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inspire l'horreur des vices, elle nous recommande l'amour du prochain, unit les citoyens, bannit d'entre eux les dissensions et les haines; elle nous empêche de nous élever dans la prospérité, elle nous soutient dans les disgrâces.

sans elle, l'homme ne serait qu'une machine à ressort, un pur automate, ignorant son origine et sa fin, n'ayant tout au plus qu'un sentiment confus de son existence, une raison sans discernement, un esprit sans réflexion, un cœur que pour respirer et pour vivre, suivant en aveugle l'impulsion des sens, ne sachant ce qu'il est, ce qui l'environne, ce qu'il deviendra, ce qu'il peut espérer ou ce qu'il peut craindre.

372. Il est une immortalité sûre et désirable; c'est celle que la religion propose à tout héros chrétien, qui, vainqueur de ses passions et de lui-même, a toujours vécu dans la justice, et a joint le culte à la morale; union si rare de nos jours, où le culte seul fait des superstitieux, où la morale seul fait des impies.

373. La parole de Dieu prouve la vérité de la religion; la corruption de l'homme, sa nécessité; la politique, ses avantages.

374. Plus le chrétien examine l'authenticité de ses titres, plus il se rassure dans la possession de sa croyance; plus il étudie la révélation, plus il se fortifie dans la foi.

375. N'est-il pas étrange que l'homme, qui se trouve obligé de faire par religion la plupart des choses que la raison lui prescrit et que la politique même lui ordonne, les néglige uniquement parce que la religion les lui demande ?

376. La religion étudiée est pour tous les hommes la règle infaillible des bonnes

mœurs.

377. Pour croire avec certitude, il faut cominencer par douter.

378. J'admire plus la religion dans les petites pratiques de piété qu'elle inspire aux gens d'esprit, que dans les grandes choses qu'elle fait entreprendre au commun des hommes.

379. La vraie religion n'a peut-être jamais tant souffert de la violence de ses persécuteurs, que de la folie et de la mauvaise foi de ceux qui la représentent comme un fantome effrayant par ses rigueurs.

380. Rien ne prouve mieux la vérité de la religion, que l'ignorance des siècles barbares dont elle a triomphé.

381. Où la religion parle, la raison n'a droit que d'écouter

382. Il n'y a que la religion capable de changer les peines en plaisir.

383. Le trop de dévotion mène au fanatsme, le trop de philosophie à l'irréligion. 384. La religion règle les idées, les penchants, les désirs de l'homme; elle étend ses vues, ennoblit ses actions même les plus in: différentes, le rend maître de ses passions, le met au-dessus des promesses et des menaces de la fortune, des plaisirs et des peines de la vie, des bons et des mauvais succès, et lui fait trouver de la consolation, du moins toujours de l'espérance dans la mort même.

385. C'est de la religion qu'émane la supériorité et la puissance d'un gouvernement; c'est d'elle.que vient la nécessité de s'y soumettre; elle donne le prix à la vertu; elle

386. S'il est des hommes qui voudraient se persuader qu'il n'y a point de Dieu, s'il en est d'autres qui le croient, mais sans se mettre en peine de l'honorer, il en est qui, convaincus de la nécessité d'un culte, ne refusent point de le rendre, mais voudraient l'accorder avec leurs passions, donner à la religion ce qu'elle leur prescrit, et ne point abandonner ce qu'elle leur dispute, la suivre en gros et la négliger en détail. Ces sortes de gens n'ont pas honte de prétendre allier le vice et la vertu.

387. Si l'espoir d'une heureuse immortalité de notre nom peut nous conduire à la perfection, recherchons la gloire de nous survivre, mais ne l'estimons qu'autant qu'elle peut nous soutenir dans la pratique de la vertu. Un héros, en effet qui n'aurait en vue que l'immortalité de son nom, serait semblable à un homme qui se crèverait les yeux pour voir un jour plus clair.

388. La profession du soldat est de combattre; celle du magistrat de juger; celle du laboureur de cultiver la terre; la profession d'un ecclésiastique, c'est de servir Dieu et le prochain dans un entier détachement de tous les biens de ce monde.

