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qui fassent de leur art, non une ostentation en savoir, mais une règle de vie? Qui s'obéissent à eux-mêmes, et qui mettent leurs propres maximes en pratique? On en voit quelques-uns si pleins de leur prétendu mérite, qu'il leur serait plus avantageux de n'avoir rien appris ; d'autres, avides d'argent; d'autres de gloire; plusieurs, esclaves de leurs plaisirs. Il y a, entre ce qu'ils disent et ce qu'ils font, un étrange contraste. Rien, à mon avis, de plus honteux. Car, enfin, qu'un grammairien parle mal, qu'un musicien chante mal, ce leur sera une honte d'autant plus grande, qu'ils pèchent contre leur art. Un philosophe donc, lorsqu'il vit mal, est d'autant plus méprisable, que l'art où il se donne pour maître, c'est l'art de bien vivre.

42. Qu'est-ce qu'être libre? pouvoir vivre comme on veut. Or, quelqu'un vit-il comme il veut, si ce n'est un homme guidé par la raison, qui se plaît à son devoir, qui a son plan de vie fait avec reflexion; qui obéit aux lois, non par crainte, mais par soumission et avec respect, parce qu'il sait que le salut en dépend; qui ne dit rien, ne fait rien, n'entreprend rien que de son goût et de son gré; qui part toujours de sa volonté, sans autre but que de l'accomplir, et sans que rien au monde soit capable de l'engager à se gouverner autrement qu'il ne veut, et qu'il ne croit le devoir? Quelque puissante qu'on croie la fortune, elle n'a point d'empire sur lui; car, comme l'a dit un poëte sensé (Juvénal): « Chacun, par son propre caractère, se fait sa fortune. » Ainsi, l'homme sage est le seul qui ne se trouve jamais exposé à rien faire par force ni à regret.

43. Un ingrat est haï de tout le monde; et, comme son injustice tend à refroidir la générosité, chacun s'y croit intéressé personnellement. On le regarde comme l'ennemi commun de tous ceux qui sont dans le cas d'avoir besoin qu'on leur fasse du bien.

44. Ce serait une absurdité de regarder comme juste tout ce qui, chez un peuple, aurait reçu la sanction des lois. Si les Athé niens avaient unanimement ratitié les lois de leurs trente tyrans, en seraient-elles devenues pour cela plus équitables? Il n'est qu'une justice, et c'est elle qui resserre plus étroitement les nœuds de la société : elle résulte, d'une unique loi; de celle de la droite raison, qui seule peut avoir le droit de commander et de défendre. Que cette loi soit écrite, ou qu'elle ne l'ait jamais été, quiconque l'ignore ou l'ose enfreindre est injuste.

45. Nos parents, nos nourrices, nos maîtres, nos poëtes, nos spectacles, les préjugés unanimes de la multitude dépravent nos caractères, et nous détournent de la vérité. Tous à la fois tendent des piéges à nos esprits. Ils nous reçoivent tendres encore et flexibles: ils nous plient et nous façonnent à leur gré. Mais nous sommes corrompus surtout par la mère de tous les maux, par l'imitatrice du bien, la volupté, qui, pour

nous dresser plus sûrement des embûches, se cache dans tous nos sens.

46. Avons-nous conservé la faculté de porter de nous-mêmes un jugement? Aucune nécessité ne nous force-t-elle à défendre des opinions qui nous ont été tracées et en quelque sorte prescrites? C'est alors que nous sommes véritablement libres; mais la plupart des hommes se trouvent liés à un sentiment, avant d'avoir pu discerner par eux-mêmes ce qu'il est le mieux de croire. Accoutumés dans l'âge le plus tendre à se soumettre à la voix d'un ami, ou gagnés par les discours du premier qui s'est emparé de leur intelligence, ils sont jelés par la tempête contre une opinion, et ils y restent attachés comme à un écueil.

47. Comme rien n'est plus beau que de connaître la vérité, rien n'est plus honteux que d'approuver le mensonge et de le prendre pour elle.

