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Examinons, avant tout, comment Jésus s'en va-t-en guerre. Qu'on nous pardonne cette expression, car, si Jésus n'est pas Dieu, il tente une chose ridicule et digne de risée: Changer et conquérir le monde avec quelques pauvres marchands de poisson! N'était-ce pas là une folie?

« Trois jours après, ajoute S. Jean, il se fit des noces à Cana » en Galilée et la Mère de Jésus y était; et Jésus aussi fut con>> vié aux noces avec ses disciples. »

Cana est éloigné de Beth-Abara d'une trentaine de lieues environ. Jésus dut faire ce voyage en trois jours; la Mère de Jésus dut y venir de Nazareth qui n'en était pas si éloignée. Il est probable que les jeunes époux étaient ou parents ou amis de Marie et de Jésus. Les noces juives se célébraient avec grande solennité, et, comme les funérailles, elles duraient 8 jours. Dix jeunes filles avec des lampes accompagnaient la mariée, et dix jeunes gens servaient d'escorte à l'époux. C'était donc là une réunion de 30 à 35 personnes, où, au dire de S. Jean, la sobriété n'était pas toujours observée. On sait ce qui arriva.

A la fin de la fête, Marie dit à Jésus : « Ils n'ont pas de vin » et Jésus lui dit : Femme, qu'y a-t-il de commun entre toi et » moi? Mon heure n'est pas venue1. D

Celte réponse est bien dure, et aussi les traducteurs l'atténuent de diverses manières. Le mot à mot est : « Quoi, à moi » et à toi, femme (τί ἐμοί καί τοι, γύναι) ?

Les traductions françaises, dit avec raison M. l'abbé Chevalier, ont tourné la phrase de plusieurs façons en l'expliquant dans un sens favorable, mais une version très-commune, puisqu'elle est reproduite dans les évangiles du dimanche, traduit ainsi : Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? Ce n'est pas seulement à côté du sens réel, c'est un contre-sens de mots et un contre-sens absolu, dans la situation où le Seigneur prononce cette parole. Le Seigneur ne renie pas sa mère, il lui parle avec déférence et respect, il lui dit : Femme; c'est l'expression qu'il faudrait traduire par Madame prise dans le grand sens respectueux et solennel où l'emploient les rois quand ils parlent à leur mère, aux grands jours de l'étiquette: Fem1 S. Jean, 11, 3, 4.

me; c'était la grande et noble expression des peuples anciens; les langues modernes seules ont vulgarisé le mot1. »

Nous ajoutons, l'ont remplacé par un non-sens, car à ce mot ma dame, la femine devrait répondre : je ne suis pas votre dame.

Quant à la parole mon heure n'est pas venue, Jésus fait entendre que ce n'est pas à ces noces et devant un si petit nombre de personnes qu'il doit s'affirmer comme Messie; l'heure solennelle où il s'affirmera ne viendra que dans quelques jours, à la fête de Pâques à Jérusalem, au milieu de la foule des Juifs qui y seront assemblés en grand nombre. Bien loin de renier sa Mère, Jésus commence ses miracles pour l'honorer en présence de ses parents et amis, en faisant ce qu'elle lui demande. Marie ne s'y trompa pas en effet, car elle se contenta de dire aux serviteurs :

Tout ce qu'il vous dira, faites-le. »

Ils avaient besoin de cette injonction, car Jésus, à leur grand étonnement, leur commanda de remplir d'eau six grandes urnes de pierre et, quand ils y puisèrent, il se trouva que c'était d'excellent vin.

« C'est là, dit S. Jean, le commencement des miracles que fit ▷ Jésus à Cana en Galilée, et c'est ainsi qu'il manifesta sa » gloire, et ses disciples crurent en lui. »

VII, Jésus vient à Capharnaüm qu'll choisit pour sa résidence habituelle.

« Après cela, c'est-à-dire après les noces de Cana, ditS. Jean, >> Jésus descendit, lui, sa Mère, ses frères et ses disciples à » Capharnaum, et ils y demeurèrent peu de jours2. »

C'est la première fois qu'il est parlé des frères de Jésus sur lesquels on a fait des difficultés, on sait pourtant que le mot grec adeλpoç signifie également cousin.

On apprend seulement par là que les époux de Cana devaient être des parents, et qu'ils avaient invité Jésus et les autres parents. Ils s'attachèrent à lui à cause de son mira

1 Récits évangéliques p. 136, 2o édition, 1871, à Paris, chez Watelier, 19, rue de Sèvres.

2 Jean, II, 12.

cle et le suivirent. Nous les verrons plusieurs fois reparaître, sans qu'ils aient été au nombre de ses disciples.

Capharnaüm est très-souvent citée dans la vie de Jésus. C'est la ville où il a séjourné longtemps. M. l'abbé Chevallier fait très-bien ressortir pourquoi Jésus abandonna Nazareth, où il était demeuré jusqu'alors.

« Le motif qui détermine ce voyage est facile à saisir. Jésus voulait être à l'abri des persécutions d'Hérode-Antipas qui régnait sur la plus grande partie de la Galilée, d'Hérode qui allait se faire le meurtrier de Jean-Baptiste. Philippe, frère d'Antipas, d'un caractère moins violent, moins ombrageux, pacifique même, puisqu'il avait souffert qu'Hérode lui prit sa femme, au grand scandale de la nation, Philippe avait dans son gouvernement une partie de la Galilée que l'on appelait la Galilée des nations; il habitait quelquefois Bethsaïde, sur la rive gauche du Jourdain, en face et près de Capharnaum, placé sur la rive droite.