389. Trois sortes de personnes, sans combattre ouvertement la religion, la négligent ou la déshonorent. Les uns sont les hypocrites, qui ne servent Dieu que pour tromper les hommes. Les autres sont ceux qu'elle n'éclaire ni n'échauffe. Les troisièmes, ceux qui n'estimant que ses maximes, voudraient en retrancher les dogmes, ou tout au plus en admettre quelques-uns et rejeter les autres. La folie des premiers n'est pas dangereuse, on n'imite point ce qui n'inspire que de l'horreur. Les seconds, qui donnent aux préceptes un sens qui les flatte et qui tranquil lise leur cœur au milieu des plaisirs, pourraient séduire; il ne faut pas les écouter. Plaignons les troisièmes; ils sont semblables à des aveugles qui se précipitent dans un abîme en croyant marcher dans un chemin sûr et uni.

390. Il semble que la Providence ait compensé ses dons pour mettre une espèce d'égalité dans les diverses conditions des hommes. Aux uns elle a donné la naissance et le pouvoir, aux autres une heureuse capacité qui les dédommage des distinctions qu'elle leur a refusées. Ceux-là seraient trop vains, s'ils possédaient tout à la fois les talents et les richesses; et ceux-ci trop malheureux, si, par les dons de l'esprit, ils ne pouvaient relever la bassesse de leur fortune. Ainsi les grands et les petits vivent dans une dépendance mutuelle les uns des autres: le noble est forcé d'avoir recours à l'industrie du roturier, et le roturier n'a d'autre fond pour subsister que les besoins du noble.

391. Il ne tenait qu'à la Providence de

nous assujettir à ceux que nous maitrisons. Sans doute elle a voulu donner à ceux-ci un moyen de mériter par leur résignation, et à nous un motif de nous humilier dans notre indépendance. C'est donc à nous à ne pas abuser de notre pouvoir sur des malheureux qui ne nous sont inférieurs que par une disposition dont nous n'avons pas été les naltres.

392. La prudence humaine ne peut rien contre les décrets de la Providence, mais la Providence l'a fait entrer pour beaucoup dans ses décrets. Elle la suppose plus sou vent qu'elle ne la contredit ou ne la dé

range.

393. Un des grands effets de la Providence, Providence, c'est que chaque nation, quelque misérable qu'elle soit, s'imagine que le bonheur ne peut se trouver ailleurs que chez elle.

394. Il est dans le monde un tribunal plus redoutable qu'aucun de ceux qu'une sage police a établis. Différent de ceux-là, il est invisible; il n'a ni hache ni faisceaux; il est partout, et le même dans toutes les nations chaque homme a droit d'y opiner. L'esclave y juge son maître, le sujet son souverain, les honnêtes gens le composent et le craignent; il n'y a que les scélérats les plus déterminés qui ne tiennent point compte de ses arrêts.

395. La conscience est une loi aussi incorruptible que sévère, et qu'il n'est pas possible de rompre, ni d'affaiblir. Ses reproches sont plus terribles que le mal que nous faisons. Elle épouvante les scélérats, et si elle ne peut les rendre plus sages, elle les rend plus malheureux. C'est un juge d'autant plus impitoyable qu'on a méprisé ses conseils; d'autant plus éclairé qu'il connaît le fond de nos âmes, d'autant plus sûr qu'il ne prononce jamais que sur des preuves incontestables, et aussi évidentes pour nous-mêmes que pour lui.

396. Quand la conscience, l'honneur, la patrie réclament leurs droits, doit-on songer à se précautionner contre les dangers personnels? Il est du devoir de l'honnête homine de s'oublier dans ces moments.

397. La conscience nous avertit en ami avant de nous punir en juge.

398. Il n'y a pas longtemps qu'on eût regardé, avec une surprise dédaigneuse, un homme qui se serait arrogé le titre de philosophe; il n'en est pas de même aujourd'hui, le nom de philosophe est en honneur, et les femmes mêmes s'en font gloire.

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399. Quand on fait réflexion à ce que l'histoire nous apprend des philosophes païens; on ne conçoit pas comment l'homme n'ayant dans cette vie rien de plus à cœur que la satisfaction de ses goûts; de ses penchants, de ses passions, de ses désirs, ces sages, néanmoins, faisaient consister le bonheur dans le mépris de tout ce qui pouvait la leur procurer.