48. S'il est aisé de parvenir à la sagesse, nous devons l'acquérir, nous devons en jouir. S'il est difficile de l'atteindre, nous ne devons encore nous imposer des bornes dans la recherche du vrai qu'après l'avoir trouvé. Il est honteux de se lasser dans une recherche dont l'objet est si beau.

49. Celui qui se connaît sentira d'abord qu'il possède en lui-même quelque chose de divin. Il n'aura que des pensées, il ne fera que des actions dignes de ce présent des dieux; et quand il se prendra pour objet de ses propres méditations, quand il se sera scruté tout entier, il comprendra combien la nature lui a prodigué de moyens pour s'élever à la sagesse.

50. Il n'appartient qu'au sage de décider ce qui est sage.

51. Le temps ou un peu d'eau nettoie les taches du corps : le temps ni les eaux d'aucun fleuve ne peuvent enlever les taches de l'âme.

52. Celui qui commande doit obéir quelquefois, et celui qui obéit avec modestie paraît digne de commander.

53: Diriger, ordonner ce qui est juste, ce qui est utile, ce qui s'accorde avec les lois, telles sont les fonctions du magistrat. Des lois commandent aux magistrats, les magistrats au peuple, et l'on peut bien dire que le magistrat est une loi parlante, et la loi, un magistrat muet.

54 Il ne faut qu'un petit nombre, un très-petit nombre d'hommes élevés aux honneurs pour corriger ou corrompre les mœurs d'un Etat.

55. Rien de plus injuste, quand on forme une accusation, que de s'appesantir sur une longue énumération du mal, et de se taire sur le bien. Vous pourriez aisément, par ce moyen, rendre odieuse la magistrature, en rassemblant toutes les fautes des magistrats. Mais sans les abus qu'on se plaît à relever, on n'aurait pas le bien dont on jouit.

56. Il vaut mieux être. opprimé par la force dans une bonne cause, que de se prêter à une mauvaise.

57. Soyez revêtu de charges publiques, ou ne vous livrez qu'à des fonctions privées; suivez la carrière du barreau, ou renfermez-vous dans le soin de vos affaires domestiques; vivez avec vous seul, ou contractez des engagements avec les autres, aucune partie de votre vie ne peut être exempte de devoirs. L'honneur consiste à les observer, et la honte à les négliger.

58. Rechercher, sonder la vérité, semble être le propre de l'homme. Sommes-nous libres d'affaires indispensables, de soins embarrassants? Rien alors n'excite plus vivement nos désirs que de voir, d'entendre, de pénétrer ce que nous ignorons encore: alors, nous regardons comme nécessaire à notre bonheur la connaissance des merveilles dont la nature semble nous avoir fait un secret. Et, sans doute, rien n'est plus convenable à l'homme que le vrai dans toute sa pureté, dans toute sa simplicité.

59. Ainsi, nous nous sentons entraînés par une sorte de passion de savoir et de connaître. Rien ne nous semble plus beau que d'exceller par nos connaissances. Se méprendre, tomber dans l'erreur, ignorer, se laisser tromper est une honte.

60. On peut être injuste par la force, on peut l'être aussi par la ruse. La ruse est le propre du renard; la force, du lion. L'une et l'autre sont indignes de l'homme; mais la ruse est surtout odieuse. Est-il, en effet, un plus cruel attentat contre la justice, que de vouloir paraître honnête homme au moment même où l'on ne pense qu'à tromper?

61. Rien n'est plus conforme à la nature de l'homme que la bienfaisance; mais elle doit connaître des lois. Prenons garde si nos bienfaits ne nuisent point aux autres, et ne tournent pas contre ceux-mêmes qui en sont l'objet; si notre libéralité ne l'emporte pas sur nos moyens, et si nos présents répondent au mérite de ceux qui les reçoivent; car c'est le fondement de la justice à laquelle toutes nos actions doivent être subordonnées.

62. Il n'est pas rare de trouver des hommes qui, follement amoureux de l'éclat et de la gloire, arrachent aux uns pour donner aux autres. Qu'ils enrichissent leurs amis, il suffit: ils s'embarrassent peu des moyens qu'ils emploient, et se figurent qu'ils passeront pour généreux. Rien n'est plus contraire au devoir qu'une telle conduile.

