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il faut plus d'efforts pour s'en détromper que pour s'en préserver.

L'éducation ordinaire est bien éloignée d'être systématique. Après quelques notions. imparfaites de choses assez peu utiles, on recommande, pour toute instruction, les moyens de faire fortune, et pour morale la politesse; encore est-elle moins une leçon d'humanité qu'un moyen nécessaire à la fortune.

Cette politesse si recommandée, sur laquelle on a tant écrit, tant donné de préceptes et si peu d'idées fixes, en quoi consistet-elle? On regarde comme épuisés les sujets, dont on a beaucoup parlé, et comme éclaircis ceux dont on a vanté l'importance. Je ne me flatte pas de traiter mieux cette matière qu'on ne l'a fait jusqu'ici; mais j'en dirai mon sentiment en peu de mots. Il y a des sujets inépuisables: d'ailleurs il est utile que ceux qu'il nous importe de connaître soient envisagés sous différentes faces et vus par différents yeux. Une vue faible, et que sa faiblesse même rend attentive, aperçoit quelquefois ce qui avait échappé à une vue étendue et rapide.

La politesse est l'expression ou l'imitation des vertus sociales; c'en est l'expression, si elle est vraie, et l'imitation, si elle est fausse : et les vertus sociales sont celles qui nous rendent utiles et agréables à ceux avec qui nous avons à vivre. Un homme qui les posséderait toutes, aurait nécessairement la politesse au souverain degré.

Mais comment arrive-t-il qu'un homme d'un génie élevé, d'un cœur généreux, d'une justice exacte, manque de politesse, tandis qu'on la trouve dans un homme borné, intéressé et d'une probité suspecte? C'est que le premier manque de quelques qualités sociales, telles que la prudence, la discrétion, la réserve, l'indulgence pour les défauts et les faiblesses des hommes. Une des premières vertus sociales est de tolérer dans les autres ce qu'on doit s'interdire à soi-même. Au lieu que le second, sans avoir aucune vertu, a l'art de les imiter toutes. Il sait témoigner du respect à ses supérieurs, de la bonté à ses inférieurs, de l'estime à ses égaux, et les persuader tous qu'il en pense avantageusement, sans avoir aucun des sentiments qu'il imite.

On ne les exige pas même aujourd'hui, et l'art de les feindre est ce qui constitue la politesse de nos jours. Cet art est souvent assez ridicule et assez vil pour être donné pour ce qu'il est, c'est-à-dire pour faux.

Les hommes savent que les politesses qu'ils se font ne sont qu'une imitation de l'estime. Ils conviennent, en général, que les choses obligeantes qu'ils se disent ne sont pas le langage de la vérité, et, dans les occasions particulières, ils en sont les dupes. L'amour-propre persuade grossièrement à chacun que ce qu'il fait par décence, on le lui rend par justice.

Quand on serait convaincu de la fausseté des protestations d'estime, on les préférerait encore à la sincérité, parce que cette

fausseté a un air de respect dans les occasions où la vérité serait une offense. Un homme sait qu'on pense mal de lui, cela est humiliant; l'aveu qu'on lui en ferait serait une insulte, on lùi ôterait par là la res source de chercher à s'aveugler lui-même, et on lui prouverait le peu de cas qu'on fait de lui. Les gens les plus unis et qui s'estiment à plus d'égards, deviendraient ennemis mortels, s'ils se témoignaient complétement ce qu'ils pensent les uns des autres. Il y a un certain voile d'obscurité qui conserve bien des liaisons, et qu'on craint de lever de part et d'autre.

Je suis bien éloigné de conseiller aux hommes de se témoigner durement ce qu'ils pensent; parce qu'ils se trompent souvent dans les jugements qu'ils portent, et qu'ils sont sujets à se rétracter bientôt, sans juger ensuite plus sainement. Quelque sûr qu'on fût de son jugement, cette dureté n'est permise qu'à l'amitié, encore faut-il qu'elle soit autorisée par la nécessité et l'espérance du succès. Les opérations cruelles n'ont été imaginées que pour sauver la vie, et les palliatifs pour adoucir les douleurs.