400. Les anciens philosophes, si l'on en excepte les stoiciens, s'accordaient presque tous à penser mal de l'humanité; les philosophes de nos jours en font l'apologie. Je

DICTIONN. DE LA SAGESSE POPULAIRE

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dirais lequel du blâme ou de l'estime est le plus propre à corriger les hommes, si les hommes, à peu de chose près, n'étaient encore ce qu'ils ont toujours été.

401. Je tremble pour notre siècle, quand je considère que les temps anciens, où il y a eu plus de philosophes, sont précisément ceux où il y a eu moins de philosophie.

402. Nos philosophes du siècle démentent par leur conduite et par leurs actions les règles de la philosophie dont ils s'efforcent de donner une haute idée. La philosophie blâme l'attachement aux richesses, et ils désirent d'en acquérir; l'ambition, et ils la regardent comme un sentiment honnête; l'envie, et ils ne peuvent rien souffrir audessus d'eux; la vanité, et ils se croient seuls dignes d'égards et d'estime. Elle ordonne la douceur et l'humanité, et ils font trop peu de cas des hommes pour les aimer. Ils ne s'estiment eux-mêmes que par la plus vile portion de leur être; ils se refusent une âme, un esprit, une destinée; ils se dégradent, ils s'avilissent, ils se courbent autant qu'ils peuvent vers la terre, et ne prétendent aucune différence entre eux et les animaux qui tracent des sillons dans les campagnes

403. Nos philosophes sont plus aveugles et plus ennemis d'eux-mêmes qu'ils ne pen sent ils renoncent à l'espérance d'un avenir heureux, et pour passer ici-bas un petit nombre de jours sans crainte, ils s'exposent volontairement au plus grand des malheurs; tandis que le vrai chrétien, plus éclairé, plus prudent, plus véritablement philosophe, vit dans une crainte salutaire, pour n'avoir rien à craindre après la mort. C'est au bon sens à décider qui des deux prend le parti le plus sage; et s'expose à moins de danger.

404. Les philosophes de nos jours prétendent suivre et enseigner la raison; mais, lorsqu'ils s'attachent effectivement à détruire les préjugés qu'elle condamne, ils déracinent les vertus qu'elle prescrit.

405. Le philosophe, tel qu'on se le figure de nos jours, doit avoir le courage de se passer de toute espèce de gloire; et sans cesser de se respecter, ignorer ses vertus et mépriser jusqu'à la philosophie même.

406. Les sciences n'apprennent plus guère qu'à s'enorgueillir et à disputer.

407. On n'est point savant par les choses que l'on sait; je croirais volontiers qu'on ne l'est que par les choses que l'on soupçonne. Combien n'est-il pas d'horizons au delà de celui qui borne notre vue?

408. Le doute est l'école de la vérité. Le savant doute, parce qu'il ne voit pas tout; l'ignorant ne doute de rien, parce qu'il croit tout connaître. Le premier ne peut se dissimuler son ignorance, et il en est plus modeste; le second ignore la sienne, et il en est plus vain et plus hardi.

409. Quiconque veut tout apprendre, doit s'attendre à ne rien savoir à fond. Une foule de connaissances entassées ne font non plus

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un savant, qu'un tas de pierres rassemblées au hasard ne font un bel édifice.

410. La singularité d'un système, quelque dangereux qu'il soit, n'est qu'une raison de plus pour qui n'a pour règle que l'esprit particulier.

411. Le savoir est un malheur, quand la prudence ne lui sert pas de guide.

412. Je ne puis supporter un orateur qui pense par art, et veut me faire penser de même; il coupe méthodiquement les ailes à mon esprit, et je ne puis que me traîner méthodiquement après lui dans le chemin étroit qu'il me trace.