63. Plaçons nos bienfaits sur ceux qui en ont le plus grand besoin; c'est à quoi l'on manque souvent on s'empresse surtout d'obliger ceux dont on espère le plus et qui n'ont besoin de rien.

64. Il est deux sortes d'hommes qui tirent de leurs dépenses un éclat différent : les uns ne sont que prodigues, les autres méritent le titre de généreux. Les premiers dissipent leurs richesses à donner des festins; les seconds, à secourir les infortunés. 65. Bien des gens sont fort éloignés d'être naturellement généreux mais, conduits par la vaine gloire, ils font tout ce qu'ils

peuvent pour le paraître. C'est par ostentation, c'est en quelque sorte en dépit d'euxmêmes qu'ils répandent des largesses. Cette fausseté tient beaucoup plus à une vanité puérile qu'à des sentiments honnêtes et

vertueux.

66. Evitons la folie de nous précipiter sans raison dans les dangers. Imitons la conduite des sages médecins ils n'opposent, aux maux légers que les plus doux remèdes; mais ils sont obligés de combattre les grandes maladies par des remèdes quelquefois dangereux, et dont l'effet n'est pas toujours assuré. Dans le calme, c'est une démence de provoquer la tempête; mais quand elle est arrivée, l'habile pilote emploie toutes les ressources de l'art pour la combattre.

67. Témoignez des égards et même de la déférence non-seulement aux hommes les plus vertueux, mais à tous ceux avec qui vous vous trouvez. Ne se pas mettre en peine de ce que les autres pensent de vous, ce n'est pas seulement arrogance, c'est oubli de toute pudeur.

68. Que la négligence et la témérité soient également bannies de toutes nos actions; ne faisons rien dont nous ne puissions rendre une raison satisfaisante. En établissant ces deux principes, j'ai presque donné la définition de nos devoirs.

69. Imposons à nos désirs de se soumettre à la raison; ne leur permettons ni de s'élancer devant elle ni de l'abandonner par paresse et par lâcheté ; qu'ils soient toujours tranquilles, et que jamais ils ne portent le trouble dans notre âme : c'est de là que résultent la constance et la modération.

70. La nature ne nous a pas formés pour n'être occupés que de jeux et de bagatelles; elle nous a plutôt destinés à une sorte de sévérité et à des occupations graves et importantes. S'il est quelquefois permis de se livrer aux jeux et aux amusements, c'est, comme on s'abandonne au repos et au sommeil, après avoir satisfait aux affaires sérieuses.

71. La bienséance consiste à ne rien faire en dépit de la nature. Sans doute rien n'est plus beau que le parfait accord de tous les instants de notre vie, que l'harmonie de toutes nos actions entre elles; mais vous ne parviendrez jamais à conserver cet heureux accord, si, négligeant votre naturel, vous voulez imiter celui des autres.

72. L'homme privé doit vivre comme égal avec ses concitoyens, sans bassesse, sans abjection, sans hauteur, ne rien vouloir que d'honnête, et contribuer, par sa conduite, à maintenir le repos de la société.

73. Ceux qui ont consacré leur vie à l'étude, et qui en ont employé tous les instants à s'enrichir de nouvelles connaissances, ne peuvent être accusés d'avoir abandonné l'utilité commune. La patrie leur doit au contraire de grands avantages: les lumières qu'ils ont communiquées ont éclairé leurs concitoyens, les ont rendus meilleurs et plus propres à servir l'Etat.

74. On s'est insensiblement écarté de la vérité; on en est venu jusqu'à séparer l'hon

nête de l'utile, jusqu'à supposer qu'il y a quelque chose d'honnête qui n'est pas utile, et quelque chose d'utile qui n'est pas honnête. Jamais l'homme ne pourra concevoir une opinion plus fausse à la fois, et plus pernicieuse, plus funeste aux bonnes mœurs.

75. Il faut absolument que ceux qui cherchent à inspirer de la crainte redoutent eux-mêmes ceux à qui ils en veulent inspirer.