» Les gens de Nazareth d'ailleurs n'avaient pas une bonne réputation, ils étaient violents et grossiers, et ils l'ont bien prouvé la première fois que le Sauveur leur annonça la bonne nouvelle. Jésus descendait à Capharnaüm avec sa famille et ses disciples, pour s'y choisir une demeure où il pût, pendant les trois années de sa vie active, laisser en paix sa mère, près des familles de ceux qui dès lors s'étaient faits ses disciples. Ceux-ci, pour la plupart, étaient de Bethsaïde; mais l'Evangile nous montre que Simon-Pierre avait sa belle-mère à Capharnaüm. Du reste en choisissant cette ville plutôt que Bethsaïde, le Sauveur restait sur la rive du Jourdain où se trouvaient la Galilée, la Samarie et la Judée, principal théâtre de sa mission; et il n'était pas obligé de traverser le fleuve, dont le passage était quelquefois interrompu et souvent difficultneux. Capharnaüm, ou Caperiraüm, était, comme Bethsaïde, près de la mer de Galilée, à l'embouchure du Jourdain qui coulait entre elles deux; et les disciples, qui le suivirent et s'attachèrent à ses pas, gagnaient leur vie sur le fleuve et sur la mer, en exerçant le métier de pêcheurs.

VI SERIE. TOME VII. --- ·N 39; 1874. (86° vol. de la coll.) 12

> Ce fut donc le centre des courses apostoliques; le maître et les disciples partaient de là pour parcourir les bourgs, les villages; c'est là qu'ils rentraient pour prendre du repos, c'est là que les foules accouraient les plus nombreuses; ce fut la patrie d'adoption du Sauveur. Les disciples, à leur retour, retrouvaient leurs familles, leurs barques et leurs filets, et se remettaient au travail qu'ils abandonnaient au premier appel de Jésus, lorsque, après les grandes chaleurs, ou les froids et les neiges, celui-ci reprenait ses excursions 1. »

VIII. Première Paque de Jésus, dans sa vie publique.

Le vendredi 7 avril de l'année 30.

La grande solennité de Pâque durait 7 jours chez les Juifs, mais c'était le 1 et le 7° jour qui étaient le plus solennels. On n'est pas d'accord pour savoir si c'est le jeudi 6, le vendredi 7 ou le samedi 8 avril que Jésus a célébré cette Pâque. Quoi qu'il en soit, nous allons voir Jésus commençant à exercer son ministère avec une autorité on peut dire divine.

a La fête des Juifs était proche, dit S. Jean, et Jésus monta » à Jérusalem (avec ses disciples sans doute), et il trouva dans Dle temple des gens qui vendaient des bœufs, des brebis et des > colombes et des changeurs qui s'y étaient installés 2. D

C'était dans le parvis extérieur que ces marchands vendaient ces objets nécessaires pour les sacrifices. Remarquons que, dès sa première action, Jésus marque sa mission, celle de purifier le temple de Dieu.

Il fit une sorte de fouet avec de petites cordes, et les > chassa tous du temple, ainsi que les bœufs et les brebis ; et il jeta à terre les monnaies des changeurs et renversa leurs » tables. A ceux qui vendaient des colombes il dit : Emportez tout cela d'ici, et ne faites pas de la maison de mon » Père une maison de commerce. Ses disciples se rappelè

> rent qu'il est écrit : Le zèle de votre maison me dévore3. » Notons encore que, comme en présence de ses disciples, ici en public et au premier acte de sa vie publique, Jésus se

1 M. l'abbé Chevallier, Récits évangéliques, p. 137. (2e édition.)

* Jean, 11, 13, 14;

3 Psaume LXVIII, 10.

donne Dieu pour Père, et que ce n'est pas par la suite des événements qu'il s'est cru Dieu. Notons aussi comment les simples pêcheurs, ses disciples, connaissaient les textes de l'Ecriture qui avaient rapport au Messie.

Les Juifs furent un peu étonnés de cette brusque attaque; S. Jean continue:

• Les Juifs lui répondirent: Quel prodige nous montres-tu ▷ pour faire ces choses? >

Et aussitôt Jésus annonce à mots couverts mais fermement qu'il savait quelle devait être la fin de sa mission :

a Détruisez ce temple, leur répondit Jésus, et je le re> bâtirai en 3 jours. Il a fallu 46 ans pour bâtir ce temple,

▷ lui dirent les Juifs, et tu le relèveras en 3 jours? »

L'Évangéliste ajoute :

a

• Il disait cela du temple de son corps. Aussi lorsqu'il fut » ressuscité d'entre les morts, ses disciples se souvinrent de >> ses discours, et ils crurent à l'Ecriture et â la parole que > Jésus avait dite '.

Les Juifs ne durent pas comprendre cela. Mais les Pharisiens s'en saisirent, et nous verrons que c'est un des griefs pour lesquels ils demandèrent sa mort.

Notons de nouveau que Jésus est là tout entier devant le peuple comme devant ses disciples. Il est Fils de Dieu, en l'appelant son Père; Roi d'Israël, par l'acte d'autorité qu'il accomplit; Fils de l'homme, par la prophétie de sa mort et de sa résurrection.

Et S. Jean continue:

Dans le temps qu'il resta à Jérusalem pour la Pàque, pen» dant la fête, beaucoup crurent en son nom, à la vue des » prodiges qu'il faisait. Mais, pour lui, il ne se fiait point à » eux, car il les connaissait tous, et il n'était pas besoin qu'on » lui rendît témoignage d'un homme. Il savait bien ce

qu'il y avait dans chaque homme. D

En effet, il savait bien que, si les Juifs attendaient un Messie, ils ne le voulaient pas tel qu'il allait se montrer à eux. Il ne se dissimulait pas qu'il n'avait à attendre aucun secours humain.

1 Jean, 11, 21, 22.

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