413. Le malheur des gens les plus savants, c'est de ne pas savoir ignorer ce qu'ils ne peuvent pas savoir.

414. Subjugués par le goût du temps, les gens de lettres ont perdu cette espèce de rusticité qu'ils contractaient dans la retraite, et qu'on leur passait trop aisément dans des siècles moins épurés; mais qu'ont-ils gagné à prendre le ton et les manières du grand monde? Dans leurs ouvrages on trouve plus de délicatesse et moins de force, plus de précision et moins de chaleur, plus de brillant et moins de hardiesse, plus de mots que de choses, plus d'emphase que de simplicité, plus d'esprit que de génie. Dans leurs mœurs, on découvre, à regret, plus de parure que de réalité, et ce sont peut-être eux qui les premiers ont substitué à des principes jusqu'alors immuables, des para doxes révoltants. Ce sont eux peut-être qui, se plaisant à colorer les vices, ont contribué à n'en faire que des sujets de raillerie, des imperfections capables tout au plus de blesser les règles de la décence et de l'honnêteté. Disons le hardiment, les mœurs des savants sont devenues des torts pour les sciences.

415-416. Ce n'est pas des sciences, c'est du sein des richesses que sont nés de tout temps Ja mollesse et le luxe, et dans aucun temps les richesses n'ont été l'apanage des savants. Pour un Platon dans l'opulence, un Aristippe accrédité à la cour, combien d'Homères et de Diogènes, d'Epictètes et d'Esopes dans l'indigence! Les commodités de la vie, pour être souvent le fruit des arts, n'en sont pas davantage le fruit des artistes.

417. Accordez de l'estime aux gens de lettres, ils vous tiennent quittes de tout bienfait.

418. Le climat influe beaucoup sur le génie, le caractère et les usages des peuples: de la différence de leurs sentiments et de leurs préjugés vient celle des gouvernements que nous connaissons dans le monde. La crainte contient les uns sous une autorité despotique; les autres naturellement plus résolus et moins timides, jaloux de la liberté qu'ils ont reçue de la nature, craignent une subordination absolue, et sont moins propres à devenir esclaves que citoyens l'honneur et leur propre intérêt les attachent si tendrement à leur patrie, et une confiance noble et éclairée leur fait si fort respecter leur souverain, qu'on ne peut dis

tinguer ce qui les touche le plus, ou leur patrie, dont ils partagent les avantages, ou leur souverain, qui est chargé d'en maintenir la gloire et le bonheur.

- 419. Le génie ne pense ni ne parle que d'après lui-même; mais la plupart des hommes n'ont point d'esprit à eux, et ne parlent ni ne pensent que d'après les autres. Chargés des idées d'autrui, ils ne sauraient en produire aucune. Ce sont pourtant ceux-là, et ceux-là uniquement, qui osent critiquer ceux dont ils ne sont que de misérables échos. L'animal de la terre le plus stupide, l'âne d'Esope, croirait-il être líon pour être revêtu de la peau qui lui en donnait l'appa

rence?

420. Il y a bien des gens en qui le génie repose à leur insu; il leur faut quelque événement qui les en avertisse. Je les compare à ces fleurs que les aquilons tiennent fermées, et qu'un simple rayon de soleil peut faire épanouir; ce ne fut qu'assez tard que l'amour décela le génie du grand Corneille.

421. L'homme de génie ne saurait gouverner l'Etat sans fermeté; et c'est précisément cette fermeté qui fait le mal d'un Etat gouverné par un homme de génie.

422. Il y a des auteurs qui travaillent et polissent si fort leurs ouvrages, que tout ce qu'ils donnent au public n'est que de la limure.

423. L'étendue du génie nuit souvent plus qu'elle ne sert à faire sentir des vérités que la raison sait persuader par les arguments les plus naïfs et les plus simples.

424. Cherchons un guide au génie pour l'empêcher de s'égarer: nous le trouverons dans un jugement sain et réfléchi.

425. Les règles guident le génie; mais souvent aussi elles ne sont qu'un contrepoids qui en abat l'essor.

426. Si l'on voit à présent peu de génie,` c'est que les arts ont peu d'inventeurs dans un siècle où il y a tant de modèles.

427. Un grand génie déplacé ne paraît qu'un homme ordinaire.

k28. Il est rare que le succès ne justifie la hardiesse d'un génie entreprenant.