76. Voulez-vous mériter de la confiance? joignez la justice à l'habileté. La justice sans prudence aura seule encore beaucoup de force; la prudence sans justice n'est bonne à rien.

77. Croire que par la fourberie, par une vaine ostentation, par une physionomie composée, par le mensonge, on puisse acquérir une gloire solide, c'est être bien loin de la vérité. La vraie gloire jette ses profondes racines, croît et se propage. Tout ce qui est faux se flétrit et tombe, comme une fleur qui ne dure qu'un jour. Rien de contrefait ne peut avoir une longue durée.

78. Non-seulement entre les maux qu'on ne peut éviter il faut tâcher de choisir les plus supportables; mais il faut chercher encore si l'on ne pourrait pas en tirer quelque avantage.

79. Chacun doit se proposer, pour règle de sa conduite, que sa propre utilité soit en même temps celle de tous.

80. S'il est vrai que la nature elle-même prescrive à l'homme d'être utile à son semblable, par la seule raison qu'il est homme, elle veut donc aussi que tous les intérêts particuliers se réunissent pour l'intérêt commun.

81. Ce qui est honteux ne peut jamais être utile, quand il nous ferait même acquérir ce que nous appelons de grands avantages; car c'est déjà le malheur le plus déplorable que de regarder comme utile ce qui est malhonnête.

82. Prétendre qu'on n'est pas obligé de tenir la parole donnée à l'homme infidèle et perfide, c'est chercher une fausse et coupable excuse au parjure.

83. Ceux qui n'ont en eux-mêmes aucune ressource pour charmer le cours de leur vie, trouveront que tous les âges sont un fardeau pesant à soutenir; mais si l'on ne cherche la félicité que dans son propre cœur, on saura se procurer des douceurs dans tout ce que la nature et la nécessité nous imposent.

84. Jointe à la grande misère, la vieillesse n'a pas de douceurs, même pour le sage; unie à la plus grande fortune, elle est encore fâcheuse pour l'insensé.

85. Les respects, l'amour de la jeunesse font le charme de l'âge avancé. Comme les sages vieillards se plaisent à la conversation des jeunes gens qui montrent un heureux caractère, de même la jeunesse honnête aime à recevoir des leçons des vieillards, et à se laisser guider par eux dans l'étude de la vertu:

86. La perte de nos forces est bien plus

souvent causée par les vices de la jeunesse que par le ravage des années. C'est la jeunesse intempérante et licencieuse qui livre à la viellesse un corps usé.

87. Rien ne me semble long dès que j'en prévois le terme. Quand une fois ce terme est arrivé, que tout ce qui a pu le précéder est écoulé, que vous en reste-t-il? Ce que vous avez acquis par vos bonnes actions et vos vertus. Les heures, les jours, les mois, les années, tout fuit: le temps passé ne revient plus et l'on ne peut savoir ce qui doit suivre.

88. Je ne me repentirai pas d'avoir vécu, si j'ai vécu de manière à me rendre témoignage que je ne suis pas né en vain.

89. Si vous ôtez de la vie le lien de la bienveillance, les maisons ne pourront subsister, les villes seront renversées, les champs resteront sans culture.

90. Comparons à l'éternité la plus longue vie de l'homme, elle nous paraîtra presque aussi courte que celle de ces insectes qui ne vivent qu'un jour.

91. La vertu ne demande d'autre prix de ses travaux et des dangers qu'elle brave, qu'un tribut de louanges et de gloire, Oteznous cette récompense, qui pourra nous engager, dans la courte durée de cette vie, à

nous embarrasser de tant de soins.

92. Si la fortune nous enlève nos richesses, si l'injustice nous les ravit, tant que la réputation reste, l'honneur peut nous consoler aisément de la pauvreté.

93. Souvent une mort honorable répáte la honte de la vie.

94. La véritable gloire, la grandeur d'âme, la sagesse, brillent d'un tel éclat qu'elles semblent nous avoir été données en propre par la vertu, tandis que tout le reste nous est prêté par la fortune.

Pour celui qui voit tout s'éteindre avec sa 95. Pour qui la mort est-elle terrible? vie, mais non pour celui dont la gloire ne peut mourir. C'est ainsi qu'on trouve l'exil affreux quand on a resserré son habitation dans un espace étroit, mais non quand on regarde le monde entier comme une ville.