Laissons à ceux qui sont chargés de veil ler sur les mœurs, le soin de faire entendre les vérités dures; leurs voix ne s'adressent qu'à la multitude; mais on ne corrige les particuliers qu'en leur prouvant de l'intérêt, et ménageant leur amour-propre.

Mais quelle est donc l'espèce de dissimulation permise, ou plutôt quel est le milieu qui sépare la fausseté vile de la sincérité offensante? Ce sont les égards réciproques qui font le lien de la société, et qui naissent du sentiment de ses propres imperfections et du besoin qu'on a d'indulgence.

On ne doit ni offenser ni tromper les hommes.

Il semble que, dans l'éducation des gens du monde, on les suppose incapables de vertus, et qu'ils auraient à rougir de se montrer tels qu'ils sont. On ne leur recommande qu'une fausseté qu'on appelle politesse. Ne dirait-on pas qu'un masque est an remède à la laideur?

La politesse d'usage n'est qu'un jargon fade, plein d'expressions exagérées, aussi vides de sens que de sentiment.

La politesse, dit-on, marque cependant l'homme de naissance; les plus grands sont les plus polis. J'avoue que cette politesse est le premier signe de la hauteur, un rempart contre la familiarité. Il y a bien loin de la politesse à la douceur, et plus loin encore de la douceur à la bonté. Les grands qui écartent les hommes à force de politesses sans bonté, ne sont bons qu'à être écartés eux-mêmes à force de respects sans attachement.

La politesse, ajoute-t-on, prouve l'éducation soignée, et qu'on a vécu dans un monde choisi; elle exige un tact si fin, un sentiment si délicat sur les convenances, que ceux qui n'y ont pas été initiés de bonne heure, font dans la suite de vains efforts pour l'acquérir, et ne peuvent jamais en saisir la

grâce. Premièrement, la difficulté d'une chose n'est pas une preuve de son excellence. Secondement, il serait à désirer que des hommes qui, de dessein formé, renoncent à leur caractère, n'en recueillissent d'autre fruit que d'être ridicules: peut-être cela les ramènerait-il au vrai et au simple. D'ailleurs cette politesse si exquise n'est pas aussi rare, que ceux qui n'ont pas d'autre mérite voudraient le persuader. Elle produit aujourd'hui si peu d'effet, la fausseté en est si reconnue, qu'elle en est quelquefois dégoûtante pour ceux à qui elle s'adresse, et qu'elle a fait naître à certaines gens l'idée de jouer la grossièreté et la brusquerie pour imiter la franchise, et couvrir leurs desseins. Ils sont brusques sans être francs, et faux sans être polis.

Ce manége est déjà assez commun pour qu'il dût être plus reconnu qu'il ne l'est en

core.

Il devrait être défendu d'être brusque à quiconque ne ferait pas excuser cet inconvénient de caractère par une conduite irréprochable.

Ce n'est pas qu'on ne puisse joindre beaucoup d'habileté à beaucoup de droiture; mais il n'y a qu'une continuité de procédés francs qui constate bien la distinction de l'habileté et de l'artifice.

On ne doit pas pour cela regretter les temps grossiers où l'homme uniquement frappé de son intérêt, le cherchait toujours par un instinct féroce au préjudice des auires. La grossièreté et la rudesse n'excluent inéme ni la fraude ni l'artifice, puisqu'on les remarque dans les animaux les moins disciplinables.

Ce n'est qu'en se polissant que les hommes ont appris à concilier leur intérêt particulier avec l'intérêt commun, qu'ils ont compris que, par cet accord, chaque homme tire plus de la société qu'il n'y peut mettre.

Les hommes se doivent donc des égards, puisqu'ils se doivent tous de la reconnaissance. Ils se doivent réciproquement une politesse digne d'eux, faite pour des êtres pensants, et variée par les différents sentiinents qui doivent l'inspirer.

Ainsi la politesse des grands doit être de l'humanité; celle des inférieurs de la reconnaissance, si les grands le méritent; celle des égaux de l'estime et des services mutuels. Loin d'excuser la rudesse, il serait à désirer que la politesse qui vient de la douceur des mœurs fût toujours unie à celles qui partirait de la droiture du cœur.