429. Rien ne caractérise mieux la supériorité du génie, que le talent de préparer de loin les grands succès.

430. L'esprit qui nous fait tout voir, jusqu'aux écueils qui l'environnent, bien loin de servir à nous les faire éviter, est toujours le premier qui nous y entraîne : ce phare qui n'est fait que pour nous conduire au port, nous éclaire moins qu'il ne nous éblouit, et nous fait donner même contre les rochers qu'il nous découvre. Vit-on jamais une pareille contrariété ?Et comment définir l'esprit, qu'un assemblage confus de lumières et de ténèbres, qu'un mélange bizarre de folie et de raison.

431. Si votre esprit aspire au bonheur d'être utile, Appliquez tous vos soins à devenir habile; On rit d'un ignorant, on fuit un débauché : Le mérite solide est toujours recherché. 432. On dirait que l'esprit est devenu pour nous comme une seconde manière d'èxis

temps le triomphe de son adresse à fasciner la raison ce triomphe lui est d'autant plus cher qu'il s'étend sur lui-même :

439. Il parvient d'ordinaire à se persuader ce qu'il s'est imaginé, sa propre fausseté lui en impose, il souscrit à son délire, et s'efforçant à le faire approuver, il accuse d'ignorance ou de mauvaise foi quiconque le condamne.

ter et de jouir. On ne parle presque partont que savoir et littérature: s'il en est qui les aiment par choix, tous les autres s'en piquent par mode; de là ce débordement d'ouvrages de toute espèce, dont nous sommes inondés; mais quelle disette dans cette abondance! l'esprit est plus répandu, mais il paraft n'avoir gagné plus de surface qu'aux dépens de sa profondeur et de sa solidité. A quelques ouvrages près d'histoire naturelle, de politique et de commerce qui font honneur à notre siècle, quels sont la plupart de ceux que nous appelons ouvrages d'esprit?

433. L'esprit se croit en droit de jouer le premier rôle dans les sociétés, d'y manquer de subordination pour ses supérieurs, d'égards pour ses semblables, d'indulgence pour ses inférieurs. Il ne cède rien aux premiers, il dispute tout aux seconds, il méprise les troisièmes; il prétend seul avoir raison, et où règne le plus de liberté, il tâche d'établir un despotisme qui rompt bientôt tous les liens de la confiance et de l'amitié.

434. D'où vient que plus l'esprit est borné, plus il croit voir et saisir d'objets ? Et plus il est éclairé, moins il se flatte d'en connaftre? Je n'en sais point précisément la raison, mais je me suis toujours aperçu que la présomption naît de la médiocrité, aussi naturellement que la modestie vient du mérite.

435. Il est rare que l'esprit ait recours à ce qui est simple, il aime l'art et les prestiges; il préfère les phosphores à la lumière, i se plaît à marcher dans les routes les plus épineuses, qui, pour l'ordinaire ne sont pas celles de la vérité.

436. Plus l'esprit a de force et de profondeur, plus il a le défaut d'aimer les détails: il croirait manquer de bien saisir un objet, s'il n'en examinait jusqu'aux superficies. Aussi combien d'entreprises utiles et même praticables ne rejette-t-il pas quelquefois pour avoir trop bien aperçu tout ce qui pourrait s'y rencontrer d'obstacles?

437. Il y a pour l'esprit une sage ignorance, et qui ne lui est pas moins nécessaire qu'utile: il est heureux s'il la connaît, plus heureux encore s'il l'avoue: Sa force vient souvent de la faiblesse; sa gloire du savoir moins qu'il ne veut: la raison et son intérêt lui prescrivent des bornes; s'il les franchit, il tombe tout à coup dans un vide immense, dans un abîme de ténèbres, dans une espèce de néant, où il ne se retrouve qu'en revenant sur ses pas, si toutefois il peut encore en découvrir les traces, el ne pas continuer à se perdre, lors même qu'il sent le malheur qui a eu de s'égarer.

438. L'esprit croit au-dessous de lui d'appuyer, de protéger la raison qui se soutient et se protége elle-même: il trouve plus de gloire à combattre une ennemie qui lui paraft digne de ses efforts; il néglige le vrai qui presque toujours porte avec lui ses titres, et il fournit des preuves à ce qui n'est as même vraisemblable, parce que le triomphe qu'il lui ménage doit être en même

440. On voit plus de médiocres esprits s'avancer dans le monde, que de grands génies; les uns proportionnent les objets à leurs moyens, et ne sont point honteux de n'y arriver que d'un pas lent et timide : les autres ont à peine aperçu le but où ils prétendent, qu'ils s'y portent d'un vol audacieux. Ainsi cette idée exagérée, que l'esprit se fait de ses propres forces, empêche en toutes choses ses progrès.