96. L'homme utile peut avoir assez vécu pour la nature, j'en conviens; assez même pour sa gloire, je le veux; mais il a toujours trop peu vécu pour sa patrie.

97. C'est un grand pouvoir que celui de la conscience: il ne se fait pas moins sentir lorsqu'il ête toute crainte à l'innocent, qu'en offrant sans cesse aux yeux du coupable tous les supplices qu'il a mérités.

98. Il est des maladies qui dépravent les sens et font perdre aux mets leur saveur : la cupidité, l'avarice, la scélératesse détruisent le goût de la vraie gloire.

99. Dans la crainte et dans le danger, on est plus porté à croire aux prodiges, on en invente plus impunément.

100. Je ne sais comment il ne se peut rien dire de si absurde qui n'ait été avancé par quelque philosophes.

101. Celui qui séduit un juge par les prestiges de son éloquence, me paraît plus cou

pable que celui qui le corrompt à prix d'argent.

102. Ce ne sont pas des philosophes, mais d'adroits imposteurs, qui soutiennent qu'on est heureux quand on peut vivre d'une manière conforme à ses désirs. Cela est faux. Former de coupables désirs, c'est le comble du malheur, et il est encore moins fâcheux de ne pas obtenir ce qu'on souhaite, que de parvenir à ce qu'il est criminel de désirer.

CIRE (Dicton). Pour exprimer qu'on cherche à amener une chose à la perfection, comme si elle sortait d'un moule, on emploie ce dicton : Faire comme de cire.

CIVIÈRE (Prov.). Pour peindre la dégénération de certaines familles nobles, on dit d'elles proverbialement : Cent ans bannière, cent uns civière.

CIVILITÉ. Cette qualité n'a guère besoin d'être ni commentée, ni enseignée; car tout homme qui vit dans le monde doit la connaître et la considérer comme une obligation. Néanmoins on lui a aussi érigé des codes, consacré nombre de petits livres populaires, et parmi ces derniers il en fut un qui, aux xvir et xvi siècles, jouissait d'une immense renommée; qui pénétrait dans le palais comme dans la chaumière, et se présentait bravement, côte à côte, avec les aphorismes d'Hippocrate et les préceptes de l'école de Salerne. Chacun alors, en effet, ne pensait pas qu'on pût avoir l'esprit convenablement meublé, si l'on n'y trouvait, pour fournir à la conversation, aux conseils et autres nécessités de la vie, des citations empruntées à l'espèce de triade que nous venons d'indiquer. Le petit livre en question, lequel est aujourd'hui très-rare, presque un monument archéologique, ce petit livre, disons-nous, a pour titre Civilité puérile et honnête; il est attribué à un missionnaire, et son chapitre qui était le plus en faveur, se compose de quatrains rimés par un sieur de Pybrac, conseiller du roi en son conseil privé. Ce sont, pour notre époque s'entend, les plus méchants vers sans contredit qu'on puisse lire; mais ils n'en obtinrent pas moins, dans leur temps, un succès dont la durée se prolongea bien au delà de celle qui a été accordée de nos jours aux Méditations de M. de Lamartine. D'ailleurs, les quatrains de M. de Pybrac, tout mauvais, tout décousus qu'ils sont dans leur facture, n'en expriment pas moins d'excellents principes, quelquefois des idées très-heureuses; et c'est à ce titre d'œuvre à la fois morale et originale, que nous reproduisons ici cette élucubration curieuse :

Dieu tout premier, puis père et mère honore;
Sois juste et droit, et en toute saison
De l'innocent prends en main la raison;
Car Dieu te doit la haut juger encore.
Si en jugeant la faveur te commande;
Si, corrompu par or ou par présents,
Tu fais justice au gré des courtisans,
Ne doute pas que Dieu ne te le rende.