Le plus malheureux effet de la politesse d'usage, est d'enseigner l'art de se passer des vertus qu'elle imite. Qu'on nous inspire dans l'éducation l'humanité et la bienfaisance, nous aurons la politesse, ou nous n'en aurons plus besoin.

Si nous n'avons pas celle qui s'annonce par les grâces, nous aurons celle qui annonce l'honnête homme et le citoyen; nous n'aurons pas besoin de recourir à la fausseté.

Au lieu d'être artificieux pour plaire, il

suffira d'être bon; au lieu d'être faux pour flatter les faiblesses des autres, il suffira d'être indulgent.

Ceux avec qui l'on aura de tels procédés, n'en seront que reconnaissants, et en deviendront meilleurs.

Tels sont les fondements sur lesquels l'éducation générale devrait porter, pour préparer les instructions particulières. (DUCLOS.)

EDUCATION PARFAITE (L'). Le court traité qui suit, publié en 1734, par l'abbé de Bellegarde, est remarquable par la sagesse et la netteté de ses enseignements moraux et religieux; et quoique sous une forme des, plus simples, ce n'en est pas moins une sorte de petit chef-d'œuvre, en ce sens qu'il se fait aussi bien comprendre de l'intelligence la plus ordinaire que de la plus élevée, en fournissant égaleinent à toutes les deux une utile direction pour la vie pratique. C'est un avantage en effet qu'avaient nos pères sur la génération ac- · tuelle, de savoir aborder, dans les termes les plus vulgaires les questions de la plus haute portée; lequel avantage les mettait à même de faire fructifier, dans tous les esprits, les germes qu'ils s'attachaient à y répandre pour le plus grand profit de l'humanité. De nos jours, sans aucun doute, nous voyons profondément remuer les mêmes principes dans un but analogue, et le progrès s'est manifesté aussi dans les déductions obtenues du raisonnement, comme dans la perfection des choses manuelles; mais notre phraséologie actuelle nuit en général à la diffusion des idées; elle offre, dans l'ordre moral, ce que présente, dans l'ordre physique, un champ où les mauvaises herbes étouffent la bonne semence; et nos théories ressemblent si fréquemment à des énigmes, que la plupart de ceux qui les entendent renoncent à en chercher le mot. Voyons comment a procédé l'abbé de Bellegarde, pour ce qu'il nomme l'éducation parfaite.

1. L'homme que j'essaye de caractériser, est un homme rare en tout, doué de tous les talents nécessaires pour être un grand homme selon le monde, et un homme par excellence selon Dieu.

2. Grand juge, grand magistrat, grand conseiller pour lui-même et pour les autres. Grand observateur des lois, grand dans tous ses desseins et dans toutes ses actions.

3. Comme il a un cœur entièrement différent de celui des autres, il a aussi des inclinations toutes différentes. Elles sont toutes belles et toutes bonnes, parce qu'elles sont toutes droites, qu'elles ont toutes la raison pour règle, et Dieu pour fin.

4. Il vit d'intelligence avec tout le monde, il regarde la contradiction comme une offense.

5. Il ne condamne le jugement de personne, et tâche de régler le sien par la vérité.

6. Il excuse les défauts des autres. En les vo ant il se regarde, et s'il découvre

quelques-uns en lui-même, il les corrige pour n'être à charge à qui que ce soit.

7. Quelque digne de blâme et de censure qu'on lui paraisse, il ne blâme et ne censure personne quand on ne relève point de Jui, et qu'on n'est pas obligé de le reconnaître pour maître et pour supérieur.

8. Il se retire chez lui sans jamais se répandre au dehors. Il s'enferme dans le sanctuaire du silence, et si la raison l'en fait sortir quelquefois, ce n'est jamais que pour se communiquer à peu de personnes et toujours à d'autres sages.

9. Il évite les engagements du monde, parce qu'il sait qu'un engagement en entraîne après soi un autre plus grand, et que d'ordinaire le précipice est à côté.

10. I ne s'engage point non plus volontiers dans les grandes affaires : il sait qu'il y a bien du chemin à faire avant d'en voir l'issue et la fin.

