› Maintenant donc, puisque la nuit approche, >> contens de vous-mêmes, employez le reste >> du jour à réparer vos forces; et prêts à bien >> faire, comptez sur un combat prochain. >>> Cependant Messape est chargé d'établir des corps de gardes devant les portes, et d'allumer des feux autour de la ville. Quatorze Rutules sont choisis pour l'investir; chacun d'eux est à la tête de cent guerriers tout brillans d'or, et dont le casque est rehaussé d'un panache de pourpre. On les voit se partager, se rendre à leurs postes, se relever tour-à-tour; ensuite, couchés sur l'herbe, se délasser à boire et à vider les cratères d'airain. Tout est éclairé de feux : les sentinelles, pour ne point succomber au sommeil, passent la nuit à jouer. Les Troyens observent tout du haut des murs; ils sont en armes sur leurs tours; justement inquiets et tremblans', ils visitent avec soin leurs portes; ils établissent des communications entre leurs forts, et font partout des amas de traits. Mnesthée et l'infatigable Sereste pressent les travaux; c'est à eux qu'Enée, en cas de fâcheux événement, a confié le commandement et l'autorité. Toute l'armée, partageant le péril, est distribuée autour des murs; chacun veille à son tour, et garde fidèlement le poste qui lui est confié. A l'une des portes étoit Nisus, fils d'Hirtacus (14), guerrier plein de valeur, sorti, pour suivre Enée, des forêts de l'Ida, où la chasse l'avoit rendu habile à tirer de l'arc et à lancer le javelot: il avoit près de lui Euryale, le plus Nunc adeo, melior quoniam pars acta diei, Quod superest, læti bene gestis corpora rebus Procurate, viri, et pugnam sperate parati. Interea vigilum excubiis obsidere portas 160 Cura datur Messapo, et mænia cingere flammis. Bis septem Rutuli, muros qui milite servent, Delecti: ast illos centeni quemque sequuntur Purpurei cristis juvenes auroque corusci. Discurrunt, variantque vices, fusique per herbam 165 Indulgent vino, et vertunt crateras ahenos. Collucent ignes: noctem custodia ducit Insomnem ludo. Hæc super è vallo prospectant Troës, et armis Alta tenent; nec non trepidi formidine portas 175 Excubat, exercetque vices, quod cuique tuendum est. 180 Non fuit Eneadum, Trojana neque induit arma; His amor unus erat, pariterque in bella ruebant: Nisus ait: Dî-ne hunc ardorem mentibus addunt, 185 Euryale? an sua cuique Deus fit dira cupido? Obstupuit magno laudum perculsus amore Euryalus; simul his ardentem affatur amicum: Me-ne igitur socium summis adjungere rebus, 200 Nise, fugis? solum te in tanta pericula mittam? Non ita me genitor bellis assuetus Opheltes beau guerrier qui fût alors parmi les compagnons d'Enée, ou qui eût jamais endossé les armes Troyennes; enfant dont les traits encore tendres laissoient briller sur son visage la fleur de la première jeunesse. L'amitié les avoit unis; toujours ensemble au milieu des combats, ensemble ils veilloient alors à la garde de la même porte. << Cher Euryale, dit Nisus, sont-ce les Dieux >> qui m'inspirent cette ardeur? ou bien chacun >> de nous se fait-il un Dieu de la passion qui le >> transporte? Je brûle depuis long-temps, soit de >> combattre, soit de me signaler par quelque >> coup hardi; mon cœur, agité de cette pensée, >> ne peut supporter l'inaction. Tu vois dans >> quelle sécurité sont les Rutules; à peine quel>> ques-uns de leurs feux brillent encore çà et là; plongés dans le sommeil et dans le vin, ils >> sont étendus sur l'herbe: tout est au loin dans >> un profond silence. Ecoute ce que je médite, >> et l'idée qui me vient en ce moment. Toute l'armée, chefs et soldats, souhaitent ardem>> ment qu'on aille chercher Enée, et qu'on dé>> pêche vers lui quelqu'un qui puisse en rap>> porter des nouvelles sûres. S'ils me promettent >> pour toi ce que je demande (car pour moi >> l'honneur de l'action me suffit), je crois pou>>> voir trouver, le long de cette colline (15), une >> route qui me conduira jusqu'à Pallantée. >>> Euryale est vivement frappé d'un si noble amour de la gloire; dans le transport de son admiration, il adresse ce discours à son généreux ami : « Quoi! Nisus, tu crains de m'associer à >> de si glorieux exploits? Moi! que je te laisse >> courir seul de si grands dangers! Je n'ai point >> reçu de telles leçons d'Opheltes, mon père, >> ce guerrier endurci dans les combats, lorsqu'il >> élevoit mon enfance au milieu des menaces des >> Grecs et des alarmes de Troie; je n'ai pas non >> plus tenu une telle conduite avec toi, depuis » que j'ai juré de suivre Enée et sa fortune. Ce >> cœur oui, ce cœur sait aussi mépriser la >> mort, et ne croit pas que ce soit trop de la >> vie pour acheter l'honneur où tu aspires. » , Nisus lui répondit : « Je n'appréhendois pas > de toi d'indignes sentimens; non, ce seroit un > crime: ainsi, puisse le grand Jupiter, et s'il >> est quelqu'autre Divinité qui nous regarde >> avec des yeux propices, me ramener triom>> phant vers toi! Mais si, comme tu vois qu'il >> arrive souvent dans de pareilles entreprises, >> si quelque hasard ou quelque puissance enne>> mie m'entraînoit dans un malheur, je veux que >> tu me survives: ton âge rend tes jours plus » précieux. Qu'il me reste un ami (16) pour re>> tirer mon corps, soit de force, soit à prix d'ar>> gent, des mains de l'ennemi, et le déposer > dans le sein de la terre; ou, si la fortune me >> refuse cet avantage, pour rendre au moins les >>> devoirs funèbres à mon ombre errante, et >> m'honorer d'un vain tombeau. Que je ne sois >> pas, pour ta mère infortunée, la cause d'une >> si mortelle douleur; elle qui seule de tant de >>> mères, a osé te suivre sur les flots, et dédaigné >> pour toi les murs du grand Aceste. >>> «Tu m'allègues de vains prétextes, répartit >> Euryale. Ma résolution est prise, je n'en sau>> rois changer: hâtons-nous, dit-il. >> En même temps il éveille les soldats de la garde; ceuxci les relèvent et prennent leur place: alors, laissant la faction, il se joint à Nisus, et tous |