Avec le jour commence ta journée,
De l'Eternel le saint nom bénissant;
Le soir aussi, ton labeur finissant,
Loue-le encore et passe ainsi l'année
Adore assis, comme le Père ordonne,
Dieu, en courant, ne veut être honoré;
D'un ferme cœur il veut être adoré,
Mais ce cœur là il faut qu'il nous le donne.
Ne pas disant: Ma main a fait cette œuvre,
Ou ma vertu ce bel œuvre a parfait;
Mais dis ainsi : Dieu par moi l'oeuvre a fait;
Dieu est l'auteur du peu de bien que j'œuvre.
Tout l'univers n'est qu'une cité ronde,
Chacun a droit de s'en dire bourgeois :
Le Scythe et Maure autant que le Crétois,
Le plus petit et le plus grand du monde.
Dans le retrait de cette cité belle,
Dieu a logé l'homme comme en lieu saint;
Comme en un temple où lui-même il s'est

[peint,

En mille endroits de couleur immortelle.
il n'y a coin si petit dans ce temple,
Où la grandeur n'apparaisse en Dieu
L'homme est planté justement au milieu,
Afin que mieux partout il le contemple.
Il ne saurait ailleurs mieux le connaître,
Que dedans soi, où, comme en un miroir,
La terre il peut, et le ciel même voir;
Car tout le monde est compris en son être.
Qui a de soi parfaite connaissance,
N'ignore rien de ce qu'il doit savoir;
Mais le moyen assuré de l'avoir,
Est se mirer dedans sa sapience.
Ce que tu vois de l'homme n'est pas l'hom
[me,

C'est la prison où il est enserré,
C'est le tombeau où il est enterré,
Le lit branlant où il dort un court somme.
Ce corps mortel où l'œil ravi contemple!
Muscles et nerfs, la chair, le sang, la peau,
Ce n'est pas l'homme, il est beaucoup plus
[beau :

Aussi Dieu l'a réservé pour son temple.
A bien parler, ce que l'homme on appelle,
C'est un rayon de la Divinité ;
C'est un atome éclos de l'unité,
C'est un égoût de la source éternelle.
Reconnais donc, homme, ton origine,
Puisque fleurir tu dois là haut ès-cieux,
Et, brave et haut, dédaigne ces bas lieux;
Et que tu es une plante divine.

I t'est permis t'orgueillir de ta race,
Non de ta mère, ou ton père mortel;
Qui t'a moulé au moule de sa face.
Mais bien de Dieu ton vrai père immortel,

Au ciel n'y a nombre infini d'idées ;
Platon s'est trop en cela mécompté :
De notre Dieu la pure volonté

Est le seul moule à toutes choses nées.

Je veux, c'est fait. Sans travail et sans peine, Tous animaux, jusqu'au moindre qui vit.

I les a créés, les soutient, les nourrit, Et les défait du vent de son haleine.

Haussé tes yeux à la voûte pendue,
Ce beau lambris de la couleur des eaux,
Ce rond parfait de deux globes jumeaux.
Ce firmament éloigné de la vue.

Bref, ce qui est, ce qui fut, qui peut être,
En terre, en mer, au plus caché des cieux,
Sitôt que Dieu l'a voulu pour le mieux,
Tout aussitôt il a reçu son être.

Ne va suivant le troupeau d'Epicure,
Troupeau vilain qui blasphème en tout lieu.
Et, mécréant, ne connut autre dieu
Que le fatal ordre de la nature.

Et cependant il se vautre et patouille
Dans un bourbier, puant de tout côtés,
Et du limon des sales voluptés

Il se repaît comme une autre grenouille.
Heureux qui met en Dieu son espérance,
Et qui l'invoque en sa prospérité,
Autant ou plus qu'en son adversité
Et ne se fie en humaine assurance.
Voudrais-tu bien mettre espérance sûre,
En ce qui est imbécile et mortel?
Le plus grand flot du monde n'est que tel,
Et a besoin plus que toi qu'on l'assure.