11. Quand il le fait, sa prudence domine et cautionne les suites.

12. Toujours guidé par la raison, il avance avec sécurité.

13. S'il voit quelque étourdi prêt à s'aventurer, comme il ne se soumet ni à l'opinion, ni à la coutume, il se garde bien de faire le deuxième.

14. Il n'a d'autre règle de ses actions que sa propre conscience. Il fait ce que la raison lui commande, et s'abstient de ce qu'elle lui défend,

15. Il ne fait rien par caprice : il en a horreur. La crainte ne le gouverne jamais.

16. Toujours éclairé d'une forte lumière qui lui fait heureusement voir le bien qu'il doit pratiquer et le mal qu'il doit fuir, la vertu qu'il doit suivre et le vice qu'il doit éviter; il abhorre tout ce qui fait ombrage à son innocence, et recherche avec une sainte avidité tout ce qui peut la lui conserver.

17. Ce qu'il fait, il le fait toujours convenablement; moins pour paraître homme de bien à ceux du monde qui l'examinent, que parce qu'il ne peut se résoudre à faire au

trement.

18. Si on le reprend, il remercie et se corrige.

19. Il n aime l'utile qu'autant qu'il est honnête, et s'il ne fait point ce qui est inconvenant, c'est de peur d'inquiéter sa conscience et de blesser sa propre modestie, piutôt que par la crainte de la rigueur de l'autorité des supérieurs.

20. Dans les choses douteuses et difficiles, il consulte toujours la raison, et ne manque jamais de prendre sa conscience à témoin de sa sincérité dans ses actions, de sa droiture dans ses intentions et de son désintéressement en tout.

21. Ia soin, par sa vigilance continuelle et par ses fréquentes réflexions sur ses propres défauts, d'être et de s'entretenir toujours tel qu'il n'ait pas de quoi rougir devant lui-même,

22. La persuasion où il est que pour éviter de censurer des hommes, il faut se censurer soi-même et se condamner, fait qu'il

ne se pardonne rien. Il s'examine dans toute sa conduite, il pèse toutes ses paroles, il rappelle toutes ses actions, il scrute tout, jusqu'à ses pensées, et s'il se trouve coupable, il se châtie.

23. Il n'y aurait point de lois d'établies dans le monde, qu'il vivrait toujours bien.

24. Il n'attend pas qu'elles fassent usage sur lui de ce qu'elles ont d'autorité en ellesmêmes pour faire obéir la raison, en les lui faisant prévenir, le rend soumis à ce qu'elles veulent, et, ponctuel à faire volontairement et gaiement ce qu'elles commandent, et que les autres ne font souvent que par contrainte.

25. Toujours maître de ses passions, de leurs mouvements et de soi-même, il ne s'emporte jamais. Jamais, non plus, il n'agit par impétuosité, par ressentiment, ni par précipitation.

26. Il attend tout de Dieu, et rien de la fortune.

27. Il ne s'empresse pour rien, il ne se passionne de rien, et il sait attendre du temps, ce que le temps lui refuse.

28. Qu'il soit lent ou habile à faire ce qu'il fait, il n'y prend pas garde; il considère seulement s'il fait bien ce qu'il fait ; il croit même que ce que l'on fait est assez tôt fait, quand il est bien fait.

29. Il ne se hâte ni ne se presse jamais, parce qu'il est persuadé qu'il est impossible à l'homme de rien faire de très-excellent à la hâte, et que les ouvrages qui sont le plus tôt achevés, ne sont pas les plus parfaits; que souvent même ils ne sont pas sans imperfections.

30. S'il parle, il parle peu, mais ce qu'il dit est bon et signifie beaucoup. Il ne parle jamais contre sa pensée, mais il ne la dit pas toujours.

31. Il ne brigue point les magistratures, ni les grandes dignités : il les obtient toutes avant qu'il ait eu le temps de les désirer; mais aussi il les abandonne toutes avant qu'elles soient désirées des autres.

32. Il y entre sans ambition et sans violence; tandis qu'il y est, il les exerce avec intégrité, avec modestie, sans attache et sans ostentation; mais s'il les faut quitter, il en sort sans chagrin et sans contrainte.