441. L'esprit souvent sert moins à notre bonheur qu'à notre perte, et nous creuse des précipices où vraisemblablement le seul instinct nous aurait conduits sans danger.

442. Défions-nous de notre esprit, il và presque toujours au mal sans détours. S'il est d'accord avec le cœur, nous sommes perdus sans ressource; la pensée et l'exécu tion ne souffrent alors aucun intervalle, et nous sommes plutôt plongés dans le vice, que nous n'avons songé à nous y livrer.

443. Il faut déplorer la faiblesse de l'esprit humain, qui, du moment qu'il ne se prescrit aucune borne, donne dans les travers les plus dangereux.

444. Il y a un point de pénétration et de force d'esprit qui fait les bornes de l'humanité, et que nous prenons ridiculement pour les bornes de la vérité même.

445. Les petits esprits sont tous minutieux qu'ils parlent ou qu'ils écrivent, ils entrent dans les plus minces détails. S'ils avaient une tête à décrire, ils en compteraient jusqu'aux cheveux. Il n'en est pas ainsi du génie : il ne voit la nature qu'en grand. L'aigle qui plane dans les nues distingue à peine la bruyère où l'hirondelle se plaît à voler.

446. C'est le faux bel esprit, c'est l'ignorance présomptueuse qui font éclore les doutes et les préjugés; c'est l'orgueil, c'est l'obstination qui produisent les schismes et les hérésies; c'est le pyrrhonisme, c'est l'incrédulité qui favorise l'indépendance, la révolte, les passions, tous les forfaits.

447. Rarement avec l'esprit de détail on a celui des grandes vues.

448. Pour le peu de louanges que l'esprit nous attire, à combien de reproches ne nous expose-t-il pas? Il nous découvre quelques vérités mais qui peut nombrer les erreurs où il nous plonge? Il nous fait des amis; mais combien nous suscite-t-il de rivaux ? Et s'il a des qualités aimables, combien n'at-il pas de travers choquants? Que de malheureux, que de coupables n'a-t-il pas toujours faits dans le monde? Que de trahisons, d'injustices, d'infâmes passions n'a-t-il pas justifiées? Que de vertus n'a-t-il pas décriées? Il n'est pas jusqu'aux mystères les plus sa

crés qu'il n'ait taché de pénétrer pour s'enhardir à ne les pas croire.

449. Il faut se former l'esprit sur les anciens, et le goût sur les modernes.

450. L'esprit galope d'ordinaire, le jugement ne va que le pas.

451. L'homme d'esprit ne raisonne que d'après ce qu'il a appris: l'homme de génie que d'après lui-même.

452. Pourquoi mépriser les gens qui n'ont point d'esprit ? Ce n'est pas en eux un mal volontaire.

453. L'esprit est peu de chose, quand ce n'est que de l'esprit.

454. Juge fastueux toujours prêt à prononcer, maître altier, voulant toujours instruire, l'esprit se concilie rarement les cœurs, et plus rarement il excite la haine et l'envie.

455. Un luxe d'esprit suit presque toujours le luxe des mœurs.

456. On peut faire grâce à un homme d'esprit, de quelques qualités de l'esprit; mais on ne doit faire grâce à l'honnête homme d'aucune qualité du cœur; il doit les avoir toutes, ou travailler du moins à les acquérir. Le mérite du cœur est indivisible.

457. On ne s'aperçoit pas de sa santé quand on en jouit. Il devrait en être de même de l'esprit, quand on en a.

458. Dès que dans la conversation on a senti le bout de l'esprit de ceux avec qui l'on parle, on doit s'arrêter; tout ce qu'on dirait au delà n'étant plus compris, pourrait passer pour ridicule.

459. C'est du moins une sorte d'esprit que de savoir se servir de l'esprit des

autres.

