, causes elle soutient que Turnus n'a pas moins de droit de prendre les armes pour défendre son bien et son pays, que les Troyens pour l'en chasser et pour lui ravir son épouse; et quant aux secours qu'elle donne à Turnus, elle s'appuie de l'exemple de Vénus elle-même, et de ce qu'elle a fait ou fait faire pour Enée. Vénus a parlé avec une sorte d'étalage des domaines qu'elle possède, et dont elle peut disposer en faveur de son petit fils. Junon lui fait entendre malignement qu'elle devroit donc s'en contenter, sans venir provoquer des nations belliqueuses. Elle finit par le plus fort de ses moyens, en rejetant sur Paris et sur Vénus elle-même la ruine de Troie et tous les malheurs des siens, dont par conséquent cette déesse n'a pas droit de se plaindre. (2) Les Dieux prennent séance en ce lieu, à la face de toute la nature [considunt]; expression propre pour une assemblée de juges ou de membres d'un conseil. Tectis bipatentibus: les deux battans, ou, si l'on veut, les deux portes ouvertes, annoncent que le conseil se tient devant le public, et le public est ici la nature entière. (3) Lorsque la fière Carthage s'ouvrant les Alpes, viendra comme un torrent, etc. On ne peut rien de plus énergique que le vers latin : Exitium magnum atque Alpes immittet apertas, pour dire apertis Alpibus immittet exitium magnum Italiæ. On ne peut rendre de tels passages qu'en imitant cette hardiesse par des équivalens. (4) L'aimable Vénus. L'épithète aurea ne désigne pas seulement la beauté, mais en même temps la bonté, qui, jointe à la beauté, rappelle à quelques égards le siècle d'or. C'est dans ce sens qu'Horace dit à une belle de son temps, qui tenoit un jeune homme dans ses fers : Qui nunc te fruitur credulus aured. (5) Et le fils de Tydée, avec ses Etoliens, va venir d'Arpi fondre de nouveau, etc. Diomède, à qui les Latins ont envoyé une ambassade, ne se rendra pas à leur invitation; mais il n'a pas encore fait sa réponse, et personne ne s'attend à ce qu'elle soit négative. Vénus peut donc supposer, d'après la vraisemblance, qu'il viendra au secours des Latins, en tirer des conséquences, et rappeler avec indignation la blessure qu'elle a reçue autrefois de la main de ce guerrier. (6) Dois-je remettre sous vos yeux nos flottes, etc. Voyez l'incendie de la flotte, au Ve livre, v. 660; la tempête suscitée par Junon, au Ier livre, v. 56; Iris envoyée à Turnus, au IX livre, v. 2; Alecton déchaînée des enfers, au VII livre, v. 324. (7) J'ai Paphos, Amathonte, etc. Paphos étoit dans l'île de Chypre, et se nomme aujourd'hui Basta; Amathonte s'appelle Limisso; Cythère, Cérigo; Idalie est devenue un bourg nommé Dalion. (8) D'avoir échappé aux désastres de la guerre, etc. La signification du mot pestis n'est point restreinte aux maladies contagieuses; elle s'étend à tout ce qu'on peut regarder comme un mal destructeur. (9) De tenter la foi des Tyrrhéniens. Ces peuples étoient déjà révoltés contre Mézence; mais ils attendoient un chef étranger, pour marcher contre lui. Ce fut donc Enée qui les y détermina, en s'offrant à eux. L'argument est spécieux, quoique mal fondé. Ceux qui suivent sont de pures chicanes, où la mauvaise foi est évidente. (10) Enée l'ignore, Enée est absent, etc. Vénus a présenté cette circonstance comme pour accuser les Rutules de lâcheté et de perfidie. Junon se moque de ce reproche, et fait entendre, par le ton de mépris qu'elle affecte, que c'étoit à Enée à prévoir ce qui arrive, et à ne point laisser les siens à la merci d'un ennemi qui pouvoit et qui devoit même, selon elle, profiter de son imprudence. (11) Força dans Sparte les asiles les plus sacrés. Il n'est pas nécessaire de supposer que Pâris eût fait le siége de Sparte, pour en arracher Hélène; il suffit que l'enlèvement d'Hélène puisse être regardé comme un acte de violence envers le prince absent, qui lui avoit donné Thospitalité. (12) Le Tout-Puissant, le Père et souverain Maitre, etc. Ce morceau est cité, avec raison, comme un des plus beaux exemples du style sublime. Jupiter y paroît grand autant qu'il peut l'être, selon les idées des anciens. Il ne prononce pas un jugement absolu , parce que les événemens dépendent des Destins, qui sont supérieurs aux Dieux; mais il montre l'impartialité inébranlable du magistrat, qui n'a au-dessus de lui que la loi. (13) Quelle que soit leur espérance pour l'avenir. On a donné ici divers sens au mot secat. Ce verbe est trèssouvent employé dans Virgile, en parlant d'un vaisseau, pour dire fendre les flots. L'espérance ne peut-elle pas être comparée à une mer sur laquelle on vogue avec incertitude? es (14) A ces mots, prenant à a témoins , etc. Les vers qui expriment le serment de Jupiter, sont déjà employés v. 104 du IX livre. Ils paroissent bien mieux placés dans la circonstance présente, que dans une simple conversation entre la mère et le fils. , (15) Ou comme l'ivoire artistement entouré de buis ou de térébinthe. Un traducteur a cru devoir substituer l'ébène au buis; il n'a pas pris garde, sans doute