33. Il n'a de commerce qu'avec des personnes qui ont le goût de la sagesse et de bonnes mœurs, parce qu'il sait que le goût se forme dans la conversation; que les mœurs, les humeurs, l'esprit même se communiquent insensiblement; et que l'on hérite du goût d'autrui par la fréquentation.

34. Il se croit heureux de rencontrer des gens qui aient une noble inclination, c'està-dire, qui tendent à la sagesse et au souverain bien, parce qu'il sent que le penchant qu'il a vers ces mêmes objets se fortifie en lui à mesure que la communication avec eux devient grande.

35. Il conserve toujours son crédit et commande l'admiration, parce qu'il ne laisse jamais voir les bornes de sa capacité, ni sonder le fond de son savoir et de son adresse,

36. Il a toujours l'esprit présent, pense à tout ce qu'il faut, à tout ce qu'il doit, et ne manque en rien, ni à rien, faute de prévoyance, ou par égarement.

37. Avant de rien entreprendre, il tente ses forces, il sonde son fond, et jamais il ne s'engage qu'il ne connaisse son adresse, son activité, et ne sache où pent aller sa capacité pour toutes choses.

38. Quoique le renom de la sagesse soit le triomphe de la renommée, il ne cherche pas toutefois précisément à passer pour sage parmi les hommes dans tout ce qu'il entreprend il ne tend uniquement qu'à contenter ceux qui en ont véritablement le fond et le caractère, en se contentant lui

même,

39. Que tout le monde condamne ses entreprises et se récrie contre, pourvu qu'il ait l'approbation des gens de mérite, des personnes reconnues capables d'être bons juges de la chose, et celle de sa conscience et de sa raison, il laisse crier tout le monde et ne dit mot,

40. Il ne se travaille point à chercher dans de vaines subtilités les moyens de terminer heureusement ses affaires : il se tranquillise dans sa patience, et pourvu qu'il soit prudent, il se soucie peu d'être subtil, parce qu'il est convaincu qu'un grain de prudence vaut mieux qu'un magasin de subtilités.

41. Pour venir à bout de ses projets, il ne s'en tient pas au premier coup d'essai: du premier il passe au second, et toujours il avance; mais comme il sait que les affaires dépendent de beaucoup de circonstances, si les choses et les occasions changées rendent tout contraire à ses desseins, il lache prise et ne s'opiniâtre jamais, ni contre la raison, ni contre la nature.

42. I ne demeure jamais oisif un moment à peine a-t-il achevé une chose qu'il en commence une autre ; et quand il a expédié les affaires qui pressent, toute sa récréation est de changer de travail et d'occucupations.

43. Quoi qu'il voie, quoi qu'il entende, il ne donne point d'entrée aux impressions populaires. Il regarde le monde et ses coutumes comme deux trompeurs qui sont d'intelligence.

44. Il veille continuellement à la pureté de son âme et au recueillement de ses sens, et tous les jours il tâche de se rendre meilleur et plus admirable.

45. Il ne manque jamais, parce qu'il consulte toujours sa conscience, et qu'il ne fait que ce que sa raison lui ordonne.

46. Qui voit ce qu'il fait un jour, voit ce qu'il fait tous les jours de sa vie. Sa nourriture, ses repas, ses occupations, son sommeil, tout est réglé : jamais d'excès, jamais de désordre.

47. Il ne cherche point à acquérir de la réputation par une vaine ostentation de sa grandeur et de son mérite, ni par aucun autre artifice c'est dans la vertu et dans l'amour de l'ordre qu'il prétend s'en faire une solide et substantielle; et quand une fois il

se l'est acquise par sa droiture et par son équité, il se la conserve par un attachement inviolable à tout ce qui est honnête.

48. Il est dissimulé par raison. La prudence ne veut pas qu'on parle à cœur ouvert à tout le monde, ni toujours.

49. Il désappointe par son adresse et par son esprit, la curiosité de celui qui s'applique à le connaître, peut-être plutôt pour lui nuire que pour en faire un ami.

50. Il se défie de ces gens rampants qui l'abordent et qui le louent; il craint qu'ils ne le flattent que pour le frapper; qu'ils n'en veuillent aux intérêts de sa famille plutôt qu'à ses propres amitiés; et qu'ils ne lui fassent un grand récit de leurs affaires pour l'engager à leur raconter les siennes.