De l'homme droit Dieu est la sauve-garde :
Lorsque de tous il est abandonné,
C'est lorsque moins il se trouve étonné,
Car il sait bien que Dieu lors plus le garde.
Les bien du corps et ceux de la fortune
Ne sont pas biens, à parler proprement;
Ils sont sujets au moindre changement;
Mais la vertu demeure toujours une.
Vertu qui gît entre les deux extrêmes,
Entre le plus et le moins qu'il ne faut,
N'excède en rien, et rien ne lui défaut,
D'autrui n'emprunte et suffit à soi-même.
Qui te pourrait, vertu, voir toute nue,
Que ardemment de toi serait épris!
Puisqu'en tout temps les plus rares esprits
T'ont fait l'amour au travers d'une nue.
Le sage fils est du père la joie :
Et si tu veux ce sage fils avoir,
Dresse-le jeune au chemin du devoir;
Mais ton exemple est la plus courte voie

Si tu es né enfant d'un sage père,
Que ne suis tu le chemin jà battu?
S'il n'est pas tel, que ne t'efforce-tu
A le conduire comme toi à bien faire?
Ce n'est pas peu, naissant de tige illustre
Etre éclairé par des antécesseurs;
Mais c'est bien plus luire à ses successeurs,
Que des aïeux seulement prendre lustre.
Jusqu'au cercueil, mon fils, tu dois ap-
[prendre;

Et tiens perdu le jour qui s'est passé,
Si tu n'y as quelque chose amassé,
Pour plus savant et plus sage te rendre.
Le voyageur qui près du séminaire
Est égaré, se perd dedans les bois,

Au droit chemin remettre tu le dois;
S'il est tombé, le relever de terre.
Ainsi l'honneur plus que ta propre vie;
J'entends l'honneur qui consiste au devoir
Que rendre on doit, suivant humain pouvoir,
A Dieu, au roi, aux lois, à la patrie.
Ce que tu peux maintenant ne diffère
Au lendemain, comme les paresseux;
Et garde aussi que tu ne sois de ceux
Qui par autrui font ce qu'ils pourraient faire.
Hante les bons, des méchants ne n'accointe;
Et mêmement en la jeune saison,
Que l'appétit, pour forcer la raison,
Arme nos sens d'une brutale pointe.
Quand au chemin fourchu de ces deux
[dames,

Tu te verras comme Alcide Semond,
Suis celle-là qui, par un âpre mont,
Te guide au ciel loin des plaisirs infâmes.
Ne mets ton pied au travers de la voie
Du pauvre aveugle, et d'un piquant propos
De l'homme mort ne trouble le repos,
Et du malheur d'autrui ne fais ta joie.
En ton parler sois toujours véritable,
Soit qu'il te faille en témoignage ouïr,
Soit que parfois tu veuilles réjouir
D'un gai propos tes hôtes à la table.
La vérité d'un cube droit se forme,
Cube contraire au léger mouvement;
Son plan carré jamais ne se dément,
Et en tous sens a toujours même forme.
L'oiseau rusé se sert du doux ramage
Des oisillons, et contrefait leur chant;
Ainsi, pour mieux décevoir, le méchant
Des gens de bien emprunte le langage.

Ce qu'en secret l'on ta dit ne révèle :
Des faits d'autrui ne soit trop enquérant;
Le curieux volontiers toujours ment,
L'autre mérite être dit infidèle.

Fais poids égal et loyale mesure,
Quand tu devrais de nul être aperçu ;
Mais le plaisir que tu auras reçu,
Rends-le toujours avec quelque usure.
Garde, soigneux, le dépôt à toute heure,
Et quand on veut de toi le recouvrer,
Ne va, subtil, des moyens controuver,
Dans un palais, afin qu'il te demeure.
L'homme de sang te soit toujours en haine;
Hue sur lui comme fait le berger
Numidien sur le tigre léger

Qu'il voit de loin ensanglanter la plaine.
Ce n'est pas tout ne faire à nul outrage.
Il faut de plus s'opposer à l'effort
Du malheureux qui pourchasse la mort,
Ou du prochain la chute et le dommage.
Qui a désir d'exploiter sa promesse,
Dompte à la fois et son ventre et le feu
Qui dans nos cœurs s'allume peu à peu
Soufflé du vent d'erreur et de paresse.
Vaincre soi-même est la grande victoire ;
Chacun chez soi loge ses ennemis,

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