qu'il s'agit de cheveux blonds, désignés par la couleur de l'or dans la première comparaison, et peut-être mieux encore par celle du buis ou du térébinthe, qui n'est pas noir non plus, quoiqu'il produise une résine qui prend cette couleur. (16) Te virent aussi lancer des blessures. L'effet pour la cause, pour en marquer la promptitude. Ces blessures sont d'autant plus terribles, que les flèches sont empoisonnées. Il est encore en Asie des peuples barbares, qui ne sè font pas scrupule de ces moyens de mort, interdits entre les nations civilisées. (17) Le vaisseau d'Enée tient le premier rang. Ce n'est pas un des vaisseaux de sa propre flotte, mais celui que les Etruriens avoient préparé pour l'étranger qui devoit les commander, et auquel on n'avoit eu qu'à ajouter à la hâte ces figures de lions et cette espèce de mont Ida, comme l'emblème et l'enseigne du prince Phrygien. (18) C'est là qu'est assis le grand Enée. On n'est pas surpris de voir Enée à cette place, lui qui a voyagé sept ans sur la Méditerranée, et qui doit connoître la marine mieux que les Etruriens eux-mêmes. (19) Muses, ouvrez maintenant l'Hélicon. Dans le dénombrement des vaisseaux de la flotte, il est fait mention des différentes villes qui en ont fourni les équipages. Il est à propos d'en donner la liste, avec les noms qu'elles portent aujourd'hui. Clusium, aujourd'hui Chiusi, sur le bord d'un lac traversé par le Clanius, rivière qui se jette dans le Tibre. - Cose, Orbitello, Anserino ou Populonia, située sur un promontoire voisin de Piombino. - Pise, sur l'Arno, ville encore considérable, autrefois république assez puissante, subjuguée par celle de Florence. Ilva; c'est l'île d'Elbe. Ceré, aujourd'hui Cevetry. Aux environs de cette ville, étoient Pyrge, ou la Tour, ainsi nommée du mot grec πυργος; Gravisque, désignée par Virgile comme un lieu mal-sain, intempestæ. Le Minio ou Mugnono en est à quelques lieues. La Ligurie est ce que l'on appelle la rivière de Gênes; elle n'a pas perdu son ancien nom, non plus que Mantoue, place importante, au milieu d'un lac formé par le Mincio, qui sort du Benacus ou Lac de Garde, rde, dont il est ici appelé poétiquement le fils. (20) Elle seule réunit trois nations, et chaque nation quatre peuples. Il y avoit donc douze peuples ou tribus, formés de trois nations, tous dépendans de Mantoue, et composant ensemble une république fédérative, dont elle étoit la capitale et le point de réunion. Chaque peuple avoit son lucumon ou premier magistrat, à quelque titre que ce fût. Tous ces peuples se prêtoient dans l'occasion un mutuel secours. Mézence, souverain d'Agylla ou Ceré, banni par ses sujets à qui il s'étoit rendu odieux, menaçoit d'en tirer de cruelles vengeances avec le secours de Turnus, chez qui il s'étoit réfugié; ils avoient, en conséquence, appelé à leur secours toute la fédération. Les trois nations dont elle étoit formée, étoient vraisemblablement les. Toscans, les Hénètes et les Gaulois; mais c'étoit des Toscans qu'elle tiroit sa principale force. (21) Déjà la cavalerie Arcadienne, etc. On voit, لا par ces paroles de la nymphe, la précaution qu'a déjà prise Enée d'envoyer sa cavalerie par terre, afin qu'elle tombe sur les Rutules au moment où il fera sa descente du côté de la mer, de manière qu'ils ne puissent l'empêcher, et qu'ils se trouvent pris comme entre deux feux. (22) Son bouclier tout éclatant de feux. On conçoit bien qu'Enée abordant sur la côte occidentale de l'Italie, a en face le soleil levant, dont les rayons réfléchis par le bouclier de Vulcain, doivent le faire briller d'un éclat extraordinaire. (23) Tels les oiseaux habitans des rives du Strymon. Les grues, oiseaux très-communs dans ces contrées, et qui volent en troupes à une grande hauteur : æthera tranat. Les cris que font entendre les Troyens du haut de leurs remparts, sont comparés aux cris aigus de ces oiseaux. (24) Tels on voit quelquefois dans une nuit sans nuage briller d'un rouge lugubre el sanglant, etc. Le casque étincelant d'Enée, qui porte l'effroi parmi les Rutules, est ingénieusement comparé à la comète, que le peuple prend souvent pour un signe avant-coureur de grands désastres, et à la Canicule, dont le retour est souvent accompagné de sécheresse et de maladies. (25) Cependant l'intrépide Turnus, etc. Ce prince ne manque ni de courage ni de présence d'esprit; il a l'éloquence du guerrier, franche, énergique et sans déclamation. Ce n'est pas ainsi que Lucain fait parler ses capitaines. (26) La victoire est en vos mains. Mars est mis ici pour le sort de la guerre: métonymie. (27) Mais non pas la tienne, ó Tarchon. Virgile ne fait point ce chef aussi intelligent dans la marine que le prince Troyen. Enée ne se seroit point fait échouer, au point de briser son vaisseau. L'image que le poète nous offre de cet événement, n'en est pas moins pittoresque. (28) Et toi, malheureux Cydon. On voit bien qu'il ne s'agit pas ici d'un amour vertueux, comme celui de Nisus pour Euryale, amor pius. Virgile ne loue point |