51. Il leur cache sa volonté et ne leur découvre pas sa pensée. Ce serait ouvrir à ces ennemis politiques, à ces faux amis la porte de la forteresse de son esprit, et dans la suite ils pourraient lui livrer un assaut avec succès.

52. I use de réserve et de déguisement avec eux, et il ne marche jamais qu'il n'ait l'œil ouvert sur leurs piéges.

53. Différent de ces personnes qui se croient assez sensées et assez éclairées d'ellesmêmes pour n'avoir besoin de prendre d'avis de qui que ce soit, il se laisse conduire, et ne fait rien de sa tête, parce qu'il n'a pas assez bonne opinion de sa propre suffisance.

54. Il a des amis, parce qu'il sait s'en faire; et il s'en fait, parce qu'il conçoit la misère de celui qui n'en a point, et qu'il est convaincu qu'il n'y a pas de désert si affreux que de vivre sans amis.

55. Il n'en a point toutefois de table, point de comédie, de carrosse, de collation, de réjouissance, ni de promenade, parce qu'il sait que tous ces amis-là ne sont bons que pour un jour de noces, ou durant la faveur et la prospérité; que les amitiés d'un ami de table ne durent qu'autant que le repas; qu'à l'heure du manger ce sont des serviettes dont on fait ce qu'on veut; mais qu'à l'heure de rendre service, ce sont des gens. qui ont les mains gourdes, qui font les inquiets, les embarrassés, et qui disent qu'ils ne peuvent être d'aucun secours.

56. Il n'en que de bons et de véritables qui aiment sa personne et qui ne regardent point la fortune, parce qu'il ne s'en fait aucun par l'entremise d'autrui, ni par hasard; mais qu'il se sert de tout ce qu'il a de prudence et de jugement pour les bien connaitre, et qu'il doit tous ceux qu'il a à l'examen de son discernement et à son bon choix.

57. Il ne se soucie pas de ce qu'il lui en coûte pour les connaître avant de se les associer il examine leur conduite, il épluche leurs actions, il pèse leurs paroles, il étudie leur génie et leur fond avec plus d'application qu'il n'étudierait les livres les plus abstraits et les plus métaphysiques parce qu'il sait ce qu'on risque en agissant différemment; soins, veilles, avis, recher

ches, il emploie tout, parce qu'il sait qu'il vaut mieux être trompé au prix, qu'à la

marchandise.

58. Il ne s'en rapporte pas aux belles apparences; il va au mérite et à la réalité, et regarde toujours avant de s'engager, si le dedans est conforme au dehors; parce qu'il sait que se tromper dans le choix des personnes de qui l'on se fait des amis, c'est la pire et la plus dangereuse de toutes les tromperies.

59. Pour discerner leur esprit et leur humeur, il les fait parler, parce qu'il sait qu'il faut tåter le pouls de l'esprit par la langue, conformément à la pensée du Sage qui dit : Parle si tu veux que je te connaisse.

60. Enfin, il les connaît, et comme il ne peut les croire plus parfaits qu'ils ne sont, il ne peut aussi les estimer plus qu'ils ne valent.

61. Mais s'il sait si bien se faire des amis, il sait mieux encore s'en servir et se les ménager; et c'est où paraît son adresse et sa prudence, car savoir se conserver ses amis, est plus que les avoir su faire et bien choisir.

62. Il sait mieux dissimuler leurs vices que leurs vertus; mais il ne veut ignorer ni leurs défauts, ni leurs fautes.

€3. Il conserve avec eux sa liberté tout entière, et s'il juge à propos de les reprendre, il le fait avec douceur pour les corriger; mais jamais il ne les censure pour leur faire de la peine en leur faisant honte.

64. Il les aime, il leur donne et ne leur demande rien.

65. S'il est en place et peut leur être utile, il y est porté d'inclination: il les avance, il les produit, souvent même sans qu'ils le sachent, et toujours sans qu'ils l'en aient prié.

66. S'il leur arrive quelque chose de fåcheux, il partage avec eux le chagrin qu'ils en ressentent; il les console, et leur offre ce qu'il peut pour les soulager, quand il ne peut leur donner ce qu'il voudrait pour les

remettre.