460. Que de vide doit se trouver dans un esprit qui ne veut se remplir que d'évidence! 461. Qu'est-ce que l'esprit, et quelle estime doit-on en faire, dès que ses avantages ne peuvent balancer ses dangers?

462. Il y a des gens d'esprit qui n'ont point de goût, des gens de goût qui n'ont point d'esprit, des personnes vives sans goût, des complaisants sans vivacité, des gens polis sans sentiment et sans âme. D'ordinaire, les gens d'esprit sont vains et tranchants; les gens de goût, vétilleux; les gens vifs, inconsidérés; les complaisants, trop circonspects et trop timides, les gens polis, trop cérémonieux. De-là vient aussi qu'il n'y a de sociétés agréables que celles où se trouvent les mêmes penchants, les mêmes vertus ou les mêmes défauts, des sentiments et des caractères qui se rapprochent, des talents à peu près semblables et dont aucun ne s'annonce pour se faire remarquer.

463. La curiosité naturelle à l'homme lui inspire l'envie d'apprendre, ses besoins lui en font sentir la nécessité, ses emplois lui en imposent l'obligation, ses progrès lui en font goûter le plaisir. Ses premières découvertes augmentent l'avidité qu'il a de savoir plus il connaît, plus il sent qu'il a do connaissances acquises, plus il a de facilité à bien faire.

464. Faut-il s'étonner de la décadence des lettres, dans un siècle où la plupart de ceux qui les cultivent se supposent plus de talents qu'ils n'en ont, et d'ordinaire les talents même les plus mal assortis aux qualités de leur génie?

465. On se suppose des talents que l'on n'a pas, et par cela même on se croit destiné à un rang plus élevé que celui que l'on occupe. De-là le malheur général de l'humanité. Une partie contriste l'autre par le mérite qui l'élève et la distingue, et l'autre maltraite le mérite qui l'offusque et l'avilit.

466. Les uns souffrent des vertus et des talents qu'ils ont, les autres se font un supplice des talents ou des vertus qui leur manquent. Ainsi la moitié du genre humain fait le tourment de l'autre, parce que l'envie qui date du commencement du monde, et qui y règne avec empire, afflige et désole également et les cœurs nobles et vertueux qui l'excitent sans le vouloir, et ces cœurs massifs et rampants qui s'y livrent par un sentiment d'amour-propre, ou pour mieux dire par un honteux désespoir de leur faiblesse et de leur impuissance.

467. Indifféremment aujourd'hui on subtitue les beautés d'un talent aux beautés d'un autre; on confond, on dénature les genres, on remplace par l'élégance du style, la force du raisonnement, par la régularité du dessein, la chaleur du pathétique: par la délicatesse des détails, la noble hardiesse des images. Un goût arbitraire n'enfante plus que monstres. L'éloquence prend un air de dissertation, la dissertation le ton moelleux de l'éloquence, la prose emprunte le brillant et l'harmonie des vers, les vers imitent la marche uniforme de la prose; la tragédie débite des maximes et n'attendrit point, la comédie devient sérieuse et veut arracher des larmes; l'épopée dépourvue de fixions raconte comme l'histoire; l'histoire donne dans le merveilleux revêtu de tout l'éclat des phrases épiques. Que dirai-je enfin? on découvre l'art lorsqu'il doit être caché; on embellit lorsqu'il s'agit de simplifier; on déplace, on dérange tout dans la nature, qu'il ne faudroit qu'imiter, et comme dit Horace en un semblable sujet, « des dauphins dans les forêts, et des sangliers au milieu des ondes. »>

468. Les talents les plus heureux restent ordinairement dans l'obscurité, et tel homme qui aurait pu illustrer sa patrie, rampe dans le vil atelier d'un artisan, et ne sent qu'à regret les efforts d'un génie qui se devine sans se bien connaître, et met forcément de l'importance à des riens dont il est forcé de s'occuper pour vivre.

469. La plupart de ceux dont les connaissances ont élevé l'âme, et qui seraient capables des plus éminents emplois, se voyant obligés pour les obtenir, de faire la cour à des hommes médiocres et trop bornés pour apprécier leur mérite, prennent le parti de la retraite, dont le prix augmente chaque jour à leurs yeux, et s'estiment heureux de n'avoir qu'à répondre à eux-mêmes de leurs études

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