je vais venger l'un et l'autre. >> En même temps il couroit l'épée nue sur Euryale. Alors troublé, saisi d'effroi, Nisus pousse un cri; il ne peut ni rester caché plus long-temps, ni soutenir ce coup affreux : « C'est moi, c'est moi, >> dit-il, me voici : j'ai tout fait, tournez contre >> moi ce fer, ô Rutules; je suis seul coupable ; >> cet infortuné n'en a eu ni le dessein ni le pou>> voir : j'en atteste le ciel et les astres qui nous >>> voyent; tout son crime est d'avoir trop chéri >> un ami malheureux. »

Ainsi parloit Nisus; mais déjà l'épée enfoncée avec roideur a traversé le tissu des côtes et entr'ouvert d'une large plaie le beau sein d'Euryale. Il tombe mourant; le sang inonde tout son corps,

chef-d'œuvre de la nature; et sa tête appesantie se penche languissamment sur son épaule : ainsi une belle fleur coupée par le tranchant de la charrue se fane et meurt sur la terre; ainsi des pavots fatigués par l'orage courbent leurs têtes chargées de pluie.

Nisus s'élance au milieu de la troupe; il cherche Volscens entre tous; c'est à lui seul qu'il en veut. Les ennemis ramassés autour de leur chef, le repoussent et l'écartent de tout côté: sa fureur n'en est point ralentie; d'un bras terrible il continue de faire briller son épée foudroyante, tant qu'il l'a plongée dans la bouche du Rutule, ouverte pour crier, et arraché la vie à son ennemi aux dépens de la sienne. Alors percé de coups, il se jette sur le corps de son ami qui n'est plus, et retrouve enfin le calme dans le sein d'une mort tranquille. Couple heureux ! si mes vers ont quelque pouvoir, le temps n'effacera jamais le souvenir de votre nom, tant que la postérité d'Enée habitera près de l'inébranlable rocher du Capitole, et que le sénat Romain donnera des lois à l'univers.

Les Rutules, maîtres par cette victoire, et du butin et des dépouilles de ces deux guerriers, portoient en pleurant le corps de Volscens dans le camp. La désolation n'y étoit pas moins grande à la vue de Rhamnès égorgé, de Sarranus, de Numa, de tant d'autres guerriers de marque, enveloppés dans le même massacre: on s'amasse en foule autour des cadavres, dont quelques-uns respirent encore, dans ces lieux tout fumans de carnage, et où coulent çà et là des ruisseaux de sang. On reconnoît parmi les dépouilles, et le casque brillant de Messape,

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