67. Il entre dans les nécessités de ceux qui sont pauvres; dans les maux de ceux qui sont affligés; et n'en néglige aucun, parce qu'il se représente qu'il peut aussi tomber,. et avoir besoin un jour de ceux-là même qu'il mépriserait, s'il en méprisait quelquesuns à cause de leur misère.

68. Leur présence n'augmente point l'amitié qu'il a pour eux, l'absence ne saurait la diminuer ; ce n'est jamais celle-là qui réveille en son esprit le souvenir des promesses qu'il leur a faites, de même que celleci ne lui fait jamais oublier son devoir.

69. Il ne se sert des uns que de loin, parce qu'il a reconnu qu'ils étaient meil

pour la correspondance que pour la conversation. Il se sert des autres pour l'entretien, parce qu'il a remarqué qu'ils étaient plus sages dans le conseil qu'heureux dans l'action, que leurs éclaircissements lui ont été utiles et leurs instructions avantageu

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70. Il ne souhaite ni aux uns ni aux au

tres, une grande fortune, parce qu'il craint de les perdre; et pour se les conserver il ne cherche point trop leur connaissance, parce qu'il sait que souvent d'obligés ils deviennent ennemis, dès qu'ils sont dans l'impuissance de rendre la pareille.

monde, on juge d'un homme par les amis 71. Au reste, comme il sait que, dans le qu'il a, il a soin de ne chercher que les amitiés de ceux qui sont en estime et en bonne réputation; qui savent et qui pratiquent enjeunes, ni étourdis, parce que, si un ami core mieux; et qui surtout ne soient ni prudent épargne bien des chagrins, on en reçoit au contraire tous les jours de celui qui n'est pas tel; que son imprudence les lui fait continuellement multiplier, et sa jeunesse entasser les uns sur les autres.

72. Attentif à tout, au présent, au passé pour se rendre sage; ce qui lui arrivera pour et à l'avenir, il regarde ce qui lui est arrivé s'y résoudre; et ce qui peut lui arriver pour ne pas être surpris.

dit; et quoiqu'il ne mente jamais, il ne dit 73. Il est fort circonspect dans tout ce qu'il pas néanmoins toujours toutes les vérités qu'il sait, parce qu'il sait aussi que la vérité est aigre et de dure digestion pour bien des gens, qu'il est bon enfin de l'adoucir quand on le peut.

74. Prudent et discret, il sait se taire lorsqu'il y a du danger à la dire; parce qu'en la disant il ferait plus de mal qu'il ne voudrait faire de bien, et qu'on l'accuserait de témérité.

qu'il en peut faire connaître, et ce qu'il en 75. Vif et pénétrant, il voit d'abord ce faut dissimuler, parce qu'il y aurait de la faut céler, et jamais il ne divulgue ce qu'il malice ou de l'imprudence. De même il ne naître, surtout lorsqu'il est consulté, parce dissimule pas ce qu'il en faut faire conqu'alors le silence est suspect, et que la réserve d'une fausse discrétion est souvent plus dangereuse et plus préjudiciable que l'indiscrétion du babil.

76. Il n'est pas comme ces personnes qui passent dans le monde pour gens d'importance, de mérite et de condition, parce qu'on ne les a ni pratiquées ni entretenues, et dont l'on prend, quand on les quitte, des opinions contraires à celles qu'on en avait avant de les aborder: plus il parle, plus il se fait admirer, et jamais il ne se retire qu'il ne laisse dans les esprits de nouvelles idées de son savoir et de sa vertu.

77. Il n'est ni trop hardi, ni trop timide; mais il parle toujours avec une assurance qui ne donne ni dans le faste, ni dans la bassesse.

78. Il n'écoute jamais son imagination, qu'elle ne conçoit pas seulement ce qu'il y parce qu'il sait qu'elle excède toujours, et a, mais encore ce qu'il y pourrait avoir.

79. Quelque vraisemblance qu'aient les qu'elle a coutume de les faire plus grandes choses qu'elle lui représente, prévenu qu'elles ne sont, il ne la croit point et s'en défie